Bonjour à tous, j'espère que vos vacances furent profitables...
Entre deux
Nous marchions, je crois, sur les chemins de l'Aude, entre Marcevol et Vinça. Au bas d'une prairie naturelle, dessous le prieuré roman austère et splendide dans la lumière matinale et dans l' invitation à s'élever, le sentier s'est engagé sur un dallage de pierres polies et multicolores, érodées de milliers de passages, et bordées de murets à joints vifs, en harmonie avec les vieux arbres et les émergences rocheuses et agrémentés de banquettes et de niches.
Vides les niches, laissant imaginer leurs objets décoratifs comme un manque son rêve.
Les banquettes appelaient à la pause.
Les pas, l'un après l'autre, répétaient : entre deux, entre deux.
Comme un cordon de plage, un couloir, un perron, un escalier, le hall de la gare, une salle aux pas perdus, un bac, une route, un halage, un pont, le chemin est un non lieu ou s'il l'est, un lieu de passage et de non événement. Ou s'il est événement, il est mouvement, ligne plutôt que point, un entre deux.
Il faut une maison, une chambre, une ville, un château, pour accueillir l'événement. Ou une bergerie, une église, une île sur la mer, un champ, un sommet, un lac, un bateau, un endroit où s'arrêter, dormir, festoyer, contempler, écrire, planter sa tente, tisser des liens.
On ne s'assoit pas au milieu du chemin, de la route ou du pont pour faire ces choses-là.
Nous venons tous de l'entre deux, de ce passage obligé de la vie dans l'entre jambes.
Est-ce cela qui nous rend les passages étroits et difficiles entre les âges, entre les rôles et les changements ?
Entre deux frères et deux maisons, entre l'ailleurs et l'ici, gohélan de Gohelle, aux passages incessants d'envahisseurs, aimant grèves et goélands, oiseaux et déserts d'entre terre et mer, me voici à aimer la souffrance et l'errance des chemins, entre deux s'il en est. A m'imaginer infatigable martinet, toujours en vol.
Je ne lirai pas l'aventure de cet homme parti en voyage à la recherche du lieu idéal où s'enraciner. Je sais comment j'en écrirais l'issue : l'expérience du voyage fut telle qu'il voulut continuer à s'en tenir au mouvement, à marcher jusqu'à la fin, vagabond discret d'un éternel entre deux.
Comment en serait-il autrement avec un père toujours ici et absent, avec l'obsédante culture de la précarité et des exodes, avec un destin déterminé de remplaçant.
Vagabond discret d'un éternel entre deux : entre la fuite et la recherche, suivant que le regard se retourne ou se projette en avant. Ente nostalgie frileuse et audace aventurière. Amarrée au quai mais tournée vers le large, une barque hésitant sur le flot, seulement capable de dire le clapotis qui la remue entre deux pêches.