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 Le Seigneur est un gars très très occupé

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2 participants
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Donaldo75
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Donaldo75


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MessageSujet: Le Seigneur est un gars très très occupé   Le Seigneur est un gars très très occupé Icon_minitimeSam 28 Juin - 5:19

Le Seigneur est un gars très très occupé

Les cadavres jonchaient les rues du centre-ville dans un décor de fin du monde ; le père Thomas s’activait avec les bénévoles du centre catholique, prodiguant ses conseils pour les survivants, orientant les familles vers les bonnes personnes et rassurant les nombreux individus désorientés. Le tremblement de terre ne semblait que le début d’une période sombre ; au-delà des possibles répliques prévues sur l’ensemble de la côte Ouest, les autorités s’inquiétaient des épidémies, de la pénurie en eau, des impacts climatiques et de la panique, en particulier dans les zones urbaines surpeuplées. Les nouvelles du monde laissaient peu d’espoir aux prévisionnistes les plus optimistes ; partout sur la planète des volcans se réveillaient d’un long sommeil, des tempêtes se déchaînaient et des mers se transformaient en tueurs aquatiques. Le ciel s’obscurcissait en Europe et l’hémisphère Nord se préparait à plusieurs années de froid dans une sorte de nouvel âge glaciaire. La situation des antipodes ne s’annonçait pas meilleure ; l’Indonésie brûlait et la Nouvelle Zélande sombrait dans l’Océan Pacifique devenu incontrôlable.
— Qu’avons nous fait au Seigneur pour mériter ça ?
Le père Thomas ne savait que répondre à cette question posée par tant d’Américains ; pourtant la Californie était préparée à un séisme de forte magnitude depuis que la ville de San-Francisco avait été pratiquement rasée au début du vingtième siècle. L’état le plus riche de la puissante Amérique était parcouru du nord au sud par une gigantesque faille géologique, sorte de joint entre les plaques tectoniques du continent et celles de l’océan ; cet apparent défaut de plomberie planétaire représentait à lui seul un danger suffisant pour affoler des générations de sismologues. Pourtant, l’inconscient collectif des Américains, encore sous les effets hallucinogènes d’un rêve pavé d’or et de gloire, avait nié la réalité et s’était cru protégé par les instances divines et le roi dollar.

Le père Thomas avait naguère officié dans des régions du globe où manger à sa faim et boire de l’eau potable restait un luxe que peu d’âmes pouvaient s’offrir ; à cet égard, il considérait ses concitoyens comme des enfants gâtés qui croyaient que la prière et quelques virements à des organisations caritatives allaient les protéger des aléas de la vie terrestre. Malgré son jugement objectif et sans concession sur les trois cents millions de moutons qui peuplaient la plus grande nation de la chrétienté, il devait composer avec cette illusion et surtout apporter l’aide spirituelle aux plus démunis, quitte à travestir la vérité.
— Le Seigneur est un gars très occupé, répétait-il à chaque fois que la question revenait à la surface.
En quelque sorte il avait raison ; au vu des catastrophes naturelles du moment, le Créateur se trouvait forcément au four et au moulin. Cet agenda chargé expliquait pourquoi il déléguait les premiers secours aux différents prêtres des États-Unis ; oubliées les querelles de chapelle, désormais les catholiques, les protestants, les baptistes et autres évangélistes travaillaient de concert pour rétablir une situation compromise.
Une telle explication suffisait généralement à donner du baume au cœur des plus innocents, de ceux qui ne possédaient pas grand-chose avant le désastre ; ceux-là avaient déjà perdu leur maison dans le passé, au moins une fois, ou vu leur fonds de pension détourné par un financier de New-York et souvent ils cumulaient plusieurs petits boulots précaires pour subsister. Ils représentaient la force brute de l’Amérique ; leur instinct de survie ajouté à un optimisme forcené et à une bonne dose d’auto-dérision expliquait la réussite du modèle américain et la cohésion de sa société. Le Président lui-même avait coutume de dire que Dieu bénissait l’Amérique grâce à ces citoyens courageux, volontaires et positifs ; « Ce n’est pas comme ces cochons de Français qui passent leur temps à se plaindre et à se mettre en grève » rajoutait-il avec son accent texan, histoire de faire rire ses électeurs avec une blague facile.

Le père Thomas se dirigea vers un point de ralliement ; il devait assister les organisations caritatives à distribuer des vêtements, de l’eau et de la nourriture. L’armée s’était déployée dans la ville et avait déjà fort à faire pour protéger les convois humanitaires des pillards ; chaque personne de bonne volonté était la bienvenue pour apporter sa contribution, aussi modeste fut-elle.
— Si le Seigneur est tant occupé que ça, demanda un petit garçon noir, pourquoi ne nous envoie-t-il pas Jésus Christ ?
Le prêtre ne s’étonnait plus de la question tellement il l’avait entendue ; sa batterie de réponses était bien fournie avec de nombreuses variantes en fonction de l’âge, de la couleur et de l’origine sociale de celle ou celui qui l’avait posée. Il évalua son interlocuteur ; ce dernier ressemblait à pléthore de jeunes fidèles emmenés de force au service dominical et qui n’achetaient pas comptant le discours habituel de l’Église.
— Le Christ est en chacun de nous, commença-t-il, et donc partout à la fois. Quand je te sers de la soupe et du pain, c’est en réalité Jésus qui remplit ton assiette ; quand tu aides une vieille dame à traverser la route défoncée, c’est avant tout la main du Christ qui guide tes pas.
Le garçonnet le regarda comme un badaud jaugeant un joueur de bonneteau ; il essaya de savoir dans quel pot se trouvait le billet de cinq dollars puis opta pour la solution la plus pragmatique. Il tendit son bol au père Thomas pour une deuxième tournée de soupe.
— Merci, Seigneur Tout Puissant, de laisser à ton fils Jésus Christ le soin de rassasier l’appétit d’un pauvre enfant affamé et orphelin, dit-il en souriant au prêtre.
Le père Thomas lui servit une double ration et lui caressa le front ; « en voilà un qui se prépare à l’investiture démocrate dans vingt ans » se dit-il sans savoir s’il fallait en rire ou en pleurer.


Dernière édition par Donaldo75 le Mar 29 Juil - 14:39, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Le Seigneur est un gars très très occupé   Le Seigneur est un gars très très occupé Icon_minitimeMar 1 Juil - 23:14

J'aime bien ce ton iconoclaste et décontracté. Ce qui est extraordinaire, c'est que je trouve ton style très américain, alors que tu parles d'un sujet qui se passe au states : une sorte de mimétisme ?
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MessageSujet: Re: Le Seigneur est un gars très très occupé   Le Seigneur est un gars très très occupé Icon_minitimeMar 22 Juil - 15:19

Merci Constance, j'ai essayé de coller le plus possible à l'environnement de l'histoire.
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MessageSujet: Re: Le Seigneur est un gars très très occupé   Le Seigneur est un gars très très occupé Icon_minitime

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