Mains sales, insidieuses et irrévérencieuses

C’est alors que tout me revient en mémoire. Absolument tout. Ce pull rouge et gris à rayures en chevrons, ces cheveux foncés, cette peau hâlée, ce visage honni. Et, plus que tout, ces mains. Ces mains sales, insidieuses et irrévérencieuses.

Mes paupières sont closes, et les images qui s’imposent à mon esprit me semblent soudain évidentes. Comme si je l’avais toujours su. Comme si je n’avais jamais oublié. Comme si ces souvenirs étaient restés ancrés au plus profond de mon âme alors que je croyais naïvement y avoir échappé.

Je revois la salle de classe, je revois cette petite fille que j’étais et qui était moi. Je revois la table à laquelle j’étais assise, légèrement plus haute que celles de devant. Je revois mon voisin de droite et son pull rouge et gris à rayures en chevrons. Je revois ma salopette rayée noire et blanche. Je revois mes cheveux blonds emmêlés, jamais coiffés.

Et surtout, je ressens. Je ressens cette honte, ce sentiment de culpabilité. Je ressens cette conviction que je fais quelque chose de mal. Je ressens cette tristesse, tout au fond de moi. Cette incapacité à aller vers les autres, à rire avec les autres.

Les larmes coulent sur mes joues au fur et à mesure que les images défilent. J’ai l’impression d’assister à la projection d’un film. D’un film triste et dur. Injuste.

Et soudain, j’ai envie de lui dire. À ce garçon. À lui et à ses mains sales. J’ai envie de lui dire qu’il n’avait pas le droit. Qu’il n’avait pas le droit de prendre possession de mon corps. De glisser ces mains sur ma peau, de me voler mon intimité. Mon innocence. Mon bonheur. Ma vie. Tout simplement pas le droit. J’ai envie de lui crier cette haine, ce dégoût. Envie de le dénoncer devant le monde entier. De le punir. Envie de me sentir enfin en sécurité, loin de tous ces souvenirs. Loin de ces mains. Envie de profiter enfin de la vie. De retrouver cette confiance que je n’ai jamais connue. Confiance dans les hommes. Confiance en moi. Confiance dans mon propre corps.

Je rouvre les yeux. Tout ceci m’apparaît à présent comme une évidence. Ces mots que je n’ai jamais osé dire. Cette peur d’être jugée. Peur d’avoir commis une faute. Peur de laisser les autres entrer dans ce cauchemar. Il faut que je le dise. Il faut que je couche ces mots sur le papier. Que je me libère de ces sensations, de ces mains sales, insidieuses et irrévérencieuses.

Je ne te demanderai pas si c'était une histoire, ou ton histoire.
J'ai trouvé cela très beau de vérité et de sensibilité.
Merci donc Sunshine.
Cath

Une histoire que beaucoup partagent, malheureusement.
Margo, émue.

bien noir ton cri, Sun, on est tenu par l'émotion de cette petite fille révoltée et du coup, on fait pas attention au style: et pour moi, quand l'écriture ne se remarque pas, c'est qu'elle sert bien son sujet. Alors bravo...et bon retour sur le site.

Tu en dis peu mais tu dis tout, l'essentiel. Le reste ne serait que pâture au voyeurisme. Cependant, il est essentiel que tu en parles plus profondément, au moins à quelqu'un qui sache l'écouter.
Et rien n'est de ta faute, j'espère que tu le sais à présent.
Force.

Non, il n'avait pas le droit.
Personne n'a le droit de toucher sans y être autorisé.
Le pire est encore que c'est la victime qui se sent responsable, et qu'elle se sent souillée au point de n'oser en parler à personne.
Mais tu le dis enfin, et ça libére.
Contente de te retrouver ici, Sun.

Et oui, il faut le dire, quand on le peut, quand on est prête.
Ne serait-ce que pour se vider l'âme de cette ordure. Une fois le petit filet de paroles libéré, aussi petit soit-il, il devient rivière, et torrent, et lave peu à peu l'horreur.
Il faut le dire, petite soeur, si tu es prête.
Ce texte montre que oui. C'est donc le début.

Merci à tous pour vos commentaires... Et pour votre soutien. Maintenant que c'est dit, tout peut (re)commencer.