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 Mon immeuble (1)

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epiphyte
Gardien de la foi
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MessageSujet: Mon immeuble (1)   Mon immeuble (1) Icon_minitimeSam 14 Fév - 15:37

Au premier, dans mon immeuble, y’a un couple de lesbiennes qui a posé des cactus aux rebords des fenêtres. Le cactus faut que ça soit une passion. Enfin, j’en sais rien, moi je ne suis pas du genre passionné en tout cas, et surtout pas pour une plante qui pique.
Elles sont gentilles, toutes les deux, un peu terre-à-terre, l’effet rez-de-chaussée, probablement, même au premier vous en ressentez les effets secondaires.
Parfois, quand l’ascenseur est en panne, il m’arrive de rebrousser chemin. Mais si je monte à pied, passant silencieusement sur le palier, je tends toujours l’oreille malgré moi, voyeur du quotidien d’autrui, espion de ma bêtise.
Elles sont gentilles, toutes les deux, parfois elles font du thé et invitent la voisine, celle du dessus, la veuve, je veux dire. C’est quand l’ascenseur fonctionne, en général, comme ça la voisine, la veuve, je veux dire, elle n’a pas besoin de descendre par l’escalier et ça soulage ses rhumatismes, parce qu’elle est vieille, la veuve. Enfin, je veux dire surtout qu’elles doivent parler fort sûrement pour qu’elle entende, mais l’ascenseur joue toujours sur les mots.
Elles sont gentilles, et surtout elles s’aiment, toutes les deux. Elles ne se cachent pas, mais de toute façon ça se voit. Le bonheur, c’est un truc qui se lit dans les yeux, sur les lèvres, même dans leurs coiffures informes et leur inélégance avouée, j’arrive à lire le bonheur. Celui d’avoir trouvé quelqu’une et se penser plus fort, celui de vivre à deux ce qu’on n’aurait jamais pu vivre seule. Même dans leurs regards souvent méprisants, je peux le voir.
C’est curieux, de pas supporter la barbe des mecs et de se passionner pour des cactus. Et puis c’est curieux, de généraliser le mépris et s’exclure de soi-même d’une société où il faudrait peut-être plus de fleurs aux fenêtres et moins de bières dans le frigo, mais où il faudrait surtout un bon coup de pied au cul des habitudes sans musique.
Les hommes, entre eux, ont su se cultiver, ajoutant du raffinement à leurs existences enfin exquises. Pas de couple d’hommes dans l’immeuble, mais vous voyez de quoi je parle.

Au deuxième, c’est la voisine des lesbiennes, la veuve, je veux dire.
Jamais facile de vivre seule quand le physique ne suit plus l’esprit, condamnée à l’errance des souvenirs d’une vie qu’elle aurait voulu autre. Jamais facile, de passer ses journées à compter les regrets. Son mari repose en paix, il a bien de la chance, lui ! Pas toujours les meilleurs qui partent les premiers, à l’enterrement les enfants ont laissé pleurer l’absence. Jamais facile, se dire qu’il est sûrement trop tard.
Les petits viennent déjeuner le dimanche, mais pas tous les dimanches, parce qu’ils sont en couple, les petits, et ils ont leurs propres petits qu’ils traînent avec eux d’une grand-mère à l’autre, alors plutôt un dimanche sur deux, sauf dans quinze jours parce que ça tombe pendant les vacances scolaires et du coup tout ce petit monde part à la montagne donner du fric aux remonte-pentes.
Quand ils viennent, ils emmènent le dessert. Pourtant, cuisiner, ça la connaît, et le dessert c’est ce qu’elle préfère. Mais la cuisine de grand-mère n’est plus au goût du jour, des fois qu’elle perdrait sa tête, des fois qu’elle pourrait les empoisonner en se trompant, tout ça parce qu’une indigestion leur a pourri la semaine en Normandie aux dernières vacances scolaires.
Jamais facile, se rendre compte que c’est sa propre vie qu’on a empoisonné.
Ah ! Si elle avait eu le courage.
Si elle avait su qu’elle pouvait avoir le courage.
Si elle l’avait admis.
Les petites jeunes du premier l’invitent parfois à boire le thé, alors elle fuit un peu le quotidien, en avant l’ascenseur, laissez-moi passer, j’ai priorité, même aux heures de pointe l’ascenseur est une place réservée. Même la bonne femme du troisième peut attendre, enceinte jusqu’aux dents, peut-être qu’il y a un ordre chez les prioritaires, mais balancer un gosse de plus dans l’arène n’a rien d’urgent, laissez passer la veuve.
La vieille, je veux dire.
Les petites jeunes, elles sont sûrement ensemble, et ça lui fait plaisir de les écouter parler des cactus, en les comparant aux hommes, tous les hommes y compris l’autre, enterré dans l’absence. Alors elles boivent le thé, elles rient, et puis ça met un peu de baume au cœur, ces petits jeunes qui se cachent maladroitement quand elles s’embrassent dans la cuisine. Pas besoin d’être deux pour surveiller le thé, ça ne va pas déborder, faudrait pas déborder, dix-neuf heures déjà, temps de rentrer, l’ascenseur de madame est avancé, une soupe, une tisane, et au lit. Profiter du sommeil avant la naissance.

La naissance, c’est pour bientôt, au troisième de mon immeuble. La fin des nuits calmes d’angoisse. Le début d’un long calvaire solitaire. Le bébé ne s’est pas fait tout seul, mais le bébé a effrayé papa, trop jeune pour être père, tu comprends, trop jeune pour vivre cette vie-là, et puis à quoi bon prolonger une histoire qui se voulait si brève ?
J’arrête souvent l’ascenseur au troisième, pour lui montrer que je suis là, partager quelques-uns de ses doutes, sécher quelques-unes de ses larmes, caresser son gros ventre affectueusement. Elle pose sa main sur la mienne et voudrait que je reste-là, toujours, à ses côtés, des fois elle me serre si fort que c’est comme si elle voulait me broyer les doigts, écraser toute sa misère, briser sa solitude.
Elle ne sera plus seule bien longtemps maintenant, mais ce n’est pas trop comme ça qu’elle voyait le truc, avant. Un enfant, ça rapproche. Un enfant, c’est une bonne raison pour que papa reste avec elle, quand même. Un enfant, c’était la pire connerie à faire, surtout. Mais tu comprends, un avortement ça n’a déjà pas été facile, pas envie de revivre ça, pas envie de recommencer, plus envie de se battre pour des chimères, un enfant c’est concret.
Au-dessus ça se tape encore la tête contre les murs, comme si la musique à fond de manettes pouvait éclipser les coups. Un mur qui résonne c’est concret.
Papa est parti, comme le précédent, comme tous les autres avant lui. Papa perpétue l’espèce humaine sans se prendre la tête mais en prenant son pied. Papa a disparu, moi je passe souvent par le troisième étage et je fais semblant d’être là. Mais même à me broyer la main, elle a fini par comprendre.
Moi aussi, je ne suis qu’un homme.

Au quatrième elle rentre souvent bien tard.
Elle rentre souvent trop tard, trop ivre, trop triste. L’alcool est vite devenu triste mais elle ne peut plus s’en passer. Justifier les larmes, surtout ne plus se les imputer. C’est la faute au destin, la faute à pas de chance, la faute à ce vieux connard qui s’est bien foutu de sa gueule, la faute à ses espoirs perdus de petite fille, la faute à cette putain de bouteille qui pleure en elle jusqu’à lui faire gerber le moindre souvenir heureux.
Elle a du mal à glisser la clef dans la serrure, du mal à pousser la porte, du mal à se défaire du manteau, des bottes, et de cette petite robe à fleurs qui lui allait si bien. Voir le mal partout n’est qu’une nécessité passagère, il lui faudrait de l’aide, une main tendue vers la bouteille, une main posée sur son front, une main amie pour la soulever du canapé et la sortir de là. Une main ridée, déjà, qui glisserait de son front à son cou et finirait entre ses cuisses, palpant un sein au passage, une main ferme et puissante, que l’on ne peut pas bien contenir, que l’on ne peut qu’imaginer.
Ou espérer, à force d’habitudes perdues.
Quand il était professeur, avant la retraite, elle était toute jeune encore. L’âge des premiers émois, l’âge de l’utopie savoureuse. Une période en robe à fleurs où donner vie à ses fantasmes dans la candeur de l’aube naissante devenait défi du quotidien, le plaisir au bout. La naissance du sentiment amoureux, cette boule qui gonfle au ventre, et les palpitations du cœur. Les petits regards malicieux cernés de noir, les moues discrètes en drapés mauves, l’excitation sereine du désir impuissant.
Un petit verre de plus, ce n’est pas ça qui va la tuer. Tendre le bras depuis le canapé, trier parmi les cadavres, toucher le fond d’un ersatz de guérison.
Il lui a dit je t’aime sur le balcon, en tassant sa pipe, les soirs d’été. Il lui a dit je t’aime sur des cœurs en carton, en lui offrant des fleurs, tous les jours du printemps. Il lui a dit je t’aime aux flammes des cheminées, je t’aime au cinéma, tout juste au creux de l’oreille pour que personne d’autre n’en profite, je t’aime sous la douche, je t’aime en promenade, je t’aime il lui a dit, noyé dans la bouteille. Il lui a dit je t’aime en la roulant dans la neige, et puis je t’aime encore en la roulant dans les feuilles, je t’aime en lui faisant l’amour, roulée jusqu’au bout du rêve.
Elle, elle y a cru.
Elle y croirait encore.
Depuis les bancs de l’école, les années ont couru, quand il est parti elle n’a pas voulu y croire.
La quitter pour cette lolita insipide, ses tenues légères et son maquillage bâclé ? La quitter pour une fausse candeur sournoisement fraîche ? La quitter pour recommencer, sans elle, la quitter pour une autre, une autre bouteille, vite, avant de sombrer dans ce sommeil trop sobre.
Boire à s’en taper la tête contre les murs pour oublier, oublier cette salope du dessus qui passe son temps à baiser en gémissant les fenêtres ouvertes, oublier que tout recommencera toujours, sans elle.

(...)
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MessageSujet: Re: Mon immeuble (1)   Mon immeuble (1) Icon_minitimeDim 15 Fév - 0:05

Ca commence fort... je suite...
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MessageSujet: Re: Mon immeuble (1)   Mon immeuble (1) Icon_minitimeDim 15 Fév - 13:54

Je idem Constance Smile
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MessageSujet: Re: Mon immeuble (1)   Mon immeuble (1) Icon_minitimeLun 16 Fév - 2:56

J'aime beaucoup le principe et aussi son traitement.
Étrange de ne pas mettre les noms, mais d'un autre côté ça universalise chaque personnage.
Le passage sur la femme enceinte est mon préféré, avec la critique sur les hommes. Vraiment bien vu.


Dernière édition par filo le Sam 28 Fév - 16:15, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Mon immeuble (1)   Mon immeuble (1) Icon_minitimeVen 27 Fév - 23:16

Tu me donnes envie d'aller me balader dans les escaliers de ton immeuble. On s'y croirait et c'est tellement humain. Combien y a-t-il d'étages ? Beaucoup, j'espère !!!

Même passage préféré que le mec bizarre qui lève la main au-dessus. Avec en plus, celui sur le couple lesbien.
"Elles sont gentilles, toutes les deux, un peu terre-à-terre, l’effet rez-de-chaussée, probablement, même au premier vous en ressentez les effets secondaires."
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MessageSujet: Re: Mon immeuble (1)   Mon immeuble (1) Icon_minitimeSam 28 Fév - 0:03

Bon, je ne voudrais pas en rajouter et perturber ton fil, Epi, mais le passage que cite Lulu me fait repenser à la "malédiction" du rez-de-chaussée, dans mon immeuble à moi.
J'ai d'abord eu un couple de jeunes artistes, qui dormaient continuellement, bizarre... Suspect. La jeune femme s'est retrouvée enceinte, elle m'a même avoué qu'elle ne savait pas comment, et ils ont déménagé. Ca m'a soulagée, ils me faisaient la gueule parce que selon eux, je faisais du bruit en prenant ma douche le matin, et le soir aussi. Sans compter ma bouilloire électrique dont le bruit les réveillait.
Ensuite, une dame américaine, plutôt excentrique, avec son fils, carrément psychotique.
Et là, j'ai eu une autre dame américaine bizarre, qui sous-loue à une anglaise autiste, qui vit avec une grecque fofolle.
Personnellement, je suis contente d'habiter au 1er. Qui sait, le rez-de-chaussée est peut être radioactif ??
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MessageSujet: Re: Mon immeuble (1)   Mon immeuble (1) Icon_minitimeSam 28 Fév - 2:42

Tu devrais écrire des nouvelles.. radioactives pourquoi pas.
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MessageSujet: Re: Mon immeuble (1)   Mon immeuble (1) Icon_minitime

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