LE CERCLE Forum littéraire |
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| Comme les miettes avec la main | |
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+8corinne margo Morgane mick constance Lucaerne LaBourrique geho 12 participants | |
Auteur | Message |
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geho Maître
Nombre de messages : 1290 Date d'inscription : 11/07/2007
| Sujet: Comme les miettes avec la main Mar 16 Déc - 1:54 | |
| Comme des miettes avec la main.
Préambule
Ecrire une biographie? Quel intérêt l'anecdote d'un destin ordinaire? Alors ouvrir quelques pages Celles qui résonnent d'une époque et font des liens. Avec l'avant du présent Avec l'avant de l'après. Un écho. La vie serait un commencement et un aboutissement, Le début et l'accomplissement d'une réalité de chair Traversée, Trop souvent transpercée, par l'Histoire. L'incarnation de la fin d'un cumul, générations superposées, Une coloration historique des gènes Et le suintement des valeurs et des usages par l'éducation reçue.
La vie zéro et un fini.
Puis l'expérience, les rencontres et les conjonctions apportant leur bagage Pour l'accueil et les saisons des générations futures.
W.G. SEBALD écrit: « les mutations silencieuses frayent la voie de l'avenir. » Je donnerais bien une voix au silence. A dire le signifiant de l'insignifiant, à nommer l'important du secondaire, Les derniers qui permettent le premier. En vrac. Par associations plutôt que par années. A partir des restes de mémoire et des émotions gravées. Rassembler les miettes plutôt que reconstituer le menu par le menu. Avec les miettes et à la place du chien. Non! Protestent-ils. Si, j'insiste, Nous ne sommes pas plus que des chiens, quelquefois moins. Les chiens ne s'entre-tuent pas.
Donner voix au silence pour la dignité. Malgré les humiliations, les dépendances et la veulerie, Le cynisme et la cruauté, Porter la dignité avec les mots écrits, avec l'intention du chant et le silence qui aurait une musique. Sans concession, sans larmes, juste la dignité, Et au bout des doigts la conscience de l'entier qui se livre et se lâche, L'ego en deça, Explorateur de moëlle, Le faire au moins pour soi, assez de temps perdu.
Fragment 1
Dans les faubourgs de Boulogne sur mer, Noëlla attendait mince et frêle. La faim nous réunissait, Pas la nôtre, celle de l'Afrique. Notre victoire fut d'emplir un cargo de vivres Et le jour du départ, Aux sirènes saluant Notre Dame des Mers, Notre devoir fut de nous séparer. Il y aurait eu comme un abus A se servir de la cause altruiste pour des liens exclusifs. Encore au chaud dans le désir du père Indiquant le chemin par la Croix, Il était trop tôt pour oser la vie. Pourtant, ce lien tressé de générosité aurait fécondé plus de rayonnement Que ce cargo n'a donné de résolution à la faim du monde. Quarante ans après, elle tue toujours plus. Et pour toi, Noëlla, la vie est-elle toujours la vie des autres?
Aux cornes de brume de l'hiver suivant, Je dessinais les toits de tuiles de la ville haute, Perché sur l'appui de la lucarne d'une chambre de solitude Au lieu de plancher la philosophie. Le désir du père touchait à l'inacceptable et les mains Le premier croquis sur le vif. Mais dans le brouillard épais des dix sept ans, La corne beuglait en vain. Au milieu des soutanes le sang battait l'impur Et la conscience la culpabilité. | |
| | | LaBourrique Guide
Nombre de messages : 510 Age : 59 Date d'inscription : 12/12/2008
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Mar 16 Déc - 2:57 | |
| J'aime ton préambule qui me fait penser aux textes de ferré dans le ton. Je me suis posé la question : pourquoi des vers? Et finalement , pourquoi pas...
J'attends d'autres fragments de vie. | |
| | | Lucaerne Maître
Nombre de messages : 1339 Age : 59 Date d'inscription : 11/12/2008
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Mar 16 Déc - 18:41 | |
| Ambitieux projet. "À dire le signifiant de l'insignifiant..." comme on replacerait l'homme au centre de l'Homme. J'attends la suite avec impatience. Heu... par contre... si je peux me permettre... tu veux bien descendre, je commence à en avoir plein le dos !
Dernière édition par Lucaerne le Mar 16 Déc - 18:47, édité 2 fois | |
| | | geho Maître
Nombre de messages : 1290 Date d'inscription : 11/07/2007
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Mar 16 Déc - 18:46 | |
| les vers, c'est ma respiration. Tout simplement. Ca me permet de mettre en valeur un mot, de détacher un bout de phrase qui veut dire déjà quelque chose tout seul, puis de l'augmenter d'un autre bout qui amène une autre signification. Ce n'est pas un jeu, c'est pour faire minimaliste et donner peut-être plus de force...c'est mon choix, en gros, et je le revendique, c'est ma manière de faire de la poésie aujourd'hui. Merci de ton passage. | |
| | | geho Maître
Nombre de messages : 1290 Date d'inscription : 11/07/2007
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Mar 16 Déc - 18:48 | |
| je comprends pas ton message, Lucaerne: tu veux dire que je plane trop? | |
| | | Lucaerne Maître
Nombre de messages : 1339 Age : 59 Date d'inscription : 11/12/2008
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Mar 16 Déc - 19:04 | |
| Pardon Geho, mais si j'avais été plus explicite, tu aurais compris tout de suite et ç'aurait été nettement moins drôle. Là je t'imagine en train de froncer les sourcils et de te tirer les cheveux... Parfois, je devrais avoir honte, mais même pas ! " Perché sur l'appui de la lucarne" | |
| | | geho Maître
Nombre de messages : 1290 Date d'inscription : 11/07/2007
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Mar 16 Déc - 22:15 | |
| Fragment 2
Dans un temps d'avant nous avions douze ans Dans le parc ombragé d'un château de craie bleue Où les balles d'une autre guerre avaient laissé la trace de leurs giclées folles. Pâques passées trop vite en famille, Le jour allongé et les jeux permis tard, Avant la dernière étude, étaient compensation, Gourmandise d'air pur et pansement sur la séparation. Dix ans avant 68, le père imposait encore L'enclos de l'internat protecteur de déviances fantasmées, Et vétuste: Les francs allaient à la construction d'une chapelle neuve Plus démonstrative que le confort des élèves.
A chacun sa bassine et son broc émaillés dans le grand dortoir Où les lits usés grinçaient la nuit des baisers absents et des solitudes subies, Avant les matins noirs, endormis à la messe, Et les journées de bagne scolaire et de repas silencieux Où la lecture de livres pieux cacophonait avec les fourchettes Et les louches dans les plats de métal. Le jeudi par tous les temps nous usions jusqu'à la corde de la cloche glas La bouffée de plein air et nos jeux d'évasion Dans la nature qui s'imposait partout, déjà, Aux yeux en quête de rêves échappatoires A la cime des sycomores, aux fenêtres mouvantes et étoilées des hêtres pourpres Et au coeur des orchis tachetés. Elle cachait mal les boyaux cicatrices de la der des der, Menant à Vimy ou Lorette, à leurs alignements interminables Et cauchemardesques de croix blanches. Les râles, les claquements de balles, les pluies de terre explosée Nous assourdissaient quand nous courions dans les cratères pacifiés D'herbe verte et de pâquerettes, En écho aux lectures guerrières du professeur de grec, Quand nous les avions méritées. L'obsession est toujours restée De la boucherie, de l'évitement du conflit par trop mortel Et d'un embourbement salutaire au fond d'une tranchée imaginaire, Sale mais vivant, Quitte à ne rien voir des horizons fatalement destructeurs.
Entre les lits de camp des troupes de sécurité venues protéger le relais hertzien Des improbables putchistes, -Comment auraient-ils détruit ce dont ils auraient besoin ?-, S'ânonnait le latin et la leçon sur la grenouille S'improvisait dans la classe inondée d'un orage. Les simulations de maladie pour échapper à la répétition rituelle des jours interminables Avortaient à l'infirmerie où le curé n'était jamais dupe. Il avait dû en passer par là. Un jour de drame annonçait la mort de onze mineurs dont un cousin, Ecrasés dans leur nacelle folle. Le noir du charbon sur le noir de la guerre, Un silence imposé de plus, Et quelques injustices d'autres fois ajoutées à l'enfance volée. Qui sait, à la maison, auprès d'un père aux facettes sombres, Si la vie eut été moins grise? Il reste de ces jours la beauté des arbres Où échanger les secrets d'enfants Dans la ramure où chante un vent d'avril parmi les pousses tendres, Et deux photos argentiques. Les visages disent encore les noms De copains imposés dont le lien n'a pas résisté à la dispersion, Au fur et à mesure de l'effacement des vocations artificielles, Comme des feuilles mourant vertes sur un arbre archaïque. L'Esprit ne s'impose pas, La doctrine, aussi exaltante qu'elle soit, Ne se sert pas avec des mains salies par de basses besognes, Ni dans une contention contre-productive. Elle s'esquisse avec le temps laissé au manque, Dieu qu'il s'est fait attendre!
Dernière édition par geho le Mer 17 Déc - 1:04, édité 1 fois | |
| | | constance Prophète
Nombre de messages : 4029 Date d'inscription : 07/07/2007
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Mer 17 Déc - 0:49 | |
| J'avais lu le Fragment 2 déjà, et dit tout le bien que je pensais de cette réminiscence douce-amère de l'enfance. Le Préambule est effectivement ambitieux, et surtout il soulève plus de questions qu'il n'en résout. Le Fragment 1 renvoie je suppose à des choses que tu as vécues, il y a de l'obscur et du limpide, cela n'appartient qu'à toi et pourtant tu entrouvres un pan d'intimité dans lequel nous osons entrer, sur la pointe des pieds. C'est à la fois étonnant et profond. Je ne vois rien d'autre à dire, sinon ce qu'a déjà soulevé labourriquette : pourquoi des vers ? Parce que. Bon. | |
| | | geho Maître
Nombre de messages : 1290 Date d'inscription : 11/07/2007
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Mer 17 Déc - 1:00 | |
| Merci de ton passage Constance. Le fragment 2 n'est plus le même que le premier, je l'ai retravaillé pour aller dans le sens de l'"ambition" annoncée. C'est un défi, il en faut non? Je compte sur vous pour me ramener quelquefois sur terre et à un peu d'humilité! Mais j'ai cette nécessité de revisiter une histoire avec les yeux d'aujourd'hui. | |
| | | mick Gardien de la foi
Nombre de messages : 311 Date d'inscription : 13/07/2007
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Mer 17 Déc - 1:10 | |
| un bref passage et, tu t'en doutes, une émotion profonde à la lecture de ces textes là. J'y vois l'origine de ces arbres auxquels tu es tant attaché, parce que premiers confidents et vecteurs d'échappées imaginaires. Et puis ce père omnipotent qui efface... cette mère, absente.... Le fil sauveur, pour ma part, â été et reste encore la musique. L'angoisse a été et reste encore ces visages-que j'imaginais alors- enfouis dans la terre de jeunes hommes assassinés : dans chaque village d'ici où il m'arrive de chanter, s'impose toujours une halte devant la liste ordonnée des victimes; et je lis chaque nom, les associant à ces croix de l'enfance, et j'imagine chaque vie, avant leur départ fatal vers la boucherie..., vie simple à creuser des sillons généreux, à aimer des femmes tendres. Vies volées par des fous. Oui, des fous, car jamais ils n'ont été jugés pour leurs crimes! merci, frérot; superbe restitution. Mick | |
| | | Morgane Maître
Nombre de messages : 1711 Age : 76 Date d'inscription : 09/07/2007
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Mer 17 Déc - 2:35 | |
| Je n'ai pas réagi tout de suite parce que j'ai voulu revenir sur le 1er fragment (deux déjà lu aussi). "Le signifiant de l'insignifaint et l'importance du secondaire", et surtout ne pas raconter en linéaire, parce que des instants de notre vie sont plus important que d'autres, nous ont fait plus que d'autres, et se sont ceux là qui nous marquent et qu'on retient plus volontiers qu'ils soient gais ou tristes, et comme tu le soulignes, ceux qui nous ont paru "tristes" sur l'instant le paraissent beaucoup moins aprés murissement! Et ce qui me touche c'est que tu te replaces dans un contexte d'immédiat aprés guerre, dans ce Nord que je connais, pas comme toi, mais qui m'a interpellée bien au delà de ce que j'aurais cru en y allant pour la première fois. Parce qu'il humainement tant à dire! Et si je n'ai pas connu les joies de l'internat, tous ceux que je connais qui l'ont vécu en ont le même ressenti que toi, un exil des siens, même si les siens... | |
| | | Lucaerne Maître
Nombre de messages : 1339 Age : 59 Date d'inscription : 11/12/2008
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Mer 17 Déc - 9:39 | |
| C'est un beau cadeau que tu nous fais là. On se croirait presque assis à tes côtés à feuilleter un album photo avec tes commentaires à toi, la tête dans tes souvenirs et tes émotions de ces instants imprimés. Des instantanés du monde à travers un homme, l'un se mélant irrémédiablement à l'autre et vice-versa. Et j'aime bien que ce soit en vers parce que ça correspond justement à ce rythme-là, des pensées qui jaillissent, puis repartent, et puis d'autres... comme ça vient... | |
| | | margo Maître
Nombre de messages : 1790 Date d'inscription : 08/07/2007
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Mer 17 Déc - 14:46 | |
| Tout me va, ici encore. Une grande maîtrise. Des mots lourds comme des fruits. Une sensibilité délicate. Bref, j'ai hate de lire ton livre ! | |
| | | geho Maître
Nombre de messages : 1290 Date d'inscription : 11/07/2007
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Ven 19 Déc - 1:30 | |
| Fragment 3
Le spectre de la grande boucherie ne s'effacera pas, Ni le goût de la boue en courant les bois, Ni celui de la pluie, de l'internat comme une accoutumance, Ni l'odeur de l'humus Et la pelle et la pioche pour creuser le chemin nouveau, Ni les arbres, les coteaux qu'ils couvrent Et les ruisseaux qu'ils cachent. Ni même les châteaux: A Lizy, dans l'Aisne, s'en dresse un où le 4 janvier 1971 S'enchaînait un destin d'éducateur Sur les traces de Fernand Deligny, Après la lecture naïve et passionnée de « Graine de Crapule ». Hitler aurait servi comme brancardier Dans ce manoir occupé comme hôpital de campagne Et l'Ailette, au dire des anciens, Charriait son eau rougie de sang au plus fort des corps à corps. Le Chemin des Dames est voisin Où souffle incessant le vent sur une crête chauve. Il lui faudra passer encore et encore avant de balayer La poussière des milliers d'âmes meurtries De boue, d'hivers, de gaz, d'éclats, de balles et de baïonnettes. Les champs d'horreur ont repris leur destin nourricier, Mais de la terre en labour émergent toujours les traces guerrières, Lèvres blanches des cratères, obus et bombes Que des trains lourds vont faire éclater loin. L'affrontement avec les enfants blessés Par d'autres conflits destructeurs Fut un corps à corps avec les peurs intérieures Dans un foyer qui n'avait que le nom d'« éducatif ». Les adultes y défilaient plus vite que les adolescents Et l'accueil y régnait à l'envers avec des règles résumées à une jungle: Le plus grand, le plus fort, le plus malin imposait l'arbitraire Quelquefois teinté de perversion, toujours de violence. Le novice sensé encadrer le groupe devait s'y faire Ou partir. Au refus de cette alternative s'est engagé un combat. Seul. A chacun d'asseoir une autorité, peu importe les moyens. Un combat à deux fronts: face aux enfants, à leur souffrance agressive, Et aux adultes dévoyés, un combat de tranchée. Il y eut ainsi deux Claude. Le premier s'étala bu aux pieds des garçons, Ils le dépouillèrent comme une indignité. Il allait aussi à « l'Etape », faire gicler son champagne et sa paye Auprès de filles nues jouant leur Casque d'Or et vengeant un dépit ravageur. La culpabilité demeura et le regard haineux des adultes complices, Pour lui avoir nommé la limite franchie, Et provoqué l'exclusion. L'autre Claude, violent de la maltraitance subie, Intolérant à la frustration, Lança une bouteille comme une grenade Et une arcade resta marquée à vie. Elle clignota tous les matins d'après devant le miroir, Et redit chaque jour son histoire. Il ne put en vouloir à l'enfant, sachant qu'il réglait des comptes A d'autres: les parents absents, Ils s'expliquèrent et ce Claude là s'excusa et devint plus doux. Lequel fut le plus digne, de l'enfant chiffonné ou de l'adulte exclus? A en croire les collègues, il aurait fallu jeter le plus jeune.
Et l'histoire, tous les jours d'après, dessina l'autorité. Une vraie présence attentive et ferme sur la loi, Une loi apparentée à l'amour plus qu'au statut, Et exigeant l'exemple. Le reste appartient à l'enfant qui s'apprivoise un peu à la fois Ou reste en cage derrière ses barreaux de désamour. Sa décision tient parfois du mystère. Et celle de continuer la tâche a tenu de l'acharnement à être digne, et disponible Pour tous ceux-là qui lui ont appris l'important. | |
| | | Lucaerne Maître
Nombre de messages : 1339 Age : 59 Date d'inscription : 11/12/2008
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Ven 19 Déc - 1:53 | |
| Encore un beau et bien triste moment que tu nous livres là Geho. Les cicatrices des guerres que l'on se passe de génération en génération, comme des relais obligés. "violent de la maltraitance subie". Cruelle phrase d'une actualité terrible. Et mon passage préféré. Sûrement pas un hasard s'il vient à la fin : "Le reste appartient à l'enfant qui s'apprivoise un peu à la fois Ou reste en cage derrière ses barreaux de désamour. Sa décision tient parfois du mystère. Et celle de continuer la tâche a tenu de l'acharnement à être digne, et disponible Pour tous ceux-là qui lui ont appris l'important." Une phrase me reste cependant incomprise : "Le premier s'étala bu aux pieds des garçons" | |
| | | constance Prophète
Nombre de messages : 4029 Date d'inscription : 07/07/2007
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Ven 19 Déc - 1:53 | |
| C'est tellement dense qu'il me semble nécessaire d'y revenir pour s'en imprégner. Là, je retrouve ce que je disais : écrire comme on saigne. Tu creuses des tranchées de mots, mais aussi des sillons d'espérance, et ce labour lent laisse sa trace, profondément, sans forcer. Il y a une patience dans ton écriture, quelque chose de vraiment terrien, après tout je me dis que tu es un jardinier poète, ou un poète jardinier, et que les deux vont bien ensemble. Mais je n'ai pas compris cette ligne : "Le premier s'étala bu aux pieds des garçons". | |
| | | geho Maître
Nombre de messages : 1290 Date d'inscription : 11/07/2007
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Ven 19 Déc - 2:15 | |
| Merci Constance. On dit ici de quelqu'un qu'il "est bu" quand il est saoul...je vais peut-être changer le mot bu . Ca fait trop couleur locale bretonne. Et merci Lucaerne, je n'avais pas lu ton message: même question que Constance, même réponse. | |
| | | Lucaerne Maître
Nombre de messages : 1339 Age : 59 Date d'inscription : 11/12/2008
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Ven 19 Déc - 10:29 | |
| Ou alors tu nous fais un glossaire des expressions bretonnes... | |
| | | geho Maître
Nombre de messages : 1290 Date d'inscription : 11/07/2007
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Dim 21 Déc - 20:35 | |
| Fragment 4
Entre les déchirures de ces enfants des rues Aux besoins sacrifiés à la faiblesse quelquefois héréditaire D'un entourage englué dans la ville et ses artifices, Et l'errance sentimentale De quelques coeurs à consoler à d'autres corps offerts, Sans jamais la passion absolue des premières étreintes Laissées se dénouer par abandon, La nature et sa chanson: Le long ruisseau grossi d'avril anime les reflets des arbres presque nus Une ombre y sourit, fugace, Et comme un goût amer d'avoir lâché le rêve pour de vaines chimères, Grimace. Un rideau fait voile et se gonfle d'un printemps au bonheur partagé, Et les jonquilles sont des étoiles dans le feu du matin. Une biche cambrée en travers du chemin enneigé Et les arbres voûtés de leur poids blanc, Devant sa grâce. Sur le front des coteaux au-delà des broussailles s'allongent des prairies Où l'anémone pulsatile danse au frisson du vent d'est. De la route qui sinue vers la ferme Richeux Un bois de peupliers émerge roux de la brume Pour souligner les toits indigo, Et nourrir la première aquarelle. Plus loin vers Laon les bois noirs ouvrent des brèches dans les champs clairs Et un jour de givre, Les ronces ont figé leur danse arabesque autour des piquets de guingois, Une balle orange en cage dans les chênes transis. L'anémone sylvie, la parisette en croix, Le ficaire discret, la morille odorante Et les marches sans fin pour épier leur repaire, Les marches vide-tête et les yeux vers le ciel, A compter les moutons, éluder les cirrus, Eloigner les orages et dompter les rancoeurs; A fixer les bons rails, élimer la mélancolie D'un passage entre deux vies, Quelques fleurs égayant le grand manque entr'ouvert Et une place enfin pour le désir. | |
| | | constance Prophète
Nombre de messages : 4029 Date d'inscription : 07/07/2007
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Dim 21 Déc - 23:25 | |
| Je ne trouve jamais rien de bien intéressant à écrire sur tes poèmes, je le confesse, sans doute parce qu'ils m'inspirent généralement un grand silence. Celui que l'on ressent justement devant ces paysages, un grand silence de contentement et de respect. C'est qu'il y a beaucoup dans ce que tu écris : beaucoup de beauté dans les mots que tu utilises, beaucoup de profondeur dans ce que tu exprimes, et puis ces petits bouts de vie si intime qui donnent une note émouvante et si exacte à tes textes. Entre tout ce que j'ai aimé, surtout : "élimer la mélancolie". | |
| | | Lucaerne Maître
Nombre de messages : 1339 Age : 59 Date d'inscription : 11/12/2008
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Lun 22 Déc - 17:47 | |
| Bizarrement, je trouve ce Fragment beaucoup plus poétique mais moins intéressant au niveau de la "chronique". Peut-être parce que c'est l'âge : adolescence ? jeune adulte ? Quand on pense que, peut-être, tout sera possible. Il m'a fait penser à Proust (que j'aime bien sans avoir lu la moitié de son oeuvre, trop longue, trop descriptive) pour la précision des visions qui laisse moins de place à l'interprétation du lecteur. | |
| | | geho Maître
Nombre de messages : 1290 Date d'inscription : 11/07/2007
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Mar 30 Déc - 23:50 | |
| Fragment 5
Ils se donnaient l'air d'être repus de tout Et cachaient mal leur vide Dans le confort abrasif de leur bulle. Savaient-ils seulement leur souffrance A la subir ainsi écorchés? Les petites victimes s'embourbent Dans la tranchée de leur maltraitance, Niant l'espoir d'horizons meilleurs, Et le terrible enjeu était de contester leur désespoir. L'avenir ne pouvait que s'écrire sombre Les adultes abattus de leur socle idéal Et les mauvais plis marqués indélébiles. L'arbre poussé tordu vit pourtant vigoureux. Comment lui donner l'envie de s'aimer penché, Lui faire accepter sa beauté différente Et sa place dans le paysage? Puisque l'exception sont les arbres droits. Pas de mode d'emploi dans les temps pionniers, Seules la durée, l'intuition et la méditation, Et le fil jamais lâché de l'empathie: Eux et moi dans la même humanité.
Ils étaient deux frères dont le nom m'a échappé. J'ai en tête la diapositive ektachrome au carton glacé Où l'un d'eux avait laissé surprendre son reflet dans la flaque, Au milieu des bois. A regarder longtemps l'image Est apparue la complexité. La surface révèle la silhouette et les traits dans leur aura de ciel nuageux Elle prend aussi l'ombre qui laisse deviner, Par transparence, Le fond, sa vase et ses feuilles mortes, A travers l'eau du temps. Une agitation et tout se trouble, illisible: Après t'avoir apporté les conditions du bien-être et de la sécurité, Quelquefois malgré toi, Moi, le témoin, je prendrai les instantanés de ton image calmée, Et avec toi, quand tu le voudras, Quand tu m'autoriseras, Nous chercherons à comprendre Au fond de l'eau de ton histoire Et tu deviendras acteur Capable de gérer et ne plus subir. Ne dis pas merci, j'avance avec toi, Pour toi, pour moi, pour les autres.
La flaque à double vue vaudra aussi pour la présence. Où le quotidien est l'apparence et le fond la visée Et l'attention: Comme un acteur livre son texte, Sent le public et s'adapte: Il s'appliquerait à faire comprendre le message Et à relever sa beauté.
La pédagogie Serait un tiroir à double fond. | |
| | | Lucaerne Maître
Nombre de messages : 1339 Age : 59 Date d'inscription : 11/12/2008
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Mer 31 Déc - 11:34 | |
| Des frissons dans le dos et des larmes aux coins des mirettes, à te lire Geho. Difficile d'en sortir un extrait.
Il y a ces deux derniers vers, mots tellement vrais et ignorés trop souvent. J'aurais malgré tout préféré "l'art d'apprendre" à "la pédagogie" qui fait un peu technique à mon oreille.
Et aussi : "Pas de mode d'emploi dans les temps pionniers, Seules la durée, l'intuition et la méditation, Et le fil jamais lâché de l'empathie: Eux et moi dans la même humanité." que j'aime tout particulièrement, sans que cela cache le reste de l'édifice.
Dernière édition par Lucaerne le Jeu 1 Jan - 13:38, édité 1 fois | |
| | | constance Prophète
Nombre de messages : 4029 Date d'inscription : 07/07/2007
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Mer 31 Déc - 23:34 | |
| Je dirais même : "l'art de vivre"... Certains subissent les cahots du destin, les hoquets du hasard, certains sont détruits et détruisent... reste l'espoir, celui d'une rencontre, d'un regard patient et bienveillant, de mots difficiles et calmes parfois, d'un pédagogue, quoi... C'est un texte dur et pourtant essentiel, dit à ta manière, une prose poétique qui coule comme un ruisseau, et de la même façon : vive, pressée, profonde aussi, glacée parfois, avec des coins de douceur et de langueur... | |
| | | geho Maître
Nombre de messages : 1290 Date d'inscription : 11/07/2007
| Sujet: Re: Comme les miettes avec la main Lun 12 Jan - 0:37 | |
| Fragment 6
D'un tiroir à l'autre s'est glissée une question: Jusqu'où parler l'intime? Jusqu'où dire l'errance? Etre dans le vrai sans verser au fait divers: Les chemins ne sont pas rectilignes Où l'errance se conjugue aux erreurs et les nommer Va coûter. C'est le prix de l'authenticité. Mais qui a grandi sans prendre appui sur ses faiblesses et ses échecs?
Je l'ai reconnue quelquefois dans le ruisseau errant, La vie, Aux arbres compagnons déformés dans ses rides versatiles, Gémissant furtives l'abandon, l'absence et la séparation. L'abandon ambigu dans la chaleur d'un autre nid, Déposé comme un paquet. L'abandon et son frère sevrage, Injustices du paradis perdu inexpliqué Au sourire angélique et au sein nourricier, L'abandon et sa soeur solitude, Son ombre la mélancolie. Son contour acceptable d'aurore boréale chez la grand mère attentionnée, Sa pitance oxymore d'amertume sucrée. L'absence du père. Là mais ailleurs, On ne sait où, on ne sait pourquoi, Et tellement incandescent, tel un soleil, D'absolu et de principes indiscutables, A s'y brûler les ailes du désir propre Et le bras droit en tombant ébloui Sur le foyer de la cuisine. La séparation comme une nécessité compulsive A tous les âges, dans les détails du quotidien, La séparation et son bouquet de fleurs noires Au coeur violet de souffrance destructrice Et aux tiges hérissées de piquants pyracanthas. La séparation et sa fille l'errance: Elle court comme un ruisseau clair et bondissant Un ruisseau fou qui ne sait pas creuser son lit Et rêve d'être un canal bien tracé. Il a trouvé quelques grèves Où étendre ses eaux calmées Et s'ennuyer au bout du compte, S'ennuyer et chercher des issues, D'autres voies provisoires où tâtonner Et reproduire l'abandon, l'absence et la séparation, Se punir de ne pas savoir aimer, Prendre toujours le chemin difficile et mendier la reconnaissance... Une lame inlassable à l'assaut de sa roche tendre, Elle entame et s'infiltre, elle ronge, elle érode, Elle émiette et sa musique manquerait dans la mer étale, Sa musique et ses coups à l'accoutumance au pire...
Et alors? L'abandon a permis l'ailleurs et la richesse, la boulimie de curiosité. L'absence crée le manque et le manque l'éveil du désir, l'imagination, l'indépendance, La séparation et ses souffrances ont ouvert l'intériorité Et les bras aux démunis, L'errance a fui les attachements vains, cherché le vrai, gardé le simple. Rien ne serait jamais tout à fait acquis ni tout à fait mauvais, Mais il faut parler aux enfants, Les secrets sont des prisons aux fantasmes ravageurs, Il faut parler aux enfants et s'assurer d'être compris. | |
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