Divagation pour piéger le Destin

(écrit il y a un an, sur le mode de l'écriture automatique, à la main dans un premier temps)



Surprendre le destin avant qu'il nous surprenne.

Droitier, j'écris ces mots de la main gauche.
Peut-être les effacerai-je dans un instant, peut-être pas, en quel cas tu dois être en train de les lire.
Il t'est donc désormais facile de prétendre que "c'était leur destin" de ne pas être effacés.

Mais
au coeur de mon présent, suspendu, fragile, subtil, infime dans son
éternité, éternel dans son éphémère précarité, un équilibre
décisionnaire joue encore la vie de ces mots.

Une phrase ci-dessus vient d'ailleurs d'être supprimée. Tu ne pourras donc pas la lire.
Existe-t-elle parce qu'elle fut tout de même écrite?
Ou bien n'existe-t-elle pas puisque personne n'est là pour la lire?
Elle évoquait la futilité, l'impermanence.
Mais sais-tu ce qu'est l'impermanence?
Ce concept peut-il outrepasser le caractère superficiel voire artificiel, et la vanité des "valeurs" de ta société?
De ta communauté?
De ton groupe d'individus où chacun ne pense traditionnellement qu'à sa gueule, et à la rigueur à celle de ses proches?


Mais peut-être es-tu une exception...
Je me calme.
Je viens de m'auto-censurer encore.
Une phrase entière à la fin du dernier paragraphe vient de sauter.
Des mots qui t'auraient certainement permis d'émettre un jugement sévère à mon égard.


Le destin de ces mots est décidément incertain.
De quoi dépend-il?
De quoi dépend le Destin d'ailleurs?
D'un chemin tracé? ...mystérieusement métaphysique (divin? magique?) (donc Dieu?)
Ou du hasard?

Le hasard est-il le contraire de la Destinée?

Mais si le Destin est Dieu, le hasard serait-il diabolique?

Destin/hasard = Dieu/Diable = harmonie/chaos = créateur/destructeur ?

Non.
Mauvaise équation à mon avis.

Il s'agirait plutôt selon moi d'une réciprocité interactive, d'une dualité dont chaque part inclut l'autre.
Oui Yin/Yang si tu veux.

Où
en étais-je? Je suis parti sur l'idée de tromper le destin avec mes
mots avant qu'il ne me trompe, en écrivant de façon automatique, et
accessoirement irrévérencieuse, si cela se présente.
Ha! Soyons impertinents!
Nous perdons nos certitudes ; elles mollissent en même temps que nos culs et nos ventres.
Fanent alors nos espoirs secrets et insolents d'immortalité et de reconnaissance.

J'écris
donc sans réfléchir, et toi tu lis, recréant artificiellement par la
pensée le processus aléatoire du fil de mes idées, l'alignement
spontané de ces mots qui sont aussitôt écrits, sans avoir eu le temps
d'être préalablement validés par un agrément, un jugement de la raison.
Car la raison est une ennemie de l'ordre naturel des choses.
La raison est incompatible avec le destin (sinon magie divine) mais aussi avec le hasard (sinon l'aléatoire quantique).
La raison n'a rien à voir avec l'harmonie, ni avec le chaos.
La raison est l'antithèse du ici et du maintenant.

D'ailleurs,
ceci n'est pas un raisonnement, contrairement aux apparences, mais bel
et bien une divagation revendiquée, gauche, pour tromper ce foutu
destin, qui avait prévu avec mon fourbe consentement préalable que je
traiterais d'un sujet conventionnel, d'une façon banale, sans surprise,
avec un début et une fin.

Je l'ai bien eu.

Franchement, c'est génial! Trop tard pour en dire plus.
Mais...oui, tu l'as bien eu!

Moi je trouve ta divagation très structurée. Non pas structurée par un raisonnement, mais par l'essentiel de ce que tu es, et puis par son contraire, que tu es aussi.
Ecrire de la main gauche, exercice presque classique, pour faire ressurgir l'obscur en soit, le "sinistre" (la main gauche est dite senestre en héraldique), voire le diabolique, au moins l'interdit.
J'aime le parti pris de s'adresser à quelqu'un, tout simplement parce qu'on a l'impression que tu t'adresses à chacun en particulier, dans un ton intime, un ton qui pousse chacun dans ses retranchements.
La dichotomie/complémentarité du destin et du hasard est un sujet qui m'a toujours passionnée. Je crois que j'avais à peine 15 ans que j'élaborais déjà de grandes théories sur la fatalité, du moins les fatalités comparées...
"Nous perdons nos certitudes ; elles mollissent en même temps que nos culs et nos ventres" : bien envoyé. Ca existe, les abdominaux pour certitudes ?
D'accord avec toi concernant la raison : je m'en méfie depuis que j'ai lu Descartes. J'ai une dent contre le pauvre René...
La fin est une pirouette, beau masque . Une pirouette sérieuse et profonde, néanmoins, à ton image.
Margo n'a pas tort : c'est plutôt génial, en fait.