Maintenant il fera toujours nuit

Je tourne en rond. La maison est petite. Je sors. Le monde est trop grand trop étouffant. Je prends mon vélo et la première rue que je trouve à contre-sens. Je manque la voiture ; elle, m'évite. Le chauffeur hurle encore mais je n'entends plus. J'arrive sur le port.
Mais je sais que je ne la trouverai pas. Je sais que nous ne vivons plus dans le même univers. Elle est là, quelque part, elle ne pense pas à moi et elle rit si fort que j'en pleurerais. Je sème des morceaux de chocolat juqu'au soir qu'elle ne récolte jamais.

La mer est basse. Il faut marcher longtemps pour s'y noyer. Je n'ai pas le luxe du temps. Ce sera bientôt le soir et bientôt je sortirai de ma mort, vierge comme au premier jour. Elle me regardera sans parler et je parlerai sans la regarder. J'aurai l'impression de ne pas la connaître et nous ferons connaissance.

Je reprends le vélo qui seul peut me permettre de me rapprocher d'elle. Je m'éloigne peu à peu de mon univers, espère approcher un peu plus le sien. Je roule tout droit, toujours tout droit. Et il pleut. Je cueille les mûres rouges, les laissées-pour-compte, j'écorche mes bras aux ronces.

Je n'ai pas de montre. Je n'en ai jamais eu. Quand le trou dans mon ventre est trop grand, trop insupportable, je rentre. J'espère qu'elle sera là, à m'attendre.

Et elle est là. Ses yeux s'arrêtent sur mes bras, ses doigts sur mes hanches.
Je ne pense qu'à sa bouche.
Elle ne pense qu'à mes yeux rongés par le sel.
Je l'entraîne dans la chambre.

Dans la nuit son râle, comme un doux ronronnement. Puis je la regarde dormir. Puis je pars. Je ne veux pas la voir m'échapper au petit matin, enfiler ses sandales et disparaître du monde jusqu'au soir suivant.

Je prends un ticket de cinéma pour la séance du matin, celle des papys, des chômeurs et des gens désespérés. Je suis seule dans la salle. Je m'endors. L'histoire se finit bien.
Je ne veux pas sortir, je ne veux pas retrouver la lumière du jour, ce jour vide de sens, vide d'elle.

Puis soudain je l'aperçois. Elle l'embrasse. Elle promène ses lèvres sur sa bouche obscène, et attrape sa main d'homme. Je ferme les yeux. Je veux oublier.
Je me suis juré mille fois que d'elle j'accepterais tout. Je lui ai promis que le jour lui appartiendrait rien qu'à elle.
Mais l'Homme est là, me la vole, me l'arrache.
Elle ne me voit pas. Je n'existe que la nuit, que dans la chambre. Le jour je ne suis rien, j'ai promis de ne rien être.

Je retourne à la chambre. Je ferme les volets. Il fait noir. C'est la nuit je l'attends. Je l'attends je l'attends je l'attends... Elle ne vient pas. Je me lève du lit, je m'arrache à son odeur, j'ai mal au coeur, j'ai le vertige. Je tombe bas, si bas. J'ai mal à la tempe. Il faut que je dorme.
Je me réveille. Elle n'est toujours pas là. Je me dis : maintenant c'est trop tard elle ne viendra plus. Je me relève. J'ouvre la porte. Dehors il fait jour. Je ne veux pas mourir, je veux juste qu'elle soit là.
Alors j'éteins moi-même le soleil. Je le fixe. Je compte jusqu'à vingt. Je ferme mes paupières. Je les rouvre. Maintenant il fera toujours nuit.

C'est beau à chialer. C'est fort, c'est puissant, c'est poétique.
C'est magnifique.
Dis-donc Coco, et si tu écrivais un peu plus ?

Je dis tout comme filo, en ajoutant à la fois réaliste et romantique...

superbe ! mais bouhhhh, snifff ....

Ca fait du bien de te lire Colombe, et j'espère que ça te fait du bien d'écrire.

Encore...

Bisous

Je voulais juste souligner que tu as ce talent de captiver le lecteur, de l'embarquer dans une histoire à laquelle il ne comprend rien mais qu'il ressent.
Merde, je vais me la faire à la première personne du singulier, ce sera peut-être plus clair.

L'atmosphère de départ est à la fois mystérieuse et réaliste. Je me suis dit qu'en avançant je comprendrai de mieux en mieux. Mais non.
Au fil de ma lecture, je comprenais de moins en moins. Mais j'imaginais de plus en plus. Je crois bien avoir échaffaudé facilement cinq théories pour recréer l'histoire du personnage et expliquer son comportement.
Tu n'en dis jamais trop. Juste assez pour me laisser imaginer ce qui me chante, tout en gardant les rênes de ton histoire.

Vraiment très habile.
Habile aussi, la manière dont tu évites les adjectifs pour ne pas livrer le sexe du personnage. Je me trompe ?

Qu'est-ce que je pourrais rajouter de plus ? Pandora a dit l'essentiel. J'ai aimé.

Coco, pas re risque ici ? je peux commenter ?

Beau et touchant, très.

(je la fais courte, on sait jamais)

Sauge

C'est poignant, on sent le danger et l'imprégnation de la folie affleurer dans ce texte.
Je te livre mon ressenti. Parce qu'à mon avis, on ne peut vraiment analyser un ovni de ce genre. C'est fort et douloureux. Et je me suis complétement laissée embarquer dans ton monde.

Waw : déjà, merci à tous !

Pour répondre plus particulièrement :

- Pando, le 'coup' des adjectifs, ou plutôt de l'absence d'adjectifs 'révélateurs', ça s'est fait d'une manière plus ou moins insconsciente en fait, ce n'est qu'en relisant le texte que j'ai remarqué que le premier arrivait tard ! On peut dire que c'était inconsciemment volontaire, en quelque sorte, puisque ce n'est pas la première fois que j'utilise le procédé (que j'aime bien, il faut l'avouer ).
Par contre, c'est marrant mais en écrivant (puis en me relisant) je n'ai pas l'impression d'être particulièrement hermétique ! J'aime bien l'idée que chacun puisse avoir sa propre interprétation d'un texte, mais c'est assez déroutant de se rendre compte qu'on n'est pas si clair que ça finalement...!

- Sauge...

Citation :

Coco, pas re risque ici ? je peux commenter ?

Hmm... Je ne sais pas trop quoi dire : j'ai dû louper un épisode ! 're risque' ? Si tu peux commenter ? J'attends tes explications, je suis un peu perdue là !


Merci en tout cas !

Comme j'ai dit que je pensais pareil que Pando donc je vais répondre pour moi et elle répondra peut-être pour elle apres.

En fait, je rejoins pando car je trouve que même si on se doute au final de ce que tu as voulu faire dire à ton histoire, on est jamais sûr à cent pour cent, et on peut imaginer diverses choses. Les explications, le pourquoi notamment. Tu ne donnes jamais de réponses toutes faites et c'est ça qui est agréable.
Ton histoire est compréhensible, tu es claire mais tu ne dis pas tout, et quand on n'est pas l'auteur d'une histoire, tout est à imaginer, tout est à deviner. Et comme tu en dis peu. Bref, je fais que répéter le déjà dit. Je me répète.

De rien en tout cas.

Oui, j'apprécie la précision de Maya.
Je ne te qualifiaus pas d'hermétique Coco, bien au contraire. C'est justement l'ouverture de ce texte et toutes les possibilités qu'il déploie que j'apprécie !
C'est pas que tu n'es pas claire, tu navigues juste dans un flou artistique (critique positive !!!)

Je n'avais pas pris ça à la négative, juste que c'est pas la première fois qu'on me fait la remarque ! ;)

Merci à vous deux pour vos explications en tout cas.