Un habit de chlorophylleL’être est d’abord moitié brute, moitié forêt ;Mais l’air veut devenir esprit ; l’homme apparaît.*Trésors d’amour propre recouverts d'empathie de pacotille.
Trésors frappés de certitudes.
Trésors entassés au fond des poches, cousus à l’intérieur des frusques, confondus aux épaulettes.
La carrure est belle, mais l’homme ainsi harnaché, avance rembourré comme le bât d’un mulet,
puis s’écroule sous le poids des ses biens qui l’attachent.
Il est temps pour l’homme de se glisser dans un habit de chlorophylle dont les fibres de la limbe regorgent d’énergie végétale.
C’est l’heure où les jours rallongent et où l’on peut tendre une nappe sur les auréoles des pâquerettes,
les crocus perceront de leurs tiges florales la blanche surface pour y ouvrir leurs calices.
La table est dressée pour le festin champêtre ; les enfants dansent de joie et saisissent la main de leur tuteur.
Des amulettes volantes aux élytres vermeilles chatouillent l’air et frôlent les corps légers.
Derrière le rideau des lucioles, un grand fossé…faut-il écarter le voile et oser un regard sur la voie de terre au-delà ?
Un autre monde à portée de main, un autre monde et l’on voudrait soustraire l’enfant à cette vue !
Peut-on s’y aventurer et être assuré de ne pas lâcher la main de notre protégé ?
Il faut une grande force pour tenter la traversée ; personne ne peut prétendre la posséder.
La seule protection ; une cuirasse de douceur invisible.
On ne peut ignorer l’humanité en marche, il ne reste qu’à se fondre en elle mais en tâchant de voir clair en soi. Jusqu’au fond de soi-même.
Il faut sortir et s’immerger dans la horde en décomposition ; ce fleuve sombre qui charrie des corps, pas tout à fait vivants, pas encore morts.
Des êtres rampent dans la poussière, leur chair en lambeaux perd sa consistance, ils suivent un cerbère aux multiples têtes,
ils s’enchaînent les uns aux autres et s’articulent fébrilement en ondulations flasques.
Chaque être est un maillon que talonne le maillon suivant et ils avancent dans une morne agitation.
Traverser la voie sans être hypnotisé par ce mouvement impérieux. Sans paniquer, avancer en gardant l’équilibre pour ne pas sombrer et se laisser happer par cette nature mouvante.Personne ne provoquera la chute ; aucune hostilité, il n’y a rien de mal intentionné nulle part, juste un flux fascinant.
Le regard observe un simple mouvement de souffrance qui se propage avec vélocité. Puissance de ce mouvement ! Son attraction nous saisit et laisse entrevoir la facilité avec laquelle on peut devenir matière mouvante.Ils sont tous si absorbés, et si vides, le cerbère ne les contraint en rien, ils suivent…
Je me demande si le simple fait de redresser la tête, d’adopter la posture du cobra, ne suffirait pas à rompre la chaîne de douleur.
La joie est-elle d’une fluidité inexorable ?
Non, elle est étincelles d’instants, elle est pétillante et se laisse contempler dans l’acte d’être au cœur même de la chair.
Elle est allégresse verticale, unité indissociable à la nature humaine, une force volante comme l’est l’oiseau par sa propre nature.
Dans l’intimité de la chair, la totalité de l’être humain et la joie ressentie viscéralement produisent un embrasement suave.
Un frais parfum sortait de touffes d’asphodèles*…mes sens anesthésiés n’ont pas perçu les senteurs des prairies infernales.
J’ai vu par contre dans les broussailles les petits points verts des feuilles du chèvrefeuille des bois.
La nature prépare déjà la fête du printemps, sans hâte je vais, mes pas suivant le rythme harmonieux des saisons et les yeux levés vers le ciel.
Ce soir des nuages formant un anneau orangé voguaient par-dessus les arbres de la petite forêt.
* Victor Hugo (La légende des Siècles)
Garance, le 25 janvier 2010