Eléonore est morte

Eléonore est morte


on l’a trouvée
le nœud autour du cou et les veines coupées
le restant des cachets dans son tablier

et tout est devenu si clair
que déjà il n’y a plus

rien à faire
ma chère fille
prends ma collection de chaussures
(depuis toujours vous étiez persuadés que c’était de la folie
n’est-ce pas ?) sers toi je te prie de ce gâteau au réfrigérateur
rends l’argent à Olivier
paye la voisine pour cette jupe marron
et aussi la note d’électricité (très élevée
faites des économies mes chers faites des économies)

ma chère fille occupe toi
de tout pardonne moi

j’étais depuis longtemps de là-bas
depuis longtemps j’ai frappé à la porte
en sortant de la maison

éteins la lumière

Incroyable ! Pourquoi ce texte me fait un tel effet ?
Peut être cette litanie de si petites préoccupations, de recommandations si terre à terre, confrontée à une sorte de grandeur lointaine, d'héroïsme tranquille.
"depuis longtemps j’ai frappé à la porte
en sortant de la maison", ça je te l'envie !
Et cette retombée symbolique dans la dernière phrase...
Dignité étouffée par la quotidien, douleur creusée profond, voilà ce que je vois dans ce texte.

Et oui! C'est bien comme cela que les choses arrivent , "que déjà il n'y a plus ..." Touchée.

Je dois commenter ce poème car ceci m’a bouleversé énormément. Ce n’est pas uniquement par son sujet mais aussi par la façon dont l’auteur présente le fait dont il est témoin. Le texte s’appuie sur la lettre qu’on découvre juste après. Il n’y a pas de commentaires venant du narrateur, juste une relation crue, sobre et fidèle.
Une neutralité qui fait mal. Les seuls moyens poétiques présents ici sont des enjambements que la traductrice a essayé de garder dès que cela a été possible (ce qui n’est pas le cas toujours à cause du système grammatical de deux langues).

Je voudrais juste ajouter que je traduis tous les commentaires (l’auteur vient tous les soirs les regarder )et elle est émue et bien surprise de la façon dont sont lus ses poèmes et interprétés en profondeur. Ces regards lui permettent de comprendre tant de nuances parfois échappées à l’auteur, qui amènent à une réflexion encore plus large. Merci à vous de tout cœur au nom d’Izabela.
Cordialement Solweig

la poésie est impudique et simple parce qu'attachée aux basses réalités du quotidien...le contraste entre le dramatique de la situation et la banalité des recommandations relève le départ d'Eléonore dans une espèce de dignité et de lucidité qui donnent bien de l'amertume et signent la grandeur et la misère humaines inséparables.