Rien de plus beau au monde que le métier d’écrivain. Se mettre à l’équitation pour mieux connaître les chevaux, fréquenter un club de tir pour mieux appréhender le port d’arme, camper au bord de l’eau pour s’imprégner d’une partie de pêche, arpenter les plus hauts sommets pour s’ouvrir aux grands espaces, s’initier aux drogues les plus sournoises pour fréquenter les bas-fonds, se mettre à fumer. Rien de plus beau au monde que vivre au catalogue de la multiplicité humaine.
Je n’avais pas d’imagination, je n’avais pas non plus les couilles pour ouvrir en grand le catalogue, je me suis contenté de mettre en scène un écrivain, sacrifiant à la simplicité ce que j’avais de plus honnête ; je me suis seulement mis à fumer pour faire plus vrai.
Cela ne m’a jamais perturbé dans mon travail, considérer l’écriture comme un métier suffit amplement à vous ôter tout complexe vis-à-vis d’autrui. Je me suis toujours rassuré en me persuadant que si tout un chacun avait mieux à dire, le monde déborderait d’écrivains. Occultés ceux qui s’y essayent, oubliés ceux qui y parviennent.
Tout écrivain qui se respecte se met en scène pour offrir un exemple intemporel à ceux qui font semblant de lire, je n’ai jamais cherché à déroger à la règle… Cela m’a permis de me lancer, cela m’a surtout permis de la rencontrer.
Qu’elle ait décidé de me passer la bague au cou parce que mes écrits lui plaisaient, ou que je l’ai décidé à sa place pour la même raison, importe peu. Nous nous étions trouvés, nous nous étions plu, et tout avait été très vite, comme seuls savent le faire les narrateurs habiles.
Je cherchais sans trop y croire quelqu’un d’assez malhonnête pour oser publier mon premier roman, elle cherchait un nouvel auteur pour relancer une collection mourante ; certains coups de plume font mouche plus sûrement qu’un coup de foudre.
Le mariage attendrait, bien sûr, notre premier contrat a été littéraire, en quelques semaines j’avais trouvé du travail, du public, du succès, et pas mal d’amour pour redonner de la décence à mes chevilles.
Avec du recul, je pense que nous ne nous sommes jamais aimés, mais il s’agissait probablement de faire comme tout le monde. Un terrain d’entente existait, notre point commun en matière de littérature s’est substitué le temps qu’il fallait au point final inévitable de toute histoire d’amour…
L’être humain est capable d’encaisser le pire pour éviter la solitude, capable de faire subir le pire pour éviter la souffrance d’être seul.
Quand la routine s’est installée, une fois la collection relancée à coups d’auteurs rivalisant de tant de talent ma chère, nous nous sommes offert une troisième bouche à nourrir, ciment incontournable de tous les couples d’apparat, de ces ciments qui s’effritent à la première crise d’adolescence, mais vous promettent encore de belles années de bonheur, entre les nuits sans sommeil, les séances de diapositives sur l’écran géant du salon, et l’ingratitude innocente d’une vie sournoise où tout est dû à qui n’a rien demandé.
Nous l’avons appelée Myriam, trois kilos deux de bonheur qui braille, qui chie, et qui gazouille presque autant que les grands-parents en visite quotidienne.
Comme tant d’autres, ma compagne a cessé d’être ma femme le jour où elle est devenue sa mère. Troquer un rôle de composition pour du sur mesure, je n’ai jamais réussi à lui en vouloir d’oser ce que je n’avais fait qu’entrevoir toute ma vie…
Je me suis remis à écrire, plus inspiré que jamais, posant malgré moi la première ébauche d’un déclin en marche : je me suis offert un best-seller.