C'est dimanche soir.
Un miracle aux fils auburn se profile du côté de La Corogne. Un port au bout de la Galice. Un Brest espagnol.
Du haut de la tour d'Hercule, le plus vieux phare du monde encore actif, verrais-je mieux l'horizon ?
Une galerie des glaces en front de mer,la trace de Picasso adolescent, et le plus gros débit de poissons européen.
Avec ça, je ne sais toujours pas ce que veut dire ce nom : La Corogne.
Je sais qu'elle vécut des heures cruelles, de grandes émigrations vers l'Amérique du sud, au Brésil et en Uruguay. Les sévices de Franco et plus tôt la disette.
Et là vit Béatriz.
Mon coeur a déjà fugué.Le corps ne se décide pas. Faute d'indices cherchés toujours plus nombreux et définitifs. J'attends.
Mon coeur est bouleversé. Encore une fois. Une fois de trop ou la bonne ?
J'ai prié un Dieu auquel je ne crois plus. Enfantillage. Je sais qu'il faudra aller, tout simplement, si je veux savoir. Je sais sans savoir. Folie. Affolé,comme ces battements. Prêt à tout.
Je me disais en regardant l'entrée par la fenêtre, suppose qu'elle arrive, là, et dise :« on y va » ?
Qu'est-ce que je fais ? Je pars ?
Non, je dis : « attends »!
Et elle : « non, c'est maintenant ou jamais » !
Je ne sais pas ce que je ferais.
Pourtant, c'est bien la question : tout quitter d'un jour à l'autre.
Emmener les crayons, les carnets...le reste ? Le reste ne compte pas. Une sorte d'effacement. Est-ce vivable à terme ? Je le crois. Je le veux. Faut que je parte.
Il faut bien effacer ce tableau pour y réécrire. Ce tableau froissé, décrépit,où le fond est à refaire.
Imagine : un port comme je les aime et ses bateaux qui vont, qui viennent. Ses bateaux, ses gens, ses vents et ses drames. Import export. Sa poisse et ses grues, ses rues mouillées, ses odeurs de marées. Un entre deux les pieds à terre, les yeux à la mer, allée du soleil et lointain horizon d' une planète ronde, le coeur en va et vient et ses cheveux au portant, voiles d'un sourire alizés.
Au fond du bistrot, une table où écrire à l'oubli du vacarme, à l'ombre d'un plafond bas où se resserre l'intimité de la main à la page ouverte et diffusent les confidences des marins plissés d'embruns.
M'asseoir sur les bancs des Beaux-Arts en me disant que Picasso...
Mais tout cela est l'accessoire,l'habit, le décors.
L'essentiel est indicible. Trésor tenu secret. Dévoilé : mirage évanescent. Retenu: feu nourrissant.
C'est dimanche soir, lundi viendra trop tôt ; les corvées inutiles de la semaine à entretenir l'espoir puisque tout se détruit toujours;laissez-moi rêver.