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 Mon immeuble (2)

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constance
epiphyte
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epiphyte
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MessageSujet: Mon immeuble (2)   Mon immeuble (2) Icon_minitimeSam 14 Fév - 15:38

Le cinquième, c’est l’appartement du bonheur, dans mon immeuble. C’est écrit sur la porte, on ne peut pas se tromper, c’est là que je finis mon trajet, la plupart du temps.
Elle ne veut pas se prendre la tête, surtout ne pas s’attacher, surtout pas de sentiment, profiter de la jeunesse tant qu’elle veut bien d’elle, profiter des plaisirs de la vie qui ne manque jamais d’en proposer.
Au cinquième, c’est un défilé, tous sexes confondus, seul ou en groupe, tout le monde vient profiter de l’appartement du bonheur.
Je suis en bout de liste, pas plus d’une fois par mois.
Elle me fait tout essayer, dans toutes les positions, à tout instant, jusqu’aux accessoires les plus insolites, elle ne tarit pas d’idées et ne manque pas d’envies, l’appartement du bonheur, c’est du plaisir gratuit. Le corps et l’esprit se sont ligués contre le cœur, c’est toujours plus simple comme ça, le plaisir ça s’entretient, comme certaines prennent soin de leur intérieur pour en faire un lieu confortable et s’y sentir bien.
Le plaisir, c’est la vie qui respire.
Le reste du mois, faut travailler l’apnée.

Fenêtres ouvertes au sixième étage, aération quotidienne, faut que ça respire, faut que tout soit propre, faut que tout soit bien rangé, bien briqué, faut que tout soit confortable. Elle aime faire le ménage, elle aime prendre soin de son espace. A défaut d’y voir toujours clair à l’esprit, c’est rassurant d’avoir la main sur le monde.
On la dit maniaque, mais le bordel des autres ne la dérange pas, tant que son ordre à elle n’en est pas perturbé, tout va bien dans le meilleur des mondes. Vivre en adéquation avec ses souvenirs, toutes ces petites choses entassées sur des étagères, dont il faut prendre soin, chiffons à poussière à ajouter sur la liste des courses, ils s’usent trop vite, recenser les produits ménagers et noter l’évolution du stock, ouvrir les fenêtres pour que ça sèche plus vite, ouvrir et respirer.
Faire le ménage dans ses idées, tenter d’y voir clair dans ses sentiments.
Ce n’est pas vrai, qu’elle vit dans un musée.
A chacun son musée, peut-être.
Ce n’est pas vrai, qu’elle aime les femmes.
A chacun sa raison d’être.
Si elle était lesbienne, elle le saurait depuis longtemps, ça ne tombe pas comme ça de rien comme une poussière capricieuse. Bi, peut-être, si ça existe. Mais non, même pas, il ne s’agit pas d’amour, seulement du désir, simplement peut-être la facilité d’un rapprochement candide sans arrière-pensée, la facilité d’une relation sans faille, basée sur le respect.
Une femme, c’est plus facile, ça lui ressemble, elle connaît.
C’est tout nouveau mais tellement bon, pourquoi faire le ménage, pourquoi lever le voile ?
Vivre sans se poser de questions, pour une fois, une femme ça n’engage à rien, pas de comparaison possible, et puis… enfin de la tendresse, enfin de la douceur, du plaisir, enfin !
Plus tard, elle saura combler son homme, et quand elle fera son ménage, elle prendra un chiffon propre pour nettoyer le cadre et la photo souvenir, une petite pincée de bonheur échappée de l’appartement du dessous, qu’elle gardera pour elle, même si cela ne la conduit jamais au septième ciel.
Elle aura essayé.

Dans le miroir, au septième, elle ne se reconnaît plus.
Ne plus ressembler à rien, voilà ce que ça voulait dire.
Yeux creusés, cernes, cheveux collés, lèvres gercées. Pas encore de rides, juste quelques marques du temps humain. Recroquevillée comme un animal, elle ne pleure plus depuis longtemps mais s’arracherait la peau pour en sortir.
Si près du ciel, au septième.
La fenêtre est étroite, mais elle a maigri suffisamment pour passer au travers, à présent. Sauter dans le vide, elle espère que ça ne sera pas trop grisant, elle s’en voudrait de tout quitter sur un plaisir, elle risquerait de regretter. Ca gâcherait tout.
Sauter, c’est décider pour soi, enfin.
A défaut de s’arracher la peau, elle a ôté ses fringues dégueulasses, c’est incroyable ce qu’elle peut être laide, comment ont-ils pu ne jamais le voir ? Ne jamais la voir, vraiment, derrière tout cela !
S’il ne reste plus que ça pour exister, mourir spectaculaire, elle aimerait qu’au moins en s’écrasant son corps explose un peu partout. Eclabousser les imposteurs de tout ce foutre qu’on n’a cessé de lui infliger depuis l’enfance. De l’oncle au père en passant par les amis de la famille, d’une bande de la cité voisine aux flics avinés de la banlieue, même ce gentil garçon qu’elle a gardé près d’elle un long moment sans qu’ils n’osent se toucher vraiment, a fini par la remplir encore, sans autre désir que la salir à nouveau, une fois de plus, à nouveau une fois de plus.
C’est sa faute, à elle.
Fallait se préserver, et puis surtout fallait pas se taire. Fallait le dire, avant. Le raconter un peu partout sans attendre de disparaître dans les miroirs. Maintenant qu’elle ne se reconnaît plus, que vaut l’aveu d’une étrangère, qui pourrait encore croire aux mensonges récurrents de son existence ?
Ils ne croiront pas, mais ils comprendront peut-être, en la ramassant, tout à l’heure.
Porte close, au septième, dans mon immeuble.
Il faudra un serrurier mais on ne trouvera pas de lettre, et je ne comprendrai rien.

Pas plus d’étage à cet immeuble-là, mais une petite porte presque blindée mène sur les toits, entre le septième ciel des candides et le huitième étage célèbre de Renaud où la môme embrouillait ses poumons.
Un groupe de jeunes filles s’y retrouve en rêvant, partageant les effluves de pensées interdites en scrutant les nuages, en parlant des garçons.
Bien sûr, à notre époque, si loin des HLM, le hasch ne suffit plus, on se shoote en ligne plutôt qu’en cône, on se pique sans marque dans des cachetons, tant que le fric ne manque qu’aux épargnants il reste encore de quoi se faire plaisir, et parler des garçons.
Ces hommes qu’elles aiment, qu’elles chérissent, qu’elles adulent, ces hommes qu’elles tiennent par le bout de la bite sans trop en avoir l’air, brisant la vaisselle sale aux disputes absentes.
Ces hommes, qui, chaque jour, jettent un petit morceau supplémentaire de vie commune au vide-ordure en refusant de se geler les couilles pour sortir les poubelles.
Une fois par semaine, ça suffirait pour s’habituer aux souvenirs, non ?
Avec le temps, on fait éclore des fleurs dans les cages d’escaliers, et le parfum des roses atteint le toit depuis la cour.
Même si mon immeuble n’est qu’une architecture bâclée de l’esprit.
Avec le temps, tout disparaît, et puisque tout a déjà été dit dans les chansons, je n’ai plus qu’à rêver, en musique, adoucissant les mœurs d’une espèce inconstante. Musique d’ascenseur où le mot s’est blotti, mais l’ascenseur est en panne, les lieux se suivent et se ressemblent, ne manque plus qu’un lien, ne manque plus de rien, sinon l’errance aux toits du monde…

Dans mon immeuble, je ne cesse de revenir, pourtant.
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constance
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MessageSujet: Re: Mon immeuble (2)   Mon immeuble (2) Icon_minitimeDim 15 Fév - 0:15

Il faudra que j'y revienne, une seule visite ne suffit pas. Petits bouts de vie, petits bouts de sentiments... la première impression est très forte.
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Farouche
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MessageSujet: Re: Mon immeuble (2)   Mon immeuble (2) Icon_minitimeDim 15 Fév - 14:00

J'ai préféré la première à la deuxième partie. Le changement de ton serait un peu brutal ? Je ne sais pas trop. Comme Constance, je pense qu'une deuxième lecture éclaircirait mes impressions.
Toutefois l'ensemble me plaît vraiment. J'aime les chroniques humaines quand elles plongent ainsi avec un regard sincère dans l'Autre.
Merci
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epiphyte
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MessageSujet: Re: Mon immeuble (2)   Mon immeuble (2) Icon_minitimeDim 15 Fév - 15:18

Merci... je précise juste que le texte n'est pas en deux parties, sauf pour raison technique, puisque je n'ai simplement pas pu le poster d'un coup, il était trop long m'a-t-on dit.
La séparation n'était pas prévue à l'écriture, j'ai choisi de le faire au bout de quatre étages sans y réfléchir, au moment de poster.
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MessageSujet: Re: Mon immeuble (2)   Mon immeuble (2) Icon_minitimeLun 16 Fév - 3:05

Cette nouvelle est excellente.
La conclusion élargie tient lieu de chute, et la rend bien ficelée.

Il y a juste un truc qui cloche : tu dis que c'est ton immeuble, mais ton appartement n'y a pas de place ? Ou tu vis au RDC ?

Bravo.
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MessageSujet: Re: Mon immeuble (2)   Mon immeuble (2) Icon_minitimeVen 27 Fév - 23:35

Arg... m'ôte les mots de la bouche le bougre ! Pfff !!!
Ben oui, tu habites où toi, dans cet immeuble de femmes (interdit aux hommes ?), "architecture bâclée de l'esprit", "bâclée" (pas tant que ça) au point d'oublier de t'y installer et ne faire qu'y passer ?


Dernière édition par Lucaerne le Mar 24 Mar - 12:05, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Mon immeuble (2)   Mon immeuble (2) Icon_minitimeSam 28 Fév - 2:31

Ma propriétaire possède tout l'immeuble, elle n'y a pas d'appartement.
Merci en tout cas d'avoir apprécié... pour une fois que c'est une nouvelle d'un bout à l'autre, et non un essai... :-)
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MessageSujet: Re: Mon immeuble (2)   Mon immeuble (2) Icon_minitimeSam 28 Fév - 12:49

epiphyte a écrit:
Ma propriétaire possède tout l'immeuble, elle n'y a pas d'appartement.
Je m'en doutais... Laughing
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MessageSujet: Re: Mon immeuble (2)   Mon immeuble (2) Icon_minitimeMar 24 Mar - 3:40

Il ne se passe rien et il se passe tout. Caméra au poing, et pas n'importe laquelle s'il vous plaît, c'est le grand luxe des images à profusion, des atmosphères d'un palier à l'autre, pour un peu, on sentirait les arômes et les parfums, et puis cette odeur particulière et unique de chaque appartement, comme une entité autour de soi-même entité.
Et ça vit. Et ça bouge. C'est rien que du banal, dont un artiste a fait l'extraordinaire.

Merci encore.
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MessageSujet: Re: Mon immeuble (2)   Mon immeuble (2) Icon_minitime

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