LE CERCLE Forum littéraire |
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| Il est grand temps de vous parler de Jeanne | |
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epiphyte Gardien de la foi
Nombre de messages : 200 Age : 48 Date d'inscription : 10/07/2007
| Sujet: Il est grand temps de vous parler de Jeanne Dim 28 Juin - 23:33 | |
| Bien sûr, je pourrais faire dans l’écologie. Un bon texte en prose à mettre au vert, ça ne peut pas vraiment faire de mal. Je vois tout à fait le genre. Un genre de création pseudo-artistique, pseudo-littéraire, pseudo-scientifique, pseudo-intellectuelle même, pourquoi pas, certains le font avec moins de cent-vingt mots au vocabulaire, alors pourquoi pas en effet, se donner un genre à travers des pseudos. Plonger sa plume à l’écolo, ça soulage le politique qui n’a pas encore trouvé la bonne façon d’en parler et n’en a pas envie, du reste. Ca donne bonne conscience aux élites par procuration, ça ouvre les yeux du petit peuple, celui qui ne décide rien, celui qui subit seulement, bien à l’affût des directives, puisque c’est le geste quotidien du tout-venant qui finira par réélire la majorité, et s’il faut pour cela vous conduire aux urnes par la force, nous trouverons bien les moyens, à condition d’économiser l’eau quand tu te laves les dents si jamais tu te laves, bien entendu. Bien sûr, je pourrais faire dans l’écologie, en survolant le monde à bord d’un hélicoptère probablement électrique, tout devient possible, et ceux qui n’en ont pas besoin ouvrent les yeux pour les autres. Moi, ça pourrait me rapporter du fric pour engrosser l’hélicoptère en vue d’un futur projet de circonstance.
Mais la bonne conscience, autant que la circonstance, je me les fourre bien profond en tentant si possible d’y prendre plaisir, sinon à quoi bon ? Ca s’appelle profiter de la vie. Et même si je sais bien que ce que je nomme profit, la majorité d’entre vous le considère comme addiction dépravante, ça s’appelle vivre, tout simplement.
Vivre sans écrire est l’utopie des illettrés. La récréation du cerveau. Le soupir de l’âme. Profiter sans écrire, c’est vivre sans respirer.
Quelqu’un qui respire, dans un texte, c’est déjà de l’écologie, quelque part. Je ne le mérite pas. Vous ne le méritez pas. Elle non plus, ne le mérite probablement pas. Mais Jeanne…
Il est grand temps de vous parler de Jeanne. Quatre-vingt cinq ans de respirations, ça force l’admiration… Jeanne.
Jeanne, c’est cette petite bonne femme qui traîne son cabas sur le trottoir jusqu’à la supérette du coin, et non merci pas besoin d’aide pour traverser, cette route-là respirait encore la terre bien avant que tu ne sois née, pauvrette ! Et pas besoin de photos non plus parce que la mémoire de Jeanne c’est un livre ouvert à tous les illettrés du quartier, c’est pas le bitume qui lui fera perdre ses moyens, à la Jeanne. Jeanne, c’est le petit rayon de soleil du cœur de Paris, toujours sourire, toujours d’entrain, toujours discrète, néanmoins. Vous lui parlez de rien et elle sait déjà tout. Vous lui parlez de tout et elle n’y change rien. Jeanne sait vivre avec son temps, et les temps ont bien changé, mais quand on sait y faire on s’adapte sans en avoir l’air. Jeanne, c’est une virgule au temps qui passe, ça fait du bien quand on l’écrit.
Jeanne part faire les commissions, puisqu’elle sait prendre son temps, rien n’est affaire de course. Tout vient à point, qu’elle répète parfois, quand personne n’écoute vraiment. Elle sait attendre le point du jour, et part faire les commissions à l’ouverture des magasins, vous comprenez, c’est mieux quand il y a moins de monde, ça dérange moins, c’est plus simple, aujourd’hui tout le monde voudrait son heure de gloire mais l’anonymat, quand on y croit, c’est simple comme bonjour. Elle dit bonjour aussi, parce que tout se perd dans ce monde-là. Mais Jeanne connaît bien son quartier, il n’est pas question de se perdre, et puis si ce jour-là débarque, à la guerre comme à la guerre, Jeanne aura des alliés. Tout le monde connaît bien Jeanne, ici. Et Jeanne a bien connu la guerre, alors… Ca ne sert à rien de se fourvoyer en souvenirs, dire bonjour ça ne veut pas dire s’étaler, parler des autres ça ne veut pas dire parler de soi. Jeanne a compris depuis longtemps. Le temps tire les ficelles, et l’anonymat se joue du temps. L’air de rien.
On tient la porte à Jeanne quand elle sort du magasin, mais on fait l’air de rien, pour pas qu’elle s’en rende compte, parce que dans sa tête, elle a vingt ans, la Jeanne, et si le corps ne suit plus ça pourrait tout foutre en l’air. L’éclipse d’un soleil de quartier, c’est la déprime assurée.
Jeanne, elle connaît tout le monde, et tout le monde connaît Jeanne. Dans la rue, sur le trajet, elle y va toujours de son petit mot gentil. Le prix du lait qui finira bien par baisser, les enfants qui réussiront mieux la prochaine fois, la cousine qui repassera forcément sur Paris dans l’année, et l’assurance qui consolera ce petit larcin si anodin ; une de perdue dix de retrouvées, mais dans sa bouche le moindre dicton fait acte de prédiction. Quand elle ne trouve rien à répondre, une petite anecdote probablement d’invention vient égayer le cœur du quidam désœuvré. Tout le monde connaît Jeanne, et Jeanne connaît tout le monde. Pourtant, hormis son âge…
Quand Jeanne quitte l’ascenseur, elle sort ses clefs du porte-monnaie glissé au fond du sac en toile. Elle ouvre la porte méticuleusement, en frottant le paillasson avec ses pieds, pour nettoyer le paillasson, puis elle pénètre dans le vestibule. Le sac en toile est plein de commissions, alors elle file à la cuisine, mais au passage elle jette un œil au buffet du couloir. Un petit regard de rien, plein d’amours maladroites, plein d’émotions furtives. Jeanne range son frigo pour mieux ranger sa vie, si tout est bien rangé elle pourra mieux se souvenir. Et mieux laisser paraître. Un rayon de soleil, ça ne s’improvise jamais. Il lui en a fallu, du temps, pour en glisser sur le buffet. Personne ne vient jamais jusqu’au buffet, mais sait-on jamais, si un jour l’inattendu s’offre aux anonymes, Jeanne est prête. Prête à respirer encore. Et des respirations comme ça, ça se raconte autant que ça se vit… | |
| | | constance Prophète
Nombre de messages : 4029 Date d'inscription : 07/07/2007
| Sujet: Re: Il est grand temps de vous parler de Jeanne Lun 29 Juin - 22:20 | |
| Quel joli texte... Je te vois bien sauter en l'air. Quoi, "joli", quelle horreur ! Mais c'est le cas. Je trouve très touchant ce portrait, tout simple. Je suis bien contente d'avoir fait la connaissance de Jeanne. Ah, et une précision : les gens ici sont super écolos, ils ne se lavent pas. Au vu de l'odeur dans le métro par ces temps de canicule, je confirme. | |
| | | Farouche Gardien de la foi
Nombre de messages : 452 Date d'inscription : 22/05/2008
| Sujet: Re: Il est grand temps de vous parler de Jeanne Mer 1 Juil - 11:25 | |
| J'avoue ne pas bien voir la nécessité du préambule Mais si je commence par "Il est grand temps de vous parler de Jeanne" alors, je me régale. Jeanne, "ça fait du bien quand on l'écrit", et aussi quand on la lit. | |
| | | epiphyte Gardien de la foi
Nombre de messages : 200 Age : 48 Date d'inscription : 10/07/2007
| Sujet: Re: Il est grand temps de vous parler de Jeanne Mer 1 Juil - 12:21 | |
| Je suis d'accord pour le préambule. Il s'agit là d'une ébauche de troisième chapitre, car j'ai déjà parlé de Jeanne en vous parlant de Raoul, et cela commencera bien sûr par cette phrase de titre... Merci :-) | |
| | | Mel Disciple
Nombre de messages : 48 Age : 36 Date d'inscription : 21/05/2009
| Sujet: Re: Il est grand temps de vous parler de Jeanne Sam 4 Juil - 0:43 | |
| Salut Epiphyte,
Je dis comme Farouche (et comme toi) pour le préambule, même si ça peut être un bon moyen de faire languir le lecteur... et puis tu y dis des choses intéressantes.
Peut-être le raccourcir ?
Et tout de suite après, entrer dans le portrait de Jeanne, très réussi.. parfaitement visualisable. | |
| | | Lucaerne Maître
Nombre de messages : 1339 Age : 59 Date d'inscription : 11/12/2008
| Sujet: Re: Il est grand temps de vous parler de Jeanne Jeu 16 Juil - 16:26 | |
| J'ai moi aussi l'impression de lire deux textes différents. Tous les deux intéressants, mais dissociés. Malgré cela, ce "Quelqu’un qui respire, dans un texte, c’est déjà de l’écologie, quelque part" est tellement bien trouvé ! Après, il y a Jeanne. Tu parles magnifiquement des gens (Raoul, Jeanne...), à tel point que j'aurais bien envie d'un livre de toi qui raconterait ces gens, ces anonymes. Tu es aussi un talentueux jongleur d'idées. Par exemple, je lis "Jeanne part faire les commissions" et je me dis "tiens, quelle expression désuète, les commissions, j'aurais plutôt dit faire les courses". Et puis tout de suite l'explication : "puisqu’elle sait prendre son temps, rien n’est affaire de course". Et ce n'est qu'un exemple, il y en a tant d'autres ! | |
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| Sujet: Re: Il est grand temps de vous parler de Jeanne | |
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