La première fois

La première fois tu offres un grand sourire en déclinant aimablement la proposition de contact.
La deuxième fois tu dis juste non merci ou quelque chose qui ressemble.
La troisième fois tu hoches la tête.
La quatrième tu passes sans t'arrêter.
La cinquième fois tu le bouscules au passage.
A la sixième demande tu fronces les sourcils d'un air agacé.
La septième fois tu lui demandes de ne surtout pas te toucher, ça pourrait t'énerver.
La huitième fois tu deviens violent.
La neuvième fois tout le monde se retourne vers toi l'oeil réprobateur, tu ne sais plus où te mettre, tu te sens honteux, mais tu espères une dixième demande, juste pour te donner des raisons d'attirer l'oeil avide du quidam, juste une bonne raison de tout brûler sur ton passage.
En quelques heures à peine, dans la même journée.
Tu ne te souviens plus de la première fois.
Tu te dis seulement qu'il n'y a pas de statistiques pour te montrer combien d'entre eux dorment vraiment dans la rue, combien d'entre eux gagnent plus que toi ; combien de ces spectateurs se retrouvent à ta place chaque jour, chaque instant, dans cette société misérable où il faut tendre la main pour se sentir exister.
Tu sais qu'il n'y a pas de statistique mais que celui contre lequel tu as fini par t'énerver méritait vraiment ton attention, c'est celui qui dort sur un matelas pourri avec ses potes, pas encore mal rasé mais presque, pas encore effacé du décor mais presque, qui passe ses journées à jouer aux échecs dans la rue en picôlant du mauvais vin pour oublier que le froid gagne le territoire, pas encore tout à fait mais presque.
Tu sais que c'est toi le misérable, pourtant demain ça recommencera, et la dixième fois tu oublieras encore la première, la dixième fois tu ne seras toujours pas maître de toi, mais presque.
Tu rentres chez toi, tu allumes ton ordinateur, et tu écris ton texte de merde, en te disant qu'ils ne savent pas lire, que ce n'est pas grâve, que personne ne saura, que les gens te voient une première fois et puis s'éclipsent, que tout le monde fait semblant de vivre sa différence mais que tout le monde se ressemble, ou presque.
Demain c'est toi qui tendras la main, et combien de fois il te faudra pour ne plus t'énerver contre les premières fois qui passent ? Combien de fois tu vas t'agacer contre ce putain d'ordinateur de merde qu'est même pas capable de reconnaître une carte réseau et qui te coupe du monde en rompant la connection Internet ? Combien de fois tu vas te poser des questions encore au lieu d'aller bouffer sur place ce connard de fou qui ne sait plus protéger sa reine ? Combien de temps tu vas encore te demander qui tu es vraiment ?
La première fois tu offres un grand sourire, mais le sourire ça réchauffe pas, le sourire ça nourrit pas, le sourire ça pue la dixième fois qui transpire de tout ton être ; ça pue la mort ton sourire de nanti qui se greffe sur des mots insipides.
Ca pue la mort, mais c'est pas toi qui meurs de froid.

Ouais, je suis également passé par tous ces stades, et j'en suis arrivé aux mêmes conclusions.
En fait on est seul.
Parfois on l'oublie et c'est bon. Mais parfois le miroir déformant est sur ton chemin et tu ne peux l'éviter.

Prophète Nombre de messages : 4029 Date d'inscription : 07/07/2007

"En fait on est seul", exact. Et parfois on l'oublie, dans ces instants de grâce qui s'étirent au soleil, tant que dure le jour.
Je ne peux distribuer de l'argent à tout le monde, mais les sourires que j'offre, à défaut de mieux, sont sincères.

Guide Nombre de messages : 586 Date d'inscription : 09/08/2007

Je ne sais pas les autres, mais moi, ça me fait familier dans la tête, ça s'entrechoque et ça dérange, ça fait nauséeux, ça fait révolte, ça gronde et au final, comme ça ne change rien, ça laisse un goût d'amertume, bras ballants, colère rentrée. Faudra bien qu'elle sorte un jour, comme ça, tout pareil.

Capituler en mourant. Un jour. Ou l'autre.

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