[size=12]A force de s’asseoir face au grand chêne pour le regarder,
Il l’entendit parler :
« A mesure que mes branches osent s’étendre vers le ciel y chercher la lumière,
Tendre leurs rameaux au front de tous les vents,
Je fatigue et commence à baisser les bras.
J’aimerais aussi me déplacer, courir au-delà des collines,
Mais les racines me tiennent ici qui filent souterraines à l’égal de ma couronne,
Et je dois rester là immobile. Chacun sa place.
Je serais l’équilibre et la force :
Plus loin je pousse l’aventure aérienne,
Plus profond je vais aux forces obscures et nourricières,
Au for intérieur de la terre,
Et plus encore mon fût s’élance robuste et se cerne.
Sans racines, la moindre brise me coucherait
Et sans m’exhiber aérien, je n’existerais pas,
Je serais virtuel, un rêve de chêne.
Vous qui voulez toujours aller plus loin vers l’infiniment grand,
Voyez que sans le voyage intérieur au tréfonds de soi, au lien à la terre et à l’histoire,
L’aventure n’a ni sens ni sève,
Et l’introspection sans l’ouverture au monde,
Sans humer l’air du temps et capter sa lumière n’est qu’arbitraire.
Dans mes extensions opposées, je m’épanouis.
Je m’encombre aussi de lierre,
Il est ma cour, mon habit vert.
Généreux, je lui partage ma nourriture
Et il en fait de même aux oiseaux,
Portant leurs nids et leurs faims d’hiver :
Ses fruits tardifs leur sont des friandises.
Ecoute mes feuilles, écoute les frémir d’aise dans leurs frottements réciproques :
Autant elles sont, chacune est nécessaire à l’autre
Et quand la sève les nourrit en parts égales,
Entends leur symphonie dans la brise d’été … »
« Arrête, chêne », lui dit-il, « j’ai compris ».
Et de retour à la maison, il s’est pris à rêver.
Une autre fois où il revenait vers son « éléphant » immobile,
-Leur masse et leur gris se ressemblent tant-,
A refaire le tour et le détour du tronc, des branches, des feuilles,
De leurs frissons et de leurs ombres,
Et les mains sur sa peau à le sentir vibrer au vent,
Les yeux fermés à imaginer l’invisible,
L’arbre, à nouveau lui a parlé.
Il s’interrogeait tout haut sur le mystère de la sève :
L’eau qui tombe du ciel et court vers les ruisseaux n’a qu’une hâte,
Suivre la pente et se conformer au plus bas.
Rejaillit-elle ici ou là, c’est que plus haut elle s’est accumulée
Ou parce que l’homme s’en est mêlé,
Mais la sève, elle, monte !
Elle s’élève jusqu’au bout de la moindre brindille,
Défie les lois de l’attraction jusqu’à des hauteurs hallucinantes,
Avec une masse cumulée énorme.
« Je vis à contresens, je lève des montagnes d’eau,
Et personne ne s’étonne de ce miracle. »
Grâce au soleil, père, chaleur, idéal, feu, passion,
Le chêne fit encore la leçon :
Tendre jusqu’au bout des doigts vers l’absolu, défier le sens commun,
Et les pieds ancrés à la profondeur,
Permettrait de soulever les monts jusqu’à des sommets inespérés ?
Tandis que se laisser couler…[/size]