Cinq heures du matin.
Un rayon pourpre de feu traverse les volets de bois.
Dans mon petit lit, calfeutrée, au milieu des bosses de coton, délicieuses, j’écoute.
Elle se lève.
Elle, c’est ma grand-mère « Taya » qui signifie grand-mère en Tchèque.
Du moins, c’est comme ça que l’a surnommée un jour son beau-fils, un émigré, bel homme! travaillant au Casino de Monte Carlo.
Taya donc, ma grand-mère dans sa maison sur la colline face à la mer rouge et violine et ses matins vermeils que j’ai gardés si longtemps dans les replis de mon cœur…
De son lit, composé comme il se doit de deux gros matelas en laine, Taya se lève, petite femme maigre, pose ses pieds encore si jolis sur le sol dallé de la chambre.
La chambre : deux lits. Un très grand et très haut pour elle, un tout petit pour moi. Un placard, une table de chevet, une coiffeuse et son miroir avec au dessus, un christ qui dort.
Deux portes : celle qui donne sur le salon, immense, décoré des portraits de Pascal Paoli à gauche et Louis Napoléon Bonaparte à droite et puis celle qui donne directement dans la grande cuisine et qu’on ouvre en faisant pivoter un tout petit morceau de bois.
Attention à la marche!
Je ferme les yeux.
Dehors, le gloussement des poules de Marie (oui, les poules de Marie gloussent!) et le cliquetis de la clochette de l’âne de Martin s’entrelacent; tintinnabulent.
Elle, est dans la cuisine. J’entends le son de l’eau qui coule dans la casserole pour le thé : un thé noir, terrible !
Je me lève dans la pénombre de la chambre avec son haut plafond voûté, voûté comme la petite vieille toujours en deuil et son œil rieur… je cherche mes pantoufles …sous le lit…sans bruit, me dirige vers la fenêtre.
Par un tour de main délicat, j’ouvre le volet comme s’ouvre le rideau d’un spectacle qui commence et là : avant même de voir le jour s’épanouir sur la mer, le parfum du maquis m’envahit, terrible, presque pénible comme ce ciel à présent déchiré qui dessine au dessus de la colline ses dômes fatigués de couleurs.
Quand, les yeux brûlés de merveilles, j’aperçois enfin le soleil, derrière la colline rouge, je m’abîme dans la salutation du jour.