Tati est dans ma rue

Maître Nombre de messages : 1290 Date d'inscription : 11/07/2007

Tati est dans ma rue, la grue dont l’acier crie joue sa chorégraphie ; le bras se plie se tend et la pelle ramasse, et le bras se détend et la terre s’entasse, à foison. L’élite est aux manettes et l’humble à la tranchée, le casque qui opine aux coups de la machine : un coup sec un coup lent et le bras se retend ; les pistons se déchirent, la tourelle pivote et rote le moteur, les chenilles délirent, trois tours de roues crantées, reprend le grand ballet. Le chef en bleu et casque blanc étend le bras impératif, l’ouvrier noir obéissant lui jette un œil vindicatif ; ils vont, ils viennent le pas lourd au bruit rythmé des mécaniques, le grand Tati est dans ma cour et le scénario magnifique. Marcel attendait l’accalmie, voilà qu’il tente sa sortie et trottinant cahin caha, appuyé recourbé sur son bâton sculpté, il émerge rougeaud de la poussière épaisse, s’arrête au bord du trou, traversé de pensées que la bête qui ronge ne manque lui souffler. Il disparaît dans le virage et la fête reprend goût, la gorge un peu nouée. La grue mère en chenilles et la fille agitée qui court du bout à l’autre de la rue en chantier. Halte là, incident, le pont de schiste a chu, dans un silence inattendu, le bal d’élus commence. Il sert à quoi ce pont, sinon à laisser un passage à une source sage issue du puits voisin, à quelques eaux d’orages amenées par un drain. Et passe le message, en échos prend de l’âge, bras tendus, mains aux hanches, le poing au front, l’œil aux papiers, le ballet suit son peloton, improvisé. Ah mon grand Jacques, qu’il eût aimé ! dix huit heures, tout s’arrête ? Eh bien non, les voitures, malgré les obstructions, veulent franchir le mur. Trois pneus en avant, trois pneus en arrière, les roues crissent la colère et dans le jardin clos, la femelle coucou semble imiter les roues et cherche où faire son trou.

Gardien de la foi Nombre de messages : 452 Date d'inscription : 22/05/2008

Magnifique travail ! Je suis toujours ravie quand le thème abordé sort des sentiers battus. J'aime l'ambiance du chantier, le bruit, Marcel ! Bravo !

Aurais-je , à mon insu, fait école en collant mes vers sans alinéas ?

Maître Nombre de messages : 1290 Date d'inscription : 11/07/2007

merci, Farouche, mais non non, tu n'as pas fait école: Epiphyte l'avait déjà fait, Un certain LCBEAT sur un autre site (et même sans ponctuation ni majuscule!) et moi aussi il n'y a pas si longtemps...ne me dis pas qu'en vers, ça chanterait mieux, hein?...je vais quand même essayer.
détail: Marcel, c'est pas moi, c'est un voisin!

Maître Nombre de messages : 1790 Date d'inscription : 08/07/2007

"L’élite est aux manettes et l’humble à la tranchée..."

Superbe!

Gardien de la foi Nombre de messages : 452 Date d'inscription : 22/05/2008

Code:: détail: Marcel, c'est pas moi, c'est un voisin!

Loooool ! Oui, je sais, j'avais compris !
J'aime le chantier, le bruit et le personnage de Marcel voulais-je dire

Nonon ! Pas en vers, c'est parfait ainsi

Maître Nombre de messages : 1711 Age : 76 Date d'inscription : 09/07/2007

Vision drôlatique d'un chantier d'été. Et touche trés juste "l'élite aux manettes". Un visuel...
Tati ne l'aurait pas renié.

Prophète Nombre de messages : 4029 Date d'inscription : 07/07/2007

Après deux lectures attentives, parce que la première ne m'avait guère touchée, je trouve une bien jolie perle d'océan dans cette vision, que j'imaginais au début trop moderne pour me toucher :
"Il
sert à quoi ce pont, sinon à laisser un passage à une source sage issue
du puits voisin, à quelques eaux d’orages amenées par un drain."
C'est bien beau, cette phrase. Et puis la fin aussi sur la femelle coucou "dans le jardin clos".
Je trouve une grande cohérence dans ce que tu écris, un quelque chose d'inimitable, un oeil tendre et indulgent peut être, teinté de nostalgie plus ou moins discrète. Un festin délicat.

Maître Nombre de messages : 1290 Date d'inscription : 11/07/2007

merci à vous. Pour aller plus loin, j'étais d'abord parti pour écrire en vers et j'ai pas pu m'empêcher de faire un clin d'oeil à Farouche- amical, le clin d'oeil-. Ce texte est parti d'un défi que je me suis donné: essayer de faire poétique avec le récit d'une journée d'été ordinaire sur laquelle j'avais noté quelques faits. Et c'est en pensant à Jacques Tati que j'ai pu trouver le rythme: tous ses films sont bâtis sur une espèce de chorégraphie de la vie de tous les jours qui lui donne poésie et drôlerie au point que les dialogues sont réduits au minimum.

» Dans le dé corps
» Dans l’œil de ta fécondité
» Dans le lit d'une femme
» Des pas dans nos villes
» Je t'ai dans le sang.