Comme un sourire passe, dérisoire à la devanture des souvenirs, je fais du mal aux gens qui ne le méritent pas. Je me complais dans l’absence, je me noie dans l’errance, je me perds peu à peu disséminant souffrances, rancoeurs, mélancolie. Entraîner l’autre est pire que tout, c’est seul que je dois sombrer ; il est toujours trop tard lorsque le miroir s’éclipse, un simple sourire oublié se transforme inévitablement en mélancolie douce amère, émotivité sournoise, la mémoire joue son jeu et je lésine sur les mots. A quoi bon écrire ? A quoi bon se taire ? Je suis perdu depuis toujours, sans le vouloir je perds les autres, je n’en peux plus de ce malaise mais je m’éveille chaque jour croyant renaître, un doux instant je suis à tes côtés puis tout disparaît, respirer c’est mourir.
J’ai préparé à manger pour quinze, comme une fête immense qui se rie de l’avenir ; je suis seul ici et ce matin tout a pourri, je jette le rêve absent d’une peuplade enfuie. Les poubelles pleines dégueulent mes égarements, j’ai voulu croire encore que vivre était possible sans toi mais je laisse ma maigre nudité à ses errances immobilières. De l’entrée au salon, du salon à la chambre, de la chambre au couloir, du couloir à la cuisine, j’achève la visite dans une salle de bain où la douche est trop grande quand on vit solitaire. Ingurgiter des chips à la bière en laissant traîner les ordures ne soulage rien, le poids de l’absence est chaque jour un peu plus lourd. J’ai pris conscience que j’avais vraiment pris du bide ce jour où, penchant la tête, je n’ai plus réussi à voir ma pauvre bite se balancer bêtement le long des couilles, vivent les miroirs et les ventres plats. Le miroir me dit que ma nudité n’a plus rien de maigre, premiers effets de drogues en cubis, mon corps se dégrade, ne resteront que des mots.
L’exil a des vertus que le répondeur ignore, il suffit de s’éloigner quelque temps pour que les ignorants se passent le mot, ma messagerie déborde. Mille mots d’amour sans doute, quelques bienséances sûrement ; nulle trace de toi. D’un doigt j’efface sans écouter, écourtant l’intrusion du monde dans un malaise qui ne tient qu’à moi, dehors les voyeurs, laissez-moi seul avec mon gros bide et ma pauvre pite pendante, laissez-moi tranquille je vous dis, je vais bien finir par bander solitaire, ça me donnera une chance d’apercevoir quelque chose ailleurs que dans ce putain de miroir de merde, laissez-moi tranquille, usurpateurs de l’existence.
Je bave, je crache, je chie, je vomis.
Je vous épargne tout, pourtant vous m’en voudrez et vous aurez raison. On ne peut pas cracher sur l’autre sans éclaboussure, on ne peut pas briser les miroirs, on ne peut pas bander quand on est ivre, même écrire on ne peut pas, il n’y a rien, plus rien, je vous épargne tout pour éviter votre haine en face.
Il fait déjà nuit noire, le temps est capricieux. Je suis le seul fléau de mon existence, je n’en désire pas d’autre. Le cubi à portée de main, nudité froide sur carrelage terne, l’overdose de souvenirs m’achève enfin, silencieuse.
Mais divaguer ne suffit plus, des vêtements tournent dans la machine, tout est mécanique, le jour de nouveau s’est éveillé, mécanique bien huilée, je suis fou, je suis fou, entre rêve et réalité, mécanique perdue, endormi, sens aux aguets, le tambour, le tambour, rien n’existe vraiment pourtant je suis en vie…