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 La Grève

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Morgane
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MessageSujet: La Grève   La Grève Icon_minitimeMer 28 Nov - 16:42

Elles sont trés “tendance”, mais d’où viennent elles?

Le mot Gréve, vient du latin “greva”: sable/ gravier, mot d’origine gauloise (oui, y’en a plus qu’on ne croit dans notre français), par extension: plage de sable..

Au Moyen Age, les ouvriers sans travail se réunissaient à Paris sur la Place de Gréve (actuelle place de l’Hôtel de Ville), pour être prêt à l’embauche, qui se faisait à la journée.
Un travail qui constistait surtout à décharger les navires. Le commerce fluvial faisait la richesse de la ville, d’où sa devise: “Fluctua nec mergitur” celle de la puissante corporation des Nautes.
Les ouvriers qui ne trouvaient pas d’embauche, restaient “sur la grève”, nom donné ensuite par extention à un arrêt volontaire du travail pour soutenir une revendication en bloquant l’activité économique. Un moyen de pression sur l’employeur par la perte de production et de profit qu’il entraîne .
Légale dans de nombreux pays, elle demeure interdite en France à certaines professions: militaires, pompiers, policiers. Même si fait rarissime, on a vu des policiers défiler avec les fonctionnaires le 20 Novembre.


La toute première grève connue a eu lieu en Egypte, en l’an 29 du régne de Ramsés III (oui, des Ramsés y’en a eu XIV) - milieu du XIIème siécle avt JC- à Deir El- Médineh. Village des artisans chargés de la décoration des tombes de la Vallée des Rois.
Contrairement à une idée reçue tenace, ce n’était pas des esclaves, mais des artisans estimés, trés qualifiés, plutôt bien payés (en nature, la monnaie est inconnue des egyptiens de cette époque), nourris, logés, soignés, bénéficiant d’un statut enviable.
Ils ont cessé le travail pour protester contre la lenteur du ravitaillement.


Je saute un paquet de siècles, mais c’est avec la Révolution Industrielle que la Grève, telle qu’on la connaît aujourd’hui va se généraliser, avec le prolétariat mexploité, mal payé, méprisé et survivant tout juste.
On voit apparaître des grèves dés 1836. Elles deviennent légales en france en 1864 sous le Second Empire Les fonctionnaires (sauf les trois professions citées) obtiennent le droit de grève en 1946.
Lles grandes grèves de 1936 (Front populaire) et 1968 ont abouti à de grandes avancées sociales: Congés payés en 36 (15 jours), semaine de 40 heures, retraite à 60 ans en 68. Acquis sur lesquels le patronat revient en force...

Au XIXème siècle, même aprés leur légalisation, avec un patronat puissant économiquement et politiquement, les grèves sont souvent durement réprimées.
Celle des mineurs de Fourmies dans le Nord (1891) où les soldats ont tirés sur la foule (9 morts) a inspiré le Germinal de Zola. Comme celles des années trentes chez les ouvriers agricoles de Californie (sur fond de grande crise économique) ont inspiré les Raisins de la Colère à Steinbeck.
Aux usines Schneider du Creusot (1899) sur 10 000 ouvriers, plus de la moitiè se mettent en grève. On envoie l’armée, et on recrute des ouvriers belges et polonais pour faire le travail, protégés des grévistes par un cordon de policiers et de soldats, ils sont logés dans un bâtiment peint en jaune. Ce nom de “Jaunes” restera accolé aux non grévistes et aux briseurs de grève.

Aux Etats Unis, le 1er mai 1886, la pression syndicale permet à 200 000 travailleurs d’obtenir la journée de 8h.. d’autres travailleurs dont les patrons n’ont pas accepté cette revendication entament une grève génèrale; environ 340 000 dans tout le pays.
Pourquoi le 1er Mai? Beaucoup d’entreprises américaines entament ce jour là leur année comptable et les contrats y ont leur terme.
En 1889, la Seconde Internationale Socialiste, se réunit à Paris pour le centenaire de la Révolution et l’Exposition Universelle (celle qui nous a laissé la Tour Eiffel).
Elle décide de faire du 1er Mai une journée de manifestation avec pour objectif d’obtenir la réduction à 8h de la journée de travail qui était courament de 10 voire 12h. seul le dimanche était chômé.
En 1920, la Russie bolchévique décide que le 1er Mai sera chômé et deviendra la fête légale des travailleurs. Son exemple est suivi dans de nombreux autres pays sous la poussée des syndicats socialistes.

Aux Etats Unis, le “Labour Day” célébré le 1er lundi de septembre tire ses origines d’une grève des cheminots en soutien aux ouvriers de Pullman en grève contre leur employeur. Le président Grover Cleveland envoie 12 000 hommes de troupes pour briser la grève. Deux hommes sont tués à Cleveland, prés de Chicago.
La Fête des travailleurs a bien lieu le 1er Mai, ce n’est pas un jour chômé.

Au RoyaumeUni et en Irlande, c’est le premier lundi de mai qui est chômé, permettant un week end prolongé.
En Allemagne le 1er mai est chômé. On porte un oeillet rouge à la boutonnière. Cette tradition remonte au 1er Mai 1890, où, pour répondre à l’appel de la Seconde Internationale, malgré l’interdiction de manifester, prévue par la Sozialistengesetz, les militants décident de se retrouver dans les parcs, portant un oeillet rouge en signe de reconnaissance.
Le 1 er Mai donne aussi lieu à des réjouissances dans la tradition de l’Arbre de Mai; mais c’est une autre histoire. (pas de panique, je vous la raconterais un de ces quatres, lol).

En France, on offre un brin de muguet. une tolérance de l’administration fiscale permet aux particuliers de vendre du muguet sans formalité ni taxe.
Au passage, le muguet est une des spécialités de la région nantaise, donc quoiqu’on en veuille, bretonne...
En 1919, le sénat ratifie la journée de 8h et fait du 1er mai une journée chômée.
Le 24 Avril 1941, Pétain instaure offiellement le 1er mai comme “Fête du travail et de la Concorde Sociale”. Une tentative de retournement d’une journée d’abord revendicative, bien dans l’esprit de Vichy.
A l’initiative de René Belin, ancien dirigeant de l’aile anticommuniste de la CGT, le jour devient chômé. La radio souligne (le hasard fait bien les choses!) que c’est également la St Philippe, saint patron du Maréchal. L’églantine rouge, associée à la gauche est remplacée par le muguet, blanc. Beaucoup de symbolique dans une journée marquée par une fleur.
Ajoutons que l’Eglise catholique ne ratant jamais une tentative de récup, en 1955, Pie XII instaure le 1er mai fête de St Joseph artisan. décision qui n’a rien d’anodin que placer une fête religieuse pour contrer une fête laïque à forts relents revendicatifs. surtout que la France, comme la majorité des pays d’Europe est encore largement rurale et que l’Eglise pése encore lourd dans les campagnes.

La grève est une rupture dans le processus de production, le seul moyen qui reste quand les négociations ont echoué où s’avèrent impossibles, quand un gouvernement veut faire passer en force une réforme du travail, ou des retraites.
Elle doit rester l’ultime ressource car tout le monde y perd...
Il n’est pas dans mon propos de juger le bien fondé des grèves, mais d’en retracer l’origine et l’historique dans les (trés) grandes lignes.
Si vous avez des infos à ajouter ou des annectodes concernant des gèves, allez y...



Le mot “chômage” vient du bas latin “cauma” chaleur et signifie à l’origine: se reposer pendant la chaleur. A partir de la révolution Industrielle, il prend le sens de “Cessation de travail” suite à une cessation d’activité industrielle consécutive à une crise.
De nos jours on met les gens au chômage (sans chaleur) pour “dégraisser” les effectifs et engraisser les actionnaires.


Dernière édition par le Jeu 29 Nov - 21:49, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: La Grève   La Grève Icon_minitimeMer 28 Nov - 18:25

Intéressant !
Un article en 2 parties : la grève et le 1er mai...
Plein d'enseignements, neutre et informatif, un article qui soudain devient engagé à la dernière phrase !
(si ce n'est la pointe de chauvinisme sur le muguet, et d'anticléricalisme sur la récup du 1er mai!) Wink
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MessageSujet: Re: La Grève   La Grève Icon_minitimeMer 28 Nov - 23:11

Rudement intéressant, tout cela.
Hum, il manque la date exacte " Aux Etats Unis, le 1er mai 186, la pression syndicale...", du moins un chiffre.
J'adore Steinbeck en général, et "les raisins de la colère" en particulier.
Ca me rappelle que mon père avait écrit à Steinbeck dans le cadre de sa thèse d'anglais, et que celui-ci lui avait répondu. Elle doit toujours exister, cette lettre ... j'espère qu'elle n'a pas disparue.
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MessageSujet: Re: La Grève   La Grève Icon_minitimeJeu 29 Nov - 21:54

Correction effectuée, c'est 1886.
Filo, la fameuse neutralité des historiens est une vue de l'esprit des positivistes...
Et les "récups" de l'Eglise datent quasi de sa création, je pourrait en citer des pages...
Pas ma faute si Nantes est la capitale du muguet (tu le savais?) lol! Y font pas que des petits beurres qu'on vient d'ailleurs de vendre aux américains.
ET pour l'engagement, oui, je cherche à informer aux mieux, sans donner mon avis, mais il faut bien que dragon pointe son museau!
Merci de suivre mes chroniques.
Si vous pensez à un sujet, soumettez...

Constance, si tu retrouve cette lettre, ce serait interessant de la publier.


Dernière édition par le Lun 3 Déc - 20:29, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: La Grève   La Grève Icon_minitimeJeu 29 Nov - 22:03

Puisque tu le proposes, Morgane, sur un autre forum où chauffe un débat sur la religion, où je t'ai vue intervenir, j'ai prétendu que si le christianisme n'avait pas été importé en Europe via les Romains, nous aurions probablement hérité du culte de Mithra ou des dieux romains.
Je serais intéressé d'avoir ton point de vue, ainsi qu'un topo sur Mithra, l'ampeur et le déclin de son culte.

Et au fait : je te préfère engagée, bien sûr. Wink
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MessageSujet: Re: La Grève   La Grève Icon_minitimeLun 3 Déc - 20:35

Je convoque Mithra en Avallon, je prends des notes, et je vous présente le topo...
Je sais que tu préfères "engagée" mais j'essaie de ne pas le faire en cours d'article pour que l'exposition du sujet soit le plus claire et précise possible. Mais je mets toujours mon grain de sel, de Guérande bien sûr... chauvine, moi? lol!
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MessageSujet: Re: La Grève   La Grève Icon_minitimeLun 22 Déc - 18:36

Un autre regard, plus sociologique qu'historique, sur la grève.


L'usager de la grève
(dans Mythologies, Roland Barthes, 1957]

Il y a encore des hommes pour qui la grève est un scandale : c'est-à-dire non pas seulement une erreur, un désordre ou un délit, mais un crime moral, une action intolérable qui trouble à leurs yeux la Nature. Inadmissible, scandaleuse, révoltante, ont dit d'une grève récente certains lecteurs du Figaro. C'est là un langage qui date à vrai dire de la Restauration et qui en exprime la mentalité profonde : c'est l'époque où la bourgeoisie, au pouvoir depuis encore peu de temps, opère une sorte de crase entre la Morale et la Nature, donnant à l'une la caution de l'autre : de peur d'avoir à naturaliser la morale, on moralise la Nature, on feint de confondre l'ordre politique et l'ordre naturel, et l'on en conclut en décrétant immoral tout ce qui conteste les lois structurelles de la société que l'on est chargé de défendre. Aux préfets de Charles X comme au lecteur du Figaro d'aujourd'hui, la grève apparaît d'abord comme un défi aux prescriptions de la raison moralisée : faire grève, c'est "se moquer du monde", c'est-à-dire enfreindre moins une légalité civique qu'une légalité "naturelle", attenter au fondement philosophique de la société bourgeoise, ce mixte de morale et de logique, qu'est le bon sens.

Car ceci, le scandale vient d'un illogisme : la grève est scandaleuse parce qu'elle gêne précisément ceux qu'elle ne concerne pas. C'est la raison qui souffre et se révolte : la causalité directe, mécanique, computable, pourrait-on dire, qui nous est déjà apparue comme le fondement de la logique petite-bourgeoise dans les discours de M. Poujade, cette causalité-là est troublée : l'effet se disperse incompréhensiblement loin de la cause, il lui échappe, et c'est là ce qui est intolérable, choquant.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire des rêves petits-bourgeois, cette classe a une idée tyrannique, infiniment susceptible, de la causalité : le fondement de sa morale n'est nullement magique, mais rationnel. Seulement, il s'agit d'une rationalité linéaire étroite, fondée sur une correspondance pour ainsi dire numérique des causes et des effets. Ce qui manque à cette rationalité-là, c'est évidemment l'idée des fonctions complexes, l'imagination d'un étalement lointain des déterminismes, d'une solidarité des événements, que la tradition matérialiste a systématisée sous le nom de totalité.

La restriction des effets exige une division des fonctions. On pourrait facilement imaginer que les "hommes" sont solidaires : ce que l'on oppose, ce n'est donc pas l'homme à l'homme, c'est le gréviste à l'usager. L'usager, (appelé aussi homme de la rue, et dont l'assemblage reçoit le nom innocent de population : nous avons déjà vu tout cela dans le vocabulaire de M. Macaigne), l'usager est un personnage imaginaire, algébrique pourrait-on dire, grâce auquel il devient possible de rompre la dispersion contagieuse des effets, et de tenir ferme une causalité réduite sur laquelle on va enfin pouvoir raisonner tranquillement et vertueusement. En découpant dans la condition générale du travailleur un statut particulier, la raison bourgeoise coupe le circuit social et revendique à son profit un une solitude à laquelle la grève a précisément pour charge d'apporter un démenti : elle proteste contre ce qui lui est expressément adressé. L'usager, l'homme de la rue, le contribuable sont donc à la lettre des personnages, c'est-à-dire des acteurs promus selon les besoins de la cause à des rôles de surface, et dont la mission est de préserver la séparation essentialiste des cellules sociales, dont on sait qu'elle a été le premier principe idéologique de la Révolution bourgeoise.

C'est qu'en effet nous retrouvons ici un trait constitutif de la mentalité réactionnaire, qui est de disperser la collectivité en individus et l'individu en essences. Ce que tout le théâtre bourgeois fait de l'homme psychologique, mettant en conflit le Vieillard et le Jeune Homme, le Cocu et l'Amant, le Prêtre et le Mondain, les lecteurs du Figaro le font, eux aussi, de l'être social : opposer le gréviste et l'usager, c'est constituer le monde en théâtre, tirer de l'homme total un acteur particulier, et confronter des acteurs arbitraires dans le mensonge d'une symbolique qui feint de croire que la partie n'est qu'une réduction parfaite du tout.

Ceci participe d'une générale de mystification qui consiste à formaliser autant qu'on peut le désordre social. Par exemple, la bourgeoisie ne s'inquiète pas, dit-elle, de savoir qui, dans la grève, a tort ou raison : après avoir divisé les effets entre eux pour mieux isoler celui-là seul qui la concerne, elle prétend se désintéresser de la cause : la grève est réduite à une incidence solitaire, à un phénomène que l'on néglige d'expliquer pour mieux en manifester le scandale. De même le travailleur des Services publics, le fonctionnaire seront abstraits de la masse laborieuse, comme si tout le statut salarié de ces travailleurs était en quelque sorte attiré, fixé et ensuite sublimé dans la surface même de leurs fonctions. Cet amincissement intéressé de la condition sociale permet d'esquiver le réel sans abandonner l'illusion euphorique d'une causalité directe, qui commencerait seulement là d'où il est commode à la bourgeoisie de la faire partir : de même que tout d'un coup le citoyen se trouve réduit au pur concept d'usager, de même les jeune Français mobilisables se réveillent un matin évaporés, sublimés dans une pure essence militaire que l'on feindra vertueusement de prendre pour le départ naturel de la logique universelle : le statut militaire devient ainsi l'origine inconditionnelle d'une causalité nouvelle, au-delà de laquelle il sera désormais monstrueux de vouloir remonter : contester ce statut ne peut donc être en aucun cas l'effet d'une causalité générale et préalable (conscience politique du citoyen), mais seulement le produit d'accidents postérieurs au départ de la nouvelle série causale : du point de vue bourgeois, refuser pour un soldat de partir ne peut être que le fait de meneurs ou de coups de boisson, comme s'il n'existait pas d'autres très bonnes raisons à ce geste : croyance dont la stupidité le dispute à la mauvaise foi, puisqu'il est évident que la contestation d'un statut ne peut expressément trouver racine et aliment que dans une conscience qui prend ses distances par rapport à ce statut.

Il s'agit d'un nouveau ravage de l'essentialisme. Il est donc logique qu'en face du mensonge de l'essence et de la partie, la grève fonde le devenir et la vérité du tout. Elle signifie que l'homme est total, que toutes ses fonctions sont solidaires les unes des autres, que les rôles d'usager, de contribuable ou de militaire sont des remparts bien trop minces pour s'opposer à la contagion des faits, et que dans la société tous sont concernés par tous. En protestant que cette grève la gêne, la bourgeoisie témoigne d'une cohésion des fonctions sociales, qu'il est dans la fin même de la grève de manifester : le paradoxe, c'est que l'homme petit-bourgeois invoque le naturel de son isolement au moment précis où la grève le courbe sous l'évidence de la subordination.
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