Il est temps de vous parler de Raoul

Il est temps de vous parler de Raoul.
Raoul fait partie de ces gens qui n’aiment pas prendre le métro et n’y sont heureusement que très rarement obligés. Raoul ne travaille pas, il n’a pas tellement d’amis en dehors de son quartier, alors Raoul n’a pas besoin de prendre le métro tous les jours et il s’en porte mieux.
Il ne s’en porte pas plus mal, en tout cas.
Aujourd’hui Raoul a dû prendre le métro, rien que l’idée l’exaspérait.
Il s’est habillé comme un dimanche.
Comme il ne travaille pas, c’est vrai que pour Raoul c’est tous les jours un peu dimanche, mais aujourd’hui il a mis des vêtements propres et bien repassés, ceux qu’il ne met pas tous les jours, justement, parce que Raoul ne repasse pas et c’est sa voisine Jeanne qui, de temps en temps, accepte de repasser les habits des dimanches de grandes occasions.
D’occasions, en tout cas.
Raoul ne voudrait pas abuser de la gentillesse de Jeanne, il lui apportera des fleurs en rentrant ce soir, et puis songera sereinement à l’éventualité d’espacer les occasions du dimanche, les vêtements ça s’use vite, surtout dans le métro.

Raoul s’est accroché à la barre, il y avait plein de places assises, mais les vêtements ça se salit vite, surtout dans le métro.
Raoul est resté debout.
Il avait encore au bord des yeux les larmes de ses compagnons, sincères rescapés du temps qui passe, fidèles compagnons du voyage jusqu’à la dispersion des cendres, quand il s’est souvenu ne pas avoir pleuré lui-même.
La vie est trop courte pour la noyer de larmes.

Raoul est sorti très vite de la rame déserte, il a escaladé les escaliers quatre à quatre, et a buté sur une bonne femme qui traînait sa valise en ruminant son mal de dos.
Raoul l’a doublée.
Raoul ne l’a pas regardée.
Mais Raoul l’a entendue, et les habits du dimanche n’y ont rien changé.
Ah ! La galanterie, ça se perd.
C’est ça, qu’elle a dit, la bonne femme ruminante.

Et Raoul, qui n’aime pas les couloirs du métro plus que le métro lui-même, qui n’avait pas envie de sortir aujourd’hui mais s’est senti obligé d’essuyer les larmes de ses amis à l’enterrement du plus vieux, Raoul qui aurait préféré éviter d’avoir une fois de plus à demander à Jeanne un service, Raoul pressé d’acheter des fleurs pour les noyer de ces larmes qu’il n’a pas eues, Raoul, cette petite phrase de rien, ça l’a énervé.
Il s’est retourné vers la bonne femme, d’un coup d’un seul, et lui a fracassé ses mots sur la tronche, le Raoul.
Les hommes redeviendront galants le jour où les femmes voyageront léger.
Il a presque hurlé, même.
Et puis il s’est senti tout con.
Il y avait là des gens qui se sont arrêtés, qui l’ont regardé dans ses habits des dimanches de grandes occasions, et qui n’ont rien osé lui dire, bien sûr, mais n’en pensaient pas moins.
Les gens qui se promènent dans le métro ne pensent jamais moins qu’ils ne disent.

Raoul s’est empressé de remonter à la surface, et puis il a acheté le plus gros bouquet tout fait chez le fleuriste. C’est vrai qu’il aurait pu patienter le temps qu’on lui prépare un bouquet original, mais si c’est l’intention qui compte, parfois, un bouquet tout fait, c’est bien.
Raoul a sonné chez Jeanne.
Jeanne a mis du temps à répondre.
Et comme Raoul s’impatientait à sonner encore une fois chez Jeanne, peut-être un peu trop bruyant aux dimanches sans occasion des nantis, une porte s’est ouverte dans son dos.
Les nantis sont partout, parfois ils prennent le métro pour faire semblant de vivre.

Raoul s’est retourné doucement, l’air de rien, et l’air de rien une petite larme a glissé sur les fleurs du bouquet tout fait, tout doucement.
Et puis très vite, la vie de Raoul a basculé.
Mais c’est une autre histoire.

Prophète Nombre de messages : 4029 Date d'inscription : 07/07/2007

Raoul est une sacrée énigme... j'attends la suite en tous cas.
Bizarre, mais ça fleure bon la province, ton texte. Il reste quelques "vieux", dans mon quartier (ceux que les bobos environnants n'ont pas réussi à chasser), qui sont tout à fait comme cela.

Guide Nombre de messages : 510 Age : 59 Date d'inscription : 12/12/2008

" ça fleure bon la province " ?

Moi, je trouve que ça sent Paris...
Ça sent le métro et la naphtaline...
Et l'œillet du bouquet.

Prophète Nombre de messages : 4029 Date d'inscription : 07/07/2007

Mais la Bourriquette, il y a des coins de Paris très provinciaux.
Chez mes petits commerçants de quartier, ceux qui restent du moins, je vois encore des personnes très âgées venir, et une fois j'en ai entendu un dire : "Bon, cet après-midi, je descends sur Paris".
Il faut dire que j'habite tout en haut de Belleville, près de l'église Jourdain, c'est le genre de quartier qui a toujours revendiqué son autonomie, comme la commune de Ménilmontant. On a pas mal d'activités locales, notre vide-grenier annuel, et une association de commerçants plutôt active.
Cet homme que décrit Epi, c'est un peu mon quartier, des personnes âgées qui passent tous les matins à la même heure par le même trajet, les boutiques ouvertes sur la rue qui permettent aux commerçants de dire bonjour à leurs bons clients. Même sur ma ligne de métro, une toute petite ligne la N° 11, je croise plein de gens que je connais, et on papote.
J'en profite pour passer un petit bonjour à Dédé, la plus ancienne habitante de notre immeuble, installée en 1950 avec son fils, déjà veuve. Elle avait été opérée des hanches très jeune, et marchait tout doucement. Mais tous les jours elle descendait et remontait ses 4 étages. Bien sûr, il y avait des haltes, chez les commerçants surtout, ce qui permettait de faire des pauses et papoter, et enfin sur le banc que nous avons installé dans le premier jardin. C'était son poste d"observation, je la retrouvais là dès les premiers beaux jours, ses copines du quartier la rejoignaient, on descendait de l'orangeade et on blablatait.
Elle est morte il y a deux hivers déjà, une grande partie de la mémoire du quartier est partie avec elle. C'était une sacrée râleuse en plus, et une pipelette patentée, je suis sûre qu'elle a du baratiner saint pierre pour qu'il l'accepte chez lui, et qu'elle a exigé un banc à l'entrée du paradis, histoire de surveiller son monde. Un p'tit bonjour, Dédé. On a planté pas mal de fleurs dans le jardin, ça te plairait.

Guide Nombre de messages : 510 Age : 59 Date d'inscription : 12/12/2008

hihi je connais un peu Paris et sa "province" ... Mon ex mari est de boulogne billancourt... Je me rappelle d'ailleurs mon ex belle-mère qui était toute fière d'emmener mes ainés (sans m'en parler) , qui avaient alors 3 et 5 ans, chez sa voisine du dessous, une vieille dame malade, amputée des deux jambes... mourante. L'horreur ! Ils en ont été choqués, les pauvres...

Belleville je connais aussi, j'avais une amie qui vivait là et que j'allais voir de temps en temps . Chouette quartier.

Ce que tu décris , c'est ce que mon père appellait : "les bouseux de paris" ! Ceux qui n'ont jamais quitté leurs quartiers, quoi...

Mais bon, pourquoi dire que c'est "provincial" ... C'est paris, tout ça, et puis c'est tout !

On dirait qu'il y a paris d'un côté et la province de l'autre... Non , il y a paris, lyon, marseille, agen, montpellier, tartempion-les-bains, ...

Et des gens qui vivent partout, et des petits commerçants partout... et des petits vieux partout.
Dés qu'on voit un petit commerçant à Paris ça devient exotique ... alors que les hypermarchés et les grandes surfaces y'en a sûrement autant en "campagne" que dans les grandes villes...

Maître Nombre de messages : 1339 Age : 59 Date d'inscription : 11/12/2008

Ton texte est une vraie gourmandise, Épiphyte ! On rit, on pleure, il est plein de tendresse et de pointes d'acidité... J'adore ton Raoul, je l'imagine, je pourrais presque le toucher et lui parler (je voyage léger, je le rassure !).
Le titre aussi me plaît énormément.
J'attends le roman ! bounce

Guide Nombre de messages : 586 Date d'inscription : 09/08/2007

Y'a pas de suite, hein, y'a pas de suite ? Hein ?? !!

Gardien de la foi Nombre de messages : 452 Date d'inscription : 22/05/2008

Moi aussi, j'apprécie et je lirais volontiers une suite.
Mais y en a-t-il une après tout ?

» Il est grand temps de vous parler de Jeanne
» Conversations avec le temps du temps en trois temps
» Inspecteur Raoul
» Et pour la route, vous parler de moi...
» C'est la vie, le temps.