Il était une fois, un petit jardinier.
Bien que d’allure agréable et affable, il cachait en lui un secret.
Son cœur, bien trop grand, n’avait jamais réussi à trouver sa place dans sa poitrine. Afin de continuer néanmoins son travail de régulateur, il s’était placé comme il avait pu, un peu de biais, juste un peu, de côté.
Mais le petit jardinier dont le rêve était d’avoir : « un coeur comme tout le monde », était très malheureux.
Décidé à ne le montrer à personne, il l’avait enveloppé dans une étoffe de soie jaune et l’avait caché au fond de la remise dans une boîte en fer, bien à l’abri des langues acerbes et des moqueries.
Il allait donc dans la vie, son secret à l’intérieur de soi.
Un jour cependant, il rencontra une fille et comme ses lèvres étaient pulpeuses, sa poitrine avenante et ses dents brillantes comme des icebergs, il fut séduit.
Je passe ici sur les prémisses et les péripéties jalonnant ordinairement une rencontre amoureuse pour en venir à ce qui nous intéresse,c'est-à-dire le moment tant attendu du premier baiser…
Le jour du rendez-vous étant donc enfin arrivé, Pipolin sentait son cœur battre de plus en plus fort, ses mains devenir moites et tout son sang comme bouillonner dans ses veines.
Cependant, travaille oblige, il lui restait encore à arroser les fleurs du jardin.
Pourtant, quand il ouvrit la porte de la maison, il s’aperçut que toute l’herbe au pied des arbres était devenue jaune, que toutes les fleurs du jardin avaient fanées et que tous les abricots des abricotiers et les cerises des cerisiers et les citrons des citronniers, étaient secs. Secs, comme des fruits secs !
Pipolin, à la vue de ce spectacle déplorable, fut d’abord tout abasourdi.
Cependant le rendez-vous tant attendu étant proche, il se dit que finalement cela lui donnerait le temps de s’apprêtait un peu mieux et envahi, par l’image de la belle, il se précipita dans la maison pour se mettre un peu du parfum de Jean-Paul Egouttier que sa mère lui avait offert pour son anniversaire.
Quand il entendit dans l’allée les pas furtifs de la belle, son sang ne fit qu’un tour.
« Ha ! Qu’importe se dit-il alors. Après tout, on peut très bien vivre sans jardin ! »
Ensuite, tout alla très vite, Pipolin était d’une nature plutôt fougueuse…
Au moment fatal où, Pipolin approchait sa bouche fiévreuse de la bouche tant et tant désirée, on entendit dans le fond de la remise un grognement sourd qui l’arrêta net dans son élan. La fille, surprise et un peu vexée, tourna ses yeux verts émeraude en direction de l’intrus.
Pipolin, qui avait tout de suite compris de quoi il s’agissait, s’apprêtait à faire diversion et s’était de nouveau penché vers la belle quand il vit soudain, dans regard de celle-ci, une expression qui relevait plus de terreur que du désir.
Ce qu’il ne savait pas, bien sûr, c’est qu’il était devenu, et ce en l’espace d’un quart de temps, rouge pivoine! Rouge, comme une de ces belles tomates du jardin dont il était si fier jusqu’alors ! Puis son teint vira, d’abord au vert olive, jusqu’à atteindre une couleur bleue pervenche translucide qui effraya tant la dulcinée qu’elle s’enfuit, séance tenante, à toutes jambes, sans demander son reste !
Pipolin, se retrouva, là, planté, au milieu de son jardin desséché, excédé, enragé, pestant, frustré…Il se dirigea alors vers la remise, en ouvrit la porte avec fracas, alla chercher dans le tiroir du placard à outils la boîte en fer, dans la ferme intention de se débarrasser définitivement de ce coeur exaspérant qui d’ailleurs n’en était pas à son premier méfait !
Alors son cœur lui dit : « Pipolin, il ne sert à rien de tenter de m’oublier. De me cacher désespérément aux yeux du monde. Laisse- moi reprendre la place qui m’a été confié afin que je te permette de poursuivre ton chemin tout au long des jours et tu sauras trouver ta route parmi les pierres abandonnées, les cœurs meurtris et les herbes sèches. »
Alors Pipolin prend son cœur dans ses deux mains et le replace doucement dans sa poitrine, de biais, afin qu’il ait assez d’espace pour respirer.
Il se baisse, ramasse le foulard de soie jaune tombé à terre et le noue délicatement autour de son cou.
Ensuite, comme c’est toujours le cas dans les contes pour enfants, toutes les fleurs du jardin desséché, tous les fruits, toutes les herbes retrouvèrent instantanément leurs couleurs, leurs chants et leurs parfums.
Depuis ce jour, Pipolin n’eut plus jamais honte de son cœur posé de travers dans sa poitrine et on peut le voir se promener fièrement dans les rues de la ville, son panier de roses trémières sous le bras.
L’autre jour, il a croisé les yeux de Pépette, la fille du marchand d’oiseaux.
Mais, là, je ne vous en dirai pas plus car, c’est une autre histoire…