LE CERCLE
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

LE CERCLE

Forum littéraire
 
AccueilPortailGalerieRechercherDernières imagesS'enregistrerConnexion
-17%
Le deal à ne pas rater :
(Black Friday) Apple watch Apple SE GPS + Cellular 44mm (plusieurs ...
249 € 299 €
Voir le deal

 

 Comme un semblant d'ordinaire (8)

Aller en bas 
2 participants
AuteurMessage
epiphyte
Gardien de la foi
Gardien de la foi



Nombre de messages : 200
Age : 48
Date d'inscription : 10/07/2007

Comme un semblant d'ordinaire (8) Empty
MessageSujet: Comme un semblant d'ordinaire (8)   Comme un semblant d'ordinaire (8) Icon_minitimeLun 18 Jan - 1:06

Me revoilà cette année-là, à nouveau plongé aux souvenirs du stage.
Nous étions trente, comme un seul homme, à déplorer impuissants nos liens rompus avec le monde. Nous étions trente, et trente autres nous croisaient parfois entre les murs absurdes de cette caserne de ville, au détour d’une marche au pas laborieusement rythmé par nos chants de guerre, tous plus ridicules les uns que les autres.

Combien de fois l’a-t-on parcourue, cette petite piste ?

Ce sont les seules paroles dont je me souvienne, qu’un grand type devait lancer pour donner le ton, avant d’être repris par notre chœur désarmé de civils transis de froid. Trente types peaufinant leurs pas-chassés pour récupérer le pas perdu, trente types tournant en rond la gueule ouverte, crachant des textes à l’insipide avoué.
Ce fut l’une de nos activités les plus récurrentes, et j’eus de la chance cinq mois plus tard d’être désigné pour garder le Fort avec quelques autres, évitant le défilé du quatorze juillet que je n’ai plus jamais regardé du même œil depuis.
Comme la Marseillaise.
Cette Marseillaise honteusement rageuse qu’on nous fit chanter des centaines de fois au garde à vous, avec quelques poings dans le bide de la part des gradés lorsqu’une voix semblait trop mélodieuse pour le contexte.
Le plus ridicule était la méthode militaire du chant, qu’on nous apprit de force, naturellement, car il s’agissait de terminer chaque vers par une coupe abrupte des syllabes chantantes. Saccadée, sans musique, l’hymne national prenait une allure de canon lâchant ses coups, nous tirions à chant réel, et nous recommencions sans cesse, à toute heure du jour ou de la nuit, selon le désir hiérarchique.
On ne se demande plus pourquoi, après ça, je ne peux plus aspirer aux préliminaires des matchs de football qu’en plus je trouve trop insipides pour vraiment avoir envie de les regarder en chœur.
Comme tout autre sport qui se vit sur canapé, une bière à la main, avec un mot à chaque temps mort pour la pute qui festonnait la veille au lit du prochain, ni pute ni soumise, brandissez-le tant que vous pourrez, vous ne changerez jamais aux yeux des hommes.
Et comme c’est d’usage, le passage à l’armée a fait de moi un homme.

Par chance, l’amour me faisait tenir.
Pas le vrai amour, mais l’amour fou, dont j’ai déjà parlé.
Et si à l’époque la folie de sensations ordinaires ne m’avait pas encore fait basculer du côté obscur du sentiment, je crois malgré tout que je préfère la folie de l’amour à celui des hommes en devenir.

Nous chantions au garde à vous, nous chantions en marchant au pas, nous chantions sous la douche… des marches militaires et des Marseillaises insipides qui perdaient tout leur sens.
Nous chantions comme on casse des cailloux, par obligation militaire, dans un enclos bien gardé à l’ombre du monde civil.
Tout cela pourtant ne m’ôta heureusement jamais l’envie de chanter, j’écrivis même plus tard une chanson sur le sujet, mais comme le reste j’ai fini par tout oublier.

Mais je n’oublie pas vraiment, puisque me revoilà à nouveau plongé à l’enfer de cette année-là.
Si chanter avait été la pire des souffrances, encore, j’aurais depuis longtemps bâclé tout cela dans un mauvais roman qui se vendrait en librairie en concurrence déloyale aux premières merdes de Marc Levy…

Je sais, je reçois de nombreux courriers de lecteurs mécontents de m’accompagner ainsi à dénigrer des gens de mon espèce qui, s’ils manquent assurément de talent, permettent au moins au reste de la profession de vivre de leur plume.
Je sais.
Mais rassurez-vous, mes sentiments d’adolescent sur le métier d’écrivain ont bien changé depuis, et j’ai fini par adhérer à cette association répandue, à juste titre, de l’oisiveté et de la création, de la médiocrité et du succès, de l’aboulie et du talent.
Rassurez-vous encore, je n’en veux pas davantage à un Marc Levy qu’à un Guillaume Musso, et je n’en veux pas davantage à une Amélie Nothomb, qui, si elle avait probablement tout le talent nécessaire à une vraie carrière littéraire, a fini par s’endormir comme les autres sur des romans où le nom de l’auteur prime sur le titre, et bien davantage encore sur le contenu.
Il en est de la littérature comme de tous les arts.
Vous pouvez continuez à m’envoyer des lettres d’indignation, cela me fait de la réserve pour la cheminée, et je préfère encore cela que de devoir acheter les injures à la littérature que nous offrent les gens que je cite ici impunément.

Vous savez comme moi que bientôt, l’un de leurs ouvrages vous sera offert pour l’achat de deux meubles Ikéa, et dans l’ascenseur qui vous ramènera au tendre bercail d’un quotidien désabusé par tant d’amour conditionné, vous vous délecterez encore de musiques édulcorées oubliées aux additions.
Vous le savez comme moi, et vous vous résignez.
Et comme vous, submergé par les obligations d’une société qui met grandement l’humanité en danger, mais inconscient volontaire pour plus de facilité, j’oublie le style élémentaire et j’oublie le désir du mot, maître soudain de mon destin presque autant que de ma ponctuation, et vous constatez comme moi que nous ne sommes plus capables de rien lorsque l’esprit se la joue rebelle.
Yo.
Ne restent jamais que les souvenirs, flammes soufflées aux veillées du cœur, quand le monde s’endort un peu, ou fait semblant, ou fait l’air de rien, ou fait dans son froc à force de faire n’importe quoi.

Ma mémoire a tendance à penser que mes dix mois d’armée furent le plus grand n’importe quoi de toute ma vie, pourtant, quand j’y songe vraiment, j’ai fait bien pire en me guidant moi-même, et je continue malgré moi.
Ou pas.
Puisque je savoure la liberté.
Celle de chanter quand bon me semble.
Et d’essayer d’en profiter.
Ou pas.
Revenir en haut Aller en bas
http://www.lesepiphytes.com
constance
Prophète
Prophète
constance


Nombre de messages : 4029
Date d'inscription : 07/07/2007

Comme un semblant d'ordinaire (8) Empty
MessageSujet: Re: Comme un semblant d'ordinaire (8)   Comme un semblant d'ordinaire (8) Icon_minitimeLun 18 Jan - 1:33

Hum, pas tendre le guillaume... je connais cette façon toute militaire de chanter, ça a de la gueule quand ce sont les légionnaires qui crachent, parce qu'ils sont carrément crédibles et ça fout la pétoche (ils sont aussi fondus du bulbe, mais ça fait partie de leur charme). Pour le pauvre troufion de base, c'est un peu ridicule.
Continue, continue à chanter, ça n'a rien à voir avec ces pauvres travaux appliqués.
Revenir en haut Aller en bas
http://eaux-douces.bloxode.com
 
Comme un semblant d'ordinaire (8)
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Comme un semblant d'ordinaire (1)
» Comme un semblant d'ordinaire (2)
» Comme un semblant d'ordinaire (3)
» Comme un semblant d'ordinaire (4)
» Comme un semblant d'ordinaire (5)

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
LE CERCLE :: ECRITURE :: Nouvelles, feuilletons, romans-
Sauter vers: