Acte 1 : Se reconnaître et se nommer

Invité

- Euh, pardon, s'il vous plaît, quelqu'un peut me dire si j'ai le droit de monter dans le tram avec mon vélo ?
- Oui je crois.
- Ah merci, merci beaucoup.

La porte du tram menace de se refermer mais la main secourable de la femme qui, déjà, avait répondu à la question appuie sur le petit cercle vert clignotant. Juste à temps. Les deux lourds battants font marche arrière et finalement ne viennent percuter ni le vélo ni sa propriétaire. Une sonnerie se fait entendre et, cette fois, le tram repart.

- Merci encore.
- C'est aux heures de pointe que les vélos sont interdits je crois.
- Oui oui je comprends bien. Je gêne tout le monde avec mon engin.
- Pourquoi vous prenez le tram ? Vous avez votre vélo.
- Je voulais voir ce que ça fait. C'est beau un tram, c'est gracieux, silencieux, c'est presque magique. Depuis que je suis à Bordeaux je vois tous ces gens qui flottent, immobiles. J'avais envie de flotter moi aussi, avec mon vélo je ne fait que voler, c'est trivial de voler.
- Vous n'avez pas payé.
- Non c'est vrai.
- Vous ne payez pas ?
- Non, j'oublie toujours ce genre de trucs, c'est pas grave, j'ai de la chance. Des fois.
- Moi aussi j'aime le tram. Mais je ne flotte pas, j'observe. J'observe la ville, regardez, ça défile.

Des gens montent, d'autres descendent, personne ne s'étonne de ces deux femmes qui flottent et qui observent. On ne sait pas pourquoi ils ne s'en étonnent pas, peut-être, après tout, peut-être que personne ne voit qu'elles flottent et observent.

- Elle est drôle votre robe.

La femme au vélo porte une longue robe noire et droite, ni ample ni trop près du corps, qui lui tombe aux pieds, avec une capuche pointue et des manches effilochées. On se demande bien comment elle arrive à faire du vélo, habillée comme ça.

- C'est moi qui l'ai faite. Mais ce n'est pas une robe, c'est un manteau.
- J'aimerais faire ce genre de choses.
- Faut oser.
- Faut y penser. Et savoir.
- Faut oser.
- Faut…
- …oser.
- Oui, c'est comme de prendre le tram sans payer.

Le tram arrive à son terminus… C'est très intrigant, comme histoire. On ne saurait deviner comment elle va finir. Mais cela ne dépend que d'elles, après tout. Regardons. Mais sans bruit…

- Je descends là.
- Pas le choix, la voix mielleuse et horripilante de la femme…
- …la machine…
- …la femme…
- Tant pis.
- Je disais donc que la voix mielleuse et horripilante de la femme-machine est en train de nous mettre dehors.

Sur le quai, il fait froid.

- J'aimerais avoir ta robe.
- Je te montrerai…à quel arrêt je suis montée déjà ?
- Hôtel de ville.
- Demain, c'est dimanche non ?
- Oui.
- Alors on dit demain, dix-huit heure, à l'arrêt Hôtel de ville ?

La femme au vélo et à la robe noire plaque un baiser sur les lèvres de l'autre, enfourche son deux-roues et repart dans l'autre sens, roule sur les rails du tram.

Le lendemain, elles sont au rendez-vous.

- J'ai failli ne pas te reconnaître, sans ton vélo.
- Et la robe alors ?
- Un gâteau ?
- Chocolat, génial, merci Bonne Maman.
- Des sablés.
- Hum…on monte dans le tram.
- On va où ?
- On va discuter.
- Tiens, il est vide, c'est amusant.
- Ca ne va pas durer longtemps, faut qu'on en profite. Tu me suis ?

La femme à la robe sans son vélo tend sa main, ouverte paume vers le ciel. Elles marchent dans les allées et ont l'impression de courir. Ca les fait rire, toute cette vitesses, on sent qu'elles sont comme enivrées.
Puis, lorsque le tram ralentit et que des gens se profilent sur le quai, attendant d'y monter, elles se choisissent deux sièges face à face.

- Et si on se donnait des prénoms ?
- Comment ça ?
- Je ne connais pas ton prénom, tu ne connais pas le mien, alors on n'a qu'à s'en inventer d'autres, rien que pour nous, qui nous iront sûrement mieux que les vrais. Pour être sincère, j’en ai marre de me traîner celui que m’a donné ma mère.
- D'accord, je choisis le tien, je serais bien incapable de m'en choisir un.
- Ca marche ! Mais ne réfléchis pas trop, il faut que ce soit spontané pour qu'il m'aille vraiment.
- Anne.
- Heliz. Heliz avec un "h" et un "z", c'est plus original.
- Dans ce cas, toi ce sera Ann sans "e".
- D'accord.
- Bonjour Ann !
- Bonjour Eliz !

Elles échangent un bref baiser.

- Pourquoi tu m'as choisi ce nom ? Pourquoi Ann, pourquoi celui-là et pas un autre ?
- Je ne sais pas…peut-être à cause de ta robe. Et toi, pourquoi ?
- Parce que tu brilles.
- Hum…
- Tu es plutôt thé ou café ?
- Ça dépend. Le matin, café, ça va de soit. L'après-midi, du thé, so british, so smart !
- On va chez moi prendre un thé ?
- Ok, il fera toujours plus chaud que dans ce tram.

Considérons donc désormais que la femme à la longue robe noire – hier nous l'aurions appelée la femme au vélo – se nomme Ann et que l'autre se nomme Eliz. Car, après tout, elles en ont décidé ainsi.

Bon, déjà, le narrateur qui met son grain de sel dans l'histoire comme dans la dernière nouvelle de toi que j'ai lue, j'aime !

L'histoire elle-même, je trouve qu'elle manque d'un certain réalisme, et en même temps j'aime beaucoup son côté décalé, inattendu.
Disons que le fait que les deux personnages s'embrassent tout de suite, je trouve ça un peu 'facile' par exemple. D'un autre côté ça fait partie de l'aspect décalé de la nouvelle. (J'ai moi-même du mal à me comprendre là...)

Par contre j'aime bien l'étrangeté des dialogues, même si des répliques comme 'Chocolat, génial, merci Bonne Maman.' ne me font pas trop d'effet.

Disons que j'aime l'idée générale de la nouvelle, même si je n'adhère pas à tout.
J'attends la suite en tout cas !

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Edit après le com' de Margo : oui, c'est exactement ça, elles "flottent" !

Maître Nombre de messages : 1790 Date d'inscription : 08/07/2007

Entre rêve et réalité, elles flottent... Ca me plaît et s'il y a une suite, je suis partie prenante.

Disciple Nombre de messages : 36 Age : 41 Date d'inscription : 20/08/2007

J'adore ! Vivement l'acte 2.
Et le truc des prénoms ça me donne envie de le faire... mais avec qui?

Invité

Acte 2 please! c'est frais, c'est bon, c'est zen. Et c'est vrai, le tram, c'est génial!

J'ai commencé à te lire et puisqu'il y a la suite, je commenterai lorsque j'aurai tout lu.
M'enfin j'aime assez l'univers décalé et la recontre.
A plus...
Cath

» Acte 5 : Souffrir sous le tomber du rideau
» Fin du premier acte.
» Acte 2 : Se faire l'amour et la vie
» Acte 3 : Se dévoiler et s'éloigner
» Acte 4 : Abandonner la lutte et se trahir