La verte illusion

W.G. Sebald écrit du peintre
allemand Grünewald

Qu'il comprit la délivrance de
la vie plus enviable

Que son accomplissement.

Quand la misère et les maux vous
torturent


A un point ultime ou

Même quand, témoin, vous
hante

L'asile où les râles de
souffreteux incurables habitent les couloirs,

Et l'écho de la plaine où
le massacre a fauché

Comme herbe mauvaise avant qu'elle
graine

Mille paysans naïfs et révoltés,

Soumis à la mort comme un gibier
à bout de souffle

Quand ils ne revendiquaient que la
justice.




Les remous bouleversent et obsèdent:

Non, pas la mort plutôt que la
vie,

Il y a une issue, un espoir, toujours!

Non, pas cette désespérance,
jamais!




Il pense le ventre repu,

Protégé d'un cercle
chaleureux,

Dans la paix de son havre occidental.




Et pourtant,

N'y a-t-il pas de souffrances qui vous
cognent

Au point d'appeler la fin?




Le roulement incessant des obus

leurs crachats mortifères en des
gerbes furieuses,

dans la boue d'un hiver de trop

Aux jours sans jour et aux nuits
infernales,

A s'essayer aux pourquoi sans réponses
qu'absurdes,

A ne projeter d'issue que son tour à
bondir

Et danser, bleu pantin, sous le feu des
mitrailleuses...




Et pourtant,

Dans un jardin feldgrau barbelé,

Les habits de rayures comme autant de
négations

Et de raisons d'être effacés,
humiliés, abêtis.

Et les fosses où déroulent
les corps nus disloqués.




Et pourtant,

Au long de la rue du village jonchée
d'hommes inertes

dans leur bain rouge,

Quand le noir broie le noir de révolte
en coup d'état manipulé blanc,

Et que la faim gonfle et pétrifie
d'impuissance...

Il les a vus ces regards de demandeurs
d'asile

où la terreur fait surface aux
seuls mots de retour au pays...




Et pourtant,

Il le voit passer tous les jours un peu
plus recroquevillé

Le sans domicile,

Il l'entend le soir, le cri déchirant
des solitudes urbaines,

Il la pressent plus pressante, la
machine à broyer l'humain

Dans ce tourbillon que nul ne sait
ralentir

D'une course sans autre but que
l'entretien de son mouvement

Après que les belles idéologies
printemps

Se soient succédé


Plus perverties et meurtrières
les unes que les autres...




Et pourtant,

Oui, la vie ne tiendrait qu'à
l'illusion d'un encore possible,

Fragile,


Tel le brin d'herbe dans la fissure
inespérée

Du béton après le séisme.

"Qu'il comprit la délivrance de
la vie plus enviable

Que son accomplissement."!

Je conçois que l'on puisse de temps en temps se laisser envahir par le désespoir. C'est si facile, finalement.
Cependant quel constat d'échec et quelle victoire pour les forces obscures!
Je crois pour ma part qu'en tant que "privilégié" "nous avons le devoir d'être heureux" , c'est à dire de sortir de la culpabilté afin de diffuser autour de nous : la lumière. Oui, j'y crois.

"Je vais vous peindre cela, je vais vous opposer l'obsurité à la lumière"
Grünewald, qui s'interrogeait sur la peinture d'un retable.
Voir l'horreur et le ténèbres n'empêche pas de voir la lumière et d'y croire de "la diffuser autour de nous".
C est ce qu'il a fait, j'aime bien Grünewald qui se définissait lui même comme un "gothique" au moment de la Renaissance.
C'est ce que tu dis Geho, ce que dit le brin d'herbe.

Merci de vos coms.
Ce Sebald m'obsède. Depuis que j'ai lu "D'après nature", poème élémentaire, chez Actes Sud, où il fait le parallèle entre trois destins de différentes époques: Grünewald, Steller, un scientifique ayant suivi Béring, et lui-même, j'y reviens tout le temps.
Ces destins ont des correspondances géographiques mais bien plus: des résonances face à l'appréhension de la violence et du drame humain, de la destruction.
C'est bouleversant et d'une beauté que je n'avais pas trouvée depuis longtemps. La traduction est magnifique et le propos coule comme une rivière en crue: on a du mal à s'y arrrêter la première fois et à chaque nouvelle lecture(je l'ai lu au moins cinq fois) des éléments de compréhension et d'appréciation apparaissent.
Je ne saurais que vous le recommander.
Ce long poème en trois parties a été écrit en 88 et traduit depuis peu en français. L'écrivain est mort en 2001, à 57 ans, d'un accident de voiture. Il a laissé un livre majeur: "les émigrants" et quelques autres. C'est un grand.

"Les forces obscures", Margo ? On nage en pleine guerre des étoiles
Non, sincèrement, je trouve ce texte très intéressant, par l'exaltation de cet espoir, même timide, cet espoir sans lequel les horreurs du passé nous auraient engloutis.
Mais je ne suis pas d'accord, Margo, sur ton "devoir d'être heureux". Quelle horreur ! Depuis quand le bonheur est-il obligatoire. Parce que nous avons pour la plupart un toit, de quoi manger, quelques distractions, nous devrions nous en satisfaire ?
C'est l'insatisfaction qui fait avancer le monde, à condition qu'elle soit constructive, évidemment.
Et puis j'ai vu tant de personnes ici faire la gueule le matin dans le métro, alors qu'elles sont gavées de tout... et tant de gens là-bas, à Bénarès, sourire juste comme cela, alors qu'elles n'avaient rien.
Je suis désolée, mais à moins d'être sous Prozac, je ne m'estimerais pas heureuse en ce moment. J'apprécie ce que j'ai pu obtenir dans la vie, sachant que ce n'est après tout que transitoire. Comme le bonheur, une notion subjective, et parfois fugace.
"Diffuser la lumière", cela peut être aussi faire prendre conscience aux gens qu'on n'obtient pas le bonheur avec un écran 16/9è ou la dernière console à la mode. C'est beaucoup plus compliqué, et cette prise de conscience peut déclencher un certain découragement au départ. Chercher cette lumière à l'intérieur, voilà un défi complexe.
Merci Geho pour nous avoir parlé d'un auteur que pour ma part, je ne connaissais pas. Je note...

"... le devoir d'être heureux" signifie : "se donner le droit d"être heureux" c'est à dire, le droit de sortir du cercle infernal de la culpabilité.
Les forces obscures quant à elles ne sont rien d'autre que les forces d'un inconscient (collectif) qui nous enchaîne et nous maintient indéfiniment dans le malheur.
Or..."Je suis assez fort pour que tout nécessairement tourne à mon avantage."
F.Nietzsche.