Un matin que Petit Pierre dormait bien au chaud dans sa chambre aux murs fleuris de nuages, il eut en ouvrant les yeux une étrange impression , comme si quelque chose avait changé. Sur les murs gris tapissés de sa chambre grise , les formes légères des cumulo-nimbus, des nimbo stratus, des cumulus, des altos stratus, des abribus, des autobus, des… décidément Petit Pierre n’était pas tout à fait réveillé…lui semblèrent tout à coup comme se détacher sur le fond gris du mur tout gris. « Peut-être qu’il n’est pas seulement un gris » se dit-il alors , « pas seulement un gris mais des gris ! » Car en effet, comment aurait-il pu « voir » des nuages gris se détacher sur le fond gris d’un mur tout gris s’il n’y avait qu’un seul gris ? Et c’était seulement maintenant qu’il s’en rendait compte ! Alors il se lève, ouvre la fenêtre de sa chambre et regarde le ciel. Certes, il se souvenait des ciels bleus et des jours de soleil dont lui avait parlé Gatsby et de ces rayons d’or qui vous empourprent le cœur … Mais à présent, à y regarder de plus prêt, il commençait à apercevoir ici aussi « comme des couleurs ». Tous ces gris du ciel gris semblaient oui, comme s’amuser à se cacher, à se fondre dans le grand tout du ciel. Ils semblaient oui, comme attendre que quelqu'un les découvre. Petit Pierre se dirigea vers son bureau gris, en sortit une feuille de papier grise et un crayon gris et commença à dessiner ce qui apparaissait devant ses yeux et tout à coup : il les vit ! Il les vit dans le ciel là tout au dessus et aussi là tout autour de nous et qui riaient. Des visages, des millions de visages rieurs et plein de bonté et qui chantaient : « la chanson des nuages ».[/size]
« Bonjour ciel du jour
Bonjour ami,
Nous sommes les mille visages du ciel,
Derrière la face grise du temps .
Gris du ciel
Gris d’api,
Pomme, pomme, pomme,
Gris des ailes des oiseaux gris,
Gris du temps,
Gris-gris gris
Gris souris
Gris-vert , gris-bleu ou vert de gris,
Vive la pluie , vive la vie
N’oubliez pas vos parapluies ! »
Une nuit, la pluie se mit à tomber.Et puis le jour suivant et le jour d’après et encore un jour. Pendant des jours , elle ne cessa de tomber du ciel, gorgeant d’eau les fissures des pavés, remplissant les gouttières, les rigoles, glissant en cascades sur les trottoirs, le long des routes et des chemins cimentés .
« Tic tac flic flac, poussez-vous que l’on passe , disait-elle ;
Flic flac flic flac
Faites-nous de la place.
Vite vite on se pousse !
Aïe aïe aïe quelle mousse !
Lentement, doucement
Ca balance on se lance.
Flic flic flic flac flac flac
Tic tic tic tac tac tac.
Petite pluie mouillée mouillée ,
Petite flaque , ô quelle claque !
Petite danse sur les pavés,
Petite goutte toute mouillée…
Flic … floc… flic … floc…
Flic … flac… flic … flac… »
Et la pluie chantait,chantait…
Petit Pierre que la pluie n’effrayait pas, prit son grand parapluie à carreaux gris, enfila sa longue gabardine , mit ses bottes en caoutchouc et sortit dans la rue déserte.
« Poussez-vous que je passe ! » disait Petit Pierre.
« Flic flac flic flac » chantait la pluie.
« Faites-moi de la place ! » répondait Petit Pierre.
« Tic tac tic tac » scandait la pluie.
« Vite vite on se pousse !
Aïe aïe aïe quelle mousse !
Ca balance, je me lance.
Flic flac flic flac
Quelle glisse !
On se hisse !
Tic tac tic tac
Flic fllac flic flac…
Et FLOC ! »
« Tu t’es fait mal ? »
C’était Marguerite qui passait par là.
« Heu ! Non, ca va !Ca va ! »
_ Allez, donne-moi ta main.Tu es tout trempé !
_ Qu’est-ce que tu fais ici ? » lui dit Petit Pierre en secouant ses habits.
« J’avais besoin de prendre l’air.
_ Par un temps pareil ?
_ Et toi ?
_ Heu… J’allais voir un ami
_ Tu dois beaucoup l'aimer ton ami!
_ Oui, oui, je l'aime beaucoup ; c'est un ami un peu spécial....
_ Et comment il s'appelle cet ami?
_ Heu... Gats ... il s'appelle Gats!
_ C'est un nom rigolo!
_ Heu oui !C’est parce que je m’inquiétais, tu comprends, avec toute cette pluie !
_ Tu sais, il doit faire comme tout le monde, il reste chez lui !
_ Oui, mais chez lui c’est dehors !
_ Il n’a pas de maison ?
_ Ben non !
_ Tu me racontes des blagues !
_ Non, il n’a pas besoin de maison, lui.Il n’a peur de rien. Ni de la pluie, ni du vent , ni de l’orage !Et puis tu ne t’ennuies jamais avec Gatsby !
_ Et bien , il a l’air chouette ton Gatsby, tu me le présenteras ?
_ Je ne sais pas…
_ Pourquoi ?
_ Je ne sais pas si je peux.
_ Pourquoi, il n’aime pas les filles ?
_ Si ! Il a même une copine super sympa !avec un look « d’enfer » !Et puis je lui ai déjà parlé de toi !
_ Ha bon !
_ Heu…(Rougissant)Il te connaît un peu. »
_ C’est drôle ça. Et qu’est-ce que tu lui as dit de moi ?
_ Je lui ai dit que …que tu avais les yeux bleus ! .
_ Les yeux bleus !
_ Oui, tous bleus ! Je les vois !
_ Je les vois aussi et ils sont gris !Enfin, je crois…
_ Ils sont bleus , trois fois bleus !
_ Ca alors !Des yeux bleus !Ca me plaît ça des yeux bleus !
_ C’est pas un jeu ! ils sont vraiment bleus !
_ Pierre, je ne me moque pas ! C’est la plus jolie chose qu’on m’ait jamais dite ! Alors tu vois, mes yeux, ils sont vraiment bleus ! Et tu peux casser la figure à tous ceux qui te diront le contraire !
_ O.K ! Il va falloir que je me muscle alors !
_ Et pourquoi ça ?… « MON P’TIT GARS ! »
Devant les deux enfants se tenaient Madame Macon et son vieux chien Tonnerre . Elle était là, dressée dans son ciré sombre, l’œil fixe et perçant sous un immense parapluie à baleines pointues et menaçantes.
« Dis-moi, mon garçon ; cela fait un moment que je t’observe du coin de l’œil ! Monsieur gigote ! Monsieur complote !Monsieur pouffe ! Ne sais-tu pas que l’amende est élevée pour celui qui transgresse la loi ?
_ Bonjour Madame Macon ! » osa Marguerite.
« WOUAFF ! WOUAFF ! » dit Tonnerre
« Ho ! Regardez ! ce chien, il est tout trempé !Mon pauvre toutou, tu vas attraper froid avec cette pluie. Vous ne devriez pas le sortir par un temps pareil . A son âge, il faut faire attention !
_ WOUAFF ! WOUAFF ! » fit à nouveau le chien en remuant la queue.
« De quoi te mêles-tu , petite insolente ? !
_ Elle n’est pas insolente, » osa Petit Pierre à son tour, « c’est vous qui n’êtes pas polie à la fin! Vous pourriez dire « bonjour » d’abord !
_ Ho ! Mille pardon mon Prince ; je ne vous savais pas à cheval sur les bonnes manières !Lors de notre prochaine entrevue, qui ne saurait tarder… je n’oublierai pas de sortir mes gants de cérémonie !…Mon Prince, Gente Damoiselle, je vous salue bien bas. »
Ce faisant Madame Macon renversa son buste en avant et, fouettant le sol du bout de son parapluie , exécuta devant les deux enfants sidérés une révérence grotesque avant de disparaître derrière le rideau de pluie.
Au même moment, la pluie redoubla de force et un terrible coup de tonnerre déchira le ciel..
« Il serait peut-être préférable de rentrer, tu ne crois pas Pierre ?
_ Oui !donne ta main .On va courir plus vite que l’éclair ! »