conte moderne

Par Guy Makhno

(petit conte de la violence sociale ordinaire).Au dépôt K., perdu entre les blocs HLM suintant la misère et la sueur du travail pauvre, les strates hiérarchiques sont établies par étage, comme souvent. Plus tu montes, moins il y a de personne et de travail mais plus tu gagnes d'argent. Nous, les inconnus et méprisés des "gens d'en haut", sommes au niveau du bitume et du caniveau, avec cette odeur silencieuse de dos brisés et de mains écorchées, comme oubliés et sous payés. Plus tu descends, plus il y a de monde et de travail, moins il y a de rémunération. Mais sans base, il n'y a pas d'édifice. Sans ceux d'en bas et leur sueur, il n'y a pas ceux d'en haut et leur puissance inaccessible et intouchable. Au nom et avec les "gens d'en bas", arrivant et sortant du travail la nuit, je dégueule le salariat que j'assume pourtant, comme une des nombreuses taules assassines de ce monde de mort. A l'heure où rentrent les travailleurs de la nuit et où commencent les travailleurs de l'ennui, les gens d'en bas n'ont de compte à rendre qu'aux gens d'en bas. La haine est palpable, comme la poussière et le vacarme de la crasse sur nos peaux fatiguées et usées, survivantes, mourantes, haletantes. Si ceux d'en haut faisaient l'erreur de descendre en enfer, il y aurait du sang. La kalach dans les yeux et dans les mots, l'évidence qu'une étincelle embraserait tout l'édifice. Bref la violence sociale ordinaire dans toute sa norme.

J'espérais secrètement, en postant nu ce texte un peu brut d'un ami à moi, quelques réactions de curiosité, ou l'une ou l'autre question sur sa présence ici.
Je dois me rendre à l'évidence, j'aurais dû le présenter et expliquer succinctement les raisons de ce choix.

Il s'agit donc de la prose d'un jeune ami strasbourgeois, qui, après être sorti major de promo de son master de philosophie, se voit dans l'obligation de faire une "pause travail" avant de pouvoir s'offrir une tentative de CAPES.

Il constate amèrement que plus il bosse à la chaîne, moins il a de moyens financiers et encore moins de temps à consacrer à la préparation de cette épreuve pour le moins ardue.

Je trouve ce texte poignant, grinçant, et révélateur de nombreux tumultes sociaux dont j'aurais aimé débattre ici avec vous tous.

Merci Kavali d'ouvrir ainsi le débat, je crois qu'il était intéressant que tu donnes effectivement le contexte de ce texte. Tel quel, il apparait comme une critique un peu brute d'un questionnement mainte et mainte fois abordé. En nous livrant l'histoire de son auteur, je pense qu'on comprend un peu mieux la hargne et le désespoir qui transparaissent.
Le niveau de vie des étudiants est devenu de plus en plus tragique depuis quelques années. J'exclus bien sûr les jeunes qui peuvent bénéficier de l'aide de leurs parents, et donc loger, manger et étudier dans des conditions décentes. Ils deviennent de moins en moins nombreux.
Et puis la "masse laborieuse" des étudiants, ceux qui rament pour avoir où dormir, habitent dans des campings ou squattent de copains en copains, qui mangent dans les associations et cumulent quelques petits boulots mal payés. Comment se concentrer sur son travail dans ces conditions ?
Le texte que tu nous présentes n'a pas l'air d'aborder spécifiquement la condition estudiantine, mais une frange plus large de population maltraitée et exploitée.
Mais dis-moi, si cet étudiant n'a pas les moyens de continuer, et s'il a obtenu de si bons résultats, excuses-moi d'être naïve, n'a-t-il droit à une bourse ou des aides ?

C'est justement de cet esclavage moderne dont j'aurais souhaité débattre ici, non de la condition estudiantine, qui n'en reste pas moins vaste et épineuse.
Cet ouvrier qui met des mots sur sa haine n'en est qu'un parmi tous les autres, qu'il soit étudiant ou non.
Le texte en lui même est porteur d'une foule de questions, je trouvais intéressant justement de ne pas dévoiler son contexte afin d'éveiller un débat sur la crise présentée et non sur celui qui la subit, ni son origine.

" petit conte de la violence sociale ordinaire"

violence de l'école, violence du travail, violence économique, écologique... l'humain se met en scène dans un monde violent, tyrannique, despotique, et semble n'y trouver, malgré une aversion profonde de sa condition, aucune échappatoire...

Je ne sais pas, je ne peux que parler de mon cas, et effleurer celui de ceux que je connais.
Je ne suis pas malheureuse de mon sort, bien qu'ayant mon lot de peines, de chagrins, de déceptions et de violences subies.
J'ai pas mal galéré au début de ma vie professionnelle, mais j'ai pu m'orienter vers un métier que j'aime et qui donne un sens à ma vie. Ca parait étrange à dire dans un tel contexte mais je l'exerce depuis 22 ans sans me lasser. J'ai pourtant pas mal souffert, travaillé dehors par tous les temps, fait des 65 heures par semaine (pas payées, les heures sup), et j'ai des responsabilités pesantes, mais j'aime ce que je fais et tant que je m'estimerai utile, je supporte les aléas.
Ayant la chance d'apprécier mon métier, et d'en vivre correctement, je ne cherche pas particulièrement d'échappatoire. J'en ai néanmoins, puisque je danse et je lis pratiquement pendant tout mon temps libre.
Ayant trouvé un équilibre, je peux ainsi me tourner vers les autres, l'immensité du monde, et tenter d'apporter mon minuscule soutien à ceux qui n'ont pas cette chance.
Voilà ma toute petite expérience.