Elle est morte ce matin.
Je ne sais rien d'elle qui est partie. Ni son nom, ni sa voix, son âge ou son visage. Pourquoi ressentir pour elle ce besoin de silence et de recueillement ? Puisque la terre ne cesse de s'ouvrir, ici et là, à tant d'autres, inlassablement.
Pourquoi d'ailleurs enterrer ceux qu'on dit aller au ciel ? Au ciel, c'est selon. D'autres parlent du monde d'en bas et là-bas, ils brûlent les corps. Ici aussi, de plus en plus.
Pendant la dernière longue marche, un ami répandait les cendres de sa soeur près d'un oratoire qu'elle aurait aimé, du moins le supposa-t-il. Savoir que nous sommes réductibles à une poignée de cendres rend le silence moins pénible, comme d'attendre ou de renoncer.
Elle est la mère d'une amie. L'écouter m'en parler a suffi pour comprendre sa beauté. Non ses traits, ses yeux ou sa chevelure, mais la beauté du dedans et pas même la beauté, plutôt son écho dans la voix et les yeux qui me l'ont contée comme mère.
Elle est morte ce matin et une buse en deuil, à l'instant, sur le haut du cerisier.
Une autre amie m'a raconté comment son père lui avait dit avant de se taire : « il te faudrait un chien ». Le chien est venu à elle dans les jours suivants. Un chien perdu qui passait là et ne l'a plus quittée.
Je serais bien le chien de mon amie, après, ou l'oiseau qui veille.
J'écouterais ses mots après que tous sont repartis vers leurs affaires de vie...Enfin la vie c'est relatif car il paraît que chacune de nos cellules qui meurt ne sait pas si elle donnera la vie ou la mort : si naître c'est commencer à mourir, ne nous prenons plus la tête avec la peur.
Seule avec sa peine, elle aura besoin de mots utiles au deuil de sa perte.
C'est simple d'être là et d'écouter ceux qu'on aime. Simple et beau. Beau et suffisant. Après chacun finit par se débrouiller de la mort vie ou de la vie mort, comme on veut.
Parler brise les chaînes qui traînent les boulets.
Je crois avoir été embauché quelquefois après avoir écouté plus que je n'avais parlé.
La semaine dernière, pendant trois jours, Pierre a été très bavard. Il est parti content de nos échanges et je ne lui avais rien dit. Pareil avec ce couple de vieux paysans du Maine et Loire, et avec Julie, le modèle un peu triste.
C'est simple d'écouter, lourd parfois. Quand l'autre a quelque chose à vendre. De ceux-là, je m'en sors avec des pirouettes. La folie les calme radicalement.
C'est simple d'écouter, lourd parfois. Lourd léger quand tu délivres...des livres, des kilos, des tonnes.
Elle est morte ce matin. Lourd et léger. Lourde la perte, l'absence soudaine quand hier encore...Le point de non retour. Légère sa délivrance puis la nôtre du poids de sa souffrance. Lourd le noir du manque, puis léger le blanc qu'il ouvre à écrire.
Elle est morte ce matin et tu la feras vivre encore et encore ton enfant. J'en serai le témoin si tu veux.