22/12/09REQUIEM POUR L’HISTOIRE
Puisqu'il est question, plus que question, déjà décidé de supprimer l'Histoire/ Géographie en Terminale S.
« …Alors l’ historisation devient une hache de guerre, car tout peuple peut toujours déterrer un souvenir.
L’histoire prend dans ce cas une fonction de justification ou de démonstration édifiante, une leçon de morale politique, un programme d’action à venir, masqué par l’alibi du passé.
L’aspect intentionnel de la mémoire publique est parfaitement illustré par tous les candidats au pouvoir qui cherchent à contrôler les fabricants d’histoire :
L’Eglise décide d’institutionnaliser un système de censure dés que le livre, avec le développement de l’imprimerie devient un danger pour son enseignement. La curie romaine en 1622, invente le néologisme Propaganda fide, afin que certaines techniques d’images, d’événements et de récits permettent la diffusion de la foi.
Napoléon cherche à contrôler les écrivains afin qu’ils ne parlent que de la condition citoyenne créée par l’Empereur.
Le parti Socialiste au début du XXe. S. pense que « le christianisme est dépassé ». Mais pour le supplanter, il reprend ses techniques. Le nazisme impose un seul thème à la littérature, celui du respect de la tradition… la connaissance de l’Histoire variée de l’évolution intellectuelle et matériel de nos ancêtres peut nous ouvrir les yeux et nous affiner l’ouïe pour ce qui est ou non-conforme à notre nature… Le totalitarisme passe par le récit du passé. Cette utilisation de l’histoire est souvent une préparation à la vendetta. En fouillant dans notre passé, on trouvera toujours quelque chose à venger. L’oubli n’est pas la solution puisqu’on laisse mettre en place les conditions de la répétition. Mais la soumission au passé est une préparation à la revanche. L’oubli laisse la répétition s’installer, alors que l’abus de mémoire prépare à la répétition intentionnelle…
Les fabricants de mythes sculptent avec leurs récits une sorte de totem culturel auquel s’identifie le groupe. Ils utilisent l’Histoire de manière perverse pour fabriquer un liant clanique.
Les américains ont inventé les rustiques cow- boys et les sympathiques nordistes. Ils ont utilisé des morceaux d’histoire réelle et ont mis dans l’ombre ce qui pouvait gêner, de façon que tous les immigrants puissent s’identifier à cette chimère…
Travailler à comprendre l’histoire et non à l’utiliser, permet d’associer la mémoire qui donne sens avec la désobéissance au passé qui invite à l’innovation.
L’apparition récente d’un culte des ancêtres en Occident révèle probablement une intention politique. Le retour de Clovis en France, le dépoussiérage de la Padanie en Italie, la découverte de poteries cananéennes à Jérusalem, la découverte d’un squelette caucasien âgé de 9000 ans aux Etats-Unis constituent des emblèmes qui veulent dire : « Partez, nous étions ici les premiers. »…
Le problème consiste à définir qui est « nous » de façon à définir qui doit partir. Le squelette de Columbia River était caucasien, donc blond, donc tous les indiens devront partir. Le passé utilisé pour planifier l’avenir invente une grammaire idéologique… »
Boris Cyrulnik : Un Merveilleux Malheur
L’Histoire, oui, mais instrumentalisée, dépouillée de ce qui gêne, de ce qui peut contrarier le pouvoir en place, quel que soit le pays où ce pouvoir s’exerce.
L’histoire on le sait est écrite par et pour les vainqueurs. « Si on gagne, c’est qu’on est les meilleurs, donc les vaincus avaient tort et n’ont que ce qu’ils méritent : disparaître des mémoires. »
Simplissime, mais efficace. Surtout qu’aucune discordance ne vienne contrarier la marche triomphale. L’argument est politique : le pouvoir en place est nécessairement le meilleur puisque produit d’une histoire qui ne pouvait qu’aboutir à lui. Il est social : toi peuple tu es là parce que tu dois l’être, ceux qui te guident sont les meilleurs, l’Histoire l’a voulu !
Alors, surtout pas laisser une possibilité d’interroger l’Histoire, des fois qu’il apparaîtrait que la réalité des événements ne colle pas vraiment avec le discours officiel.
Née après guerre, j’ai appris que le PCF était l’organisateur de la Résistance, que toute la France avait résisté comme un seul homme.
Mes manuels de primaire étaient pleins d’images d’Epinal : Clovis et son vase, Charlemagne et son école, St Louis et son chêne, Henri IV et ses petits enfants… j’ai oublié le texte, mais j’ai les images en tête ! Il m’a fallu arriver en fac pour vraiment découvrir l’Histoire, celle que j’ai enseignée n’était pas celle que j’ai apprise.
Et on revient à l’instrumentalisation d’une historiographie officielle, forcément nationale, on extrait ce qui peut servir le pouvoir, on joue sur l’émotionnel : Guy Moquet. On veut faire porter à des enfants de CM2 la « mémoire d’un enfant juif déporté », mais on ne dit surtout pas quelle part l’administration française collaborationniste à prise dans cette déportation, on ne dit surtout pas que c’est la police française qui a livré Guy Moquet, otage parce que communiste aux allemands pour être fusillé en représailles du meurtre d’un officier SS !
On remanie, on fait pleurer dans les chaumières, et on réaménage l’enseignement d’une discipline qui n’est utile que contrôlée, revue et corrigée, édulcorée, émotionnelle…
L’Histoire n’est pas une entité contrairement à ce qu’on dit, elle ne roule pas sur les rails bien huilés d’un destin triomphant (et national), elle n’a d’existence que par ceux qui la font, le passé est le passé, on n’y peut rien changer, ce qui a été a été, c’est souvent pas joli/joli.
Mais on justifie en ne prenant que ce qui sert dans l’immédiat, ce qui sert aujourd’hui sera peut être jeté à aux « Poubelles de l’Histoire » demain !
On projette un film, mais pas en continu, juste des séquences bien mises en scène. On « révise » certains chapitres.
Et on en « réforme » l’enseignement, on la supprime, superflue pour ceux qu’on considère comme les « meilleurs » de nos futures têtes pensantes.
Au passage on économise des postes, plus d’H/G en TS, c’est moins de profs à payer.
Quant à la Géo, je serai curieuse de savoir ce que répondrait les TS (et même d’autres) aujourd’hui si on leur demandait comme ça où se situe cette Copenhague dans laquelle les grands élus de l’Histoire en 2009 vont faire semblant de s’inquiéter du devenir de la planète.
Que je sache, on n’étudie pas le Danemark !
A lire, ça vient de sortir :
Pour le meilleur et pour le pire, Les plus gros mensonges de l’Histoire (la Foi, l’Etat, les masses, de Constantin au dogme néolibéral), dossier de 132 pages.
Marianne 19/12/09 au 01/01/10