LE CERCLE
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

LE CERCLE

Forum littéraire
 
AccueilPortailGalerieRechercherDernières imagesS'enregistrerConnexion
Le Deal du moment :
Boutique Nike : -25% dès 50€ sur TOUT le ...
Voir le deal

 

 Legendes de Fleuves Volés

Aller en bas 
2 participants
AuteurMessage
Morgane
Maître
Maître
Morgane


Nombre de messages : 1711
Age : 76
Date d'inscription : 09/07/2007

Legendes de Fleuves Volés Empty
MessageSujet: Legendes de Fleuves Volés   Legendes de Fleuves Volés Icon_minitimeJeu 23 Oct - 16:00

30/07/08






En des temps heureux, l’Erdre vaquait parmi les marécages.
Elle ondulait, paresseuse, entre joncs et roseaux où guettaient les grands hérons argentés. Les grenouilles donnaient des sérénades aux ondines.
L’Erdre n’était pas seule à sereinement divaguer, non loin coulait la grande Loire.

Elles avaient créé un pays d’eau. Les hommes habitaient parmi les îles et les marais.
Ils pêchaient, chassaient dans les forêts, tissaient la laine et le lin, paraient leurs femmes de somptueux bijoux.
Ils s’assemblaient dans les clairières pour prier avec les druides, et les bardes chantaient la nature.

Mais vinrent les conquérants romains… pour eux la nature n’était pas cadre enchanteur mais territoire à exploiter.
Et commença le long calvaire des fleuves et rivières…
Ils devinrent des « voies » qu’il fallait rendre navigables au prix de travaux douloureux.
Les ondines fuirent vers des eaux plus plaisantes, chassées par les porteurs de croix.

Félix surtout, fut redoutable !
Sa main miraculeuse créa un confluent, pour corriger la nature qui ne convenait pas à ses desseins, il contraignit l’Erdre à rejoindre la Loire dont il modifia le cours. Entre les Mauves et la Madeleine, un canal la rendit navigable.

Le grand fleuve reçu fort mal la nouvelle venue :
« Je suis reine des eaux du doux pays de France. Maints vassaux me servent leurs eaux, n’ai oncques besoin d’une sauvageonne de Bretagne. »
Mais l’Erdre, jolie babillarde su plaider sa cause.
« Nul vouloir en moi de vous causer déplaisir, Majesté, on m’a forcée comme on vous a contrainte. Je suis petite, tel dit mon nom. Née dans l’Etang de Clairet, n’ai point traversé la France. Mais puisque l’homme a décidé d’unir nos eaux, bien que les bretons fassent peu volontiers allégeance, je vous offre ma foi. »
La Loire, séduite, accepta la nouvelle venue.
La petite, du fin bec d’une aigrette fit graver sur son blason : « Ultime affluent de la Loire avant l’Atlantique », rehaussant son statut de cours d’eau errant, petite consolation de sa liberté perdue.

Erdre et Loire n’étaient hélas point au bout de leurs malheurs. Las de leurs divagations persistances qu’ils nommaient « caprices », les hommes n’eurent de cesse de les dompter, de les soumettre à leur volonté.
Un a un les bras entre les îles furent comblés, l’estuaire toujours fouillé, redressé pour accueillir des navires sans cesse plus lourds puissent remonter jusqu’à Nantes.
D’un village de pêcheurs, on créa Saint Nazaire, l’avant port atlantique. Pour satisfaire les appétits croissants de l’industrie, on couvrit la rive droite d’usines, de raffineries qui rejetaient sans scrupule leurs déchets dans les eaux.
Et, pour permettre la circulation des automobiles, on recouvrit le confluent, on cacha Erdre et Loire sous le béton.

Pleurant sa liberté, la Loire roule de sombres souvenirs :

« Je viens des montagnes, Petite Celte, certes je ne descends pas en torrent impétueux, il est doux le Mont Gerbier de Jonc, mon berceau. Pourtant on me nomme « sauvage »… Sauvage, j’aurais tant aimé le demeurer.
Les celtes me respectaient, mais les romains m’ont nommée « Liger » : boue, limon…
Oui, je porte des boues, mais je les dépose, c’est la fertilité, mon val est un jardin, tant chanté des poètes.
Comme toi, Petite Celte, je subis leur volonté, fouillée, canalisée, redressée pour leur navire, je me meurs !
Oh, j’aimais les « bateaux de Loire » construits pour moi, par ceux qui me comprenaient. Je n’ai jamais refusé de porter gabarres, chalands, tunes, flûtreaux…
Certes, j’ai des crues, les hommes les craignent, mais nous les eaux courantes devons respirer, nous étaler. C’est indécent de s’installer ainsi qu’ils font dans nos lits.
J’ai engendré un monde : la « Civilisation ligérienne », avec ses savoirs faire, ses coutumes, son parler. Ces hommes là vivaient avec moi et par moi.
Reine des fleuves, fleuve des rois…
Le roi François disait de toi : « la plus belle rivière de France ».
Ces hommes là nous tracassaient un peu, mais ils connaissaient notre valeur, ils nous confiaient leurs châteaux, nous respectaient…

J’ai mal, Petite Celte…
Te souviens- tu ?
Mal aux rives, mal aux eaux, mal aux poissons qui meurent empoisonnés, mal des digues, quand je les brise, ils cherchent encore comment me « contenir » davantage, ils ne comprennent rien à ce qu’est un fleuve.
Mal de tout ce sang qu’on a versé en moi…
Tant de sang, tant de sang !
Les Normands, oh, les Normands…
Leurs drakkars remontaient toujours plus haut pour semer viols, pillages, incendies, et je roulais des corps meurtris.
Jusqu’à ce que vienne Al Louarn, Alain Barbe Torte,..
Ses premières victoires lui valurent la reconnaissance et l’allégeance des bretons qui le reconnurent pour leur Duc. Sa chevauchée le mena jusqu’à Nantes. Là, sur notre confluent qui était encore libre, au Pré Saint Aignan, et la bataille fut rude.
Les bretons sont d’abord repoussés, défaits, assoiffés : Al Louarn se met à genoux, lève les mains et supplie la Vierge de leur donner une source.
Et la source sourd du sol, les bretons, revigorés, reprennent les armes et remportent la victoire.
Noël, Noël, les envahisseurs sont chassés à jamais !

J’ai mal, Petite Celte…
Mal d’Amboise. Tu ne connais pas Amboise : un si beau château où notre Anne, duchesse et reine se plaisait à traiter maints artistes. Une époque heureuse où la Bretagne était encore libre. Anne a lutté pour la garder hors toute oppression, mais… Elle disparue, tu sais ce qu’il advint.
Et virent ces guerres odieuses, les hommes de France n’étaient pas d’accord sur la façon d’adorer leur dieu, et le sang, le sang, toujours le sang, a coulé à Amboise. Il en a tant coulé que les belles dames y trempaient le velours de leurs robes en dansant sous les potences.
Il en a tant coulé que de nouveau j’ai rougi, hélas, ce ne fut point la fin des souffrances.

J’ai mal, Petite Celte…
Te souviens- tu ?
Les hommes de France sont partis, loin, sur l’autre rive de l’Atlantique. Loin, ils ont porté l’oppression, encore, toujours douleur et sang.
Il fallait des bras pour exploiter les terres d’Amérique volées à d’autres hommes.
Ils sont allés les voler en Afrique, et Nantes s’est enrichie, enrichie du sang et de la souffrance du Bois d’Ebène.
Le sang suintait des coques des navires négriers qui remontaient à Nantes les épices et le sucre.
Le sang scellait le mortier des belles demeures de L’île Feydeau, Feydeau qui n’est plus une île, et toi tu roules sous le Cours des Otages, bien nommé, nous sommes leurs otages.
Ils ne savent pas que, la nuit, les mascarons cessaient de rire pour hurler des anathèmes contre ces marchands qui étalaient leur fortune en fixant dans la pierre l’image de ceux qu’ils traient comme des marchandises.
Nantes est punie, les grands navires ne remontent plus. Je « m’envase » comme ils disent, à qui la faute ? Ils nous interdisent de respirer…

J’ai mal, Petite Celte…
Te souviens- tu ?
Invasions, exécutions, esclavage, ce n’était encore point assez de sang.
Vint l’ignoble Carrier et ses noyades. Des gabarres que l’on perçait pour que hommes, femmes, enfants qu’on y avait entassé coulent.
Encore des cadavres, encore du sang, toujours du sang, nos eaux souillées, toujours, encore…

J’ai mal, Petite Celte…
Te souviens-tu ?
Saint Nazaire, anéantie sous les bombes.
Les hommes fuyant le feu, et la base de ces odieux bâtiments sous marins, intacte…
Oh ! Que de folies, que de souffrances, que de sang, toujours, encore du sang.

Viens Erdam, viens !
Je t’emmène vers l’océan.
Là bas est la liberté pour nous, fleuves volés.
J’y emmène le cœur d’Anne bordé d’or qui garde la Bretagne libre.
On m’a pris le dernier château, je ne baigne plus ses murailles, la Fosse n’est plus un quai, les marins ne chantent plus.
Je porte en Atlantique leurs âmes perdues dans les tavernes.
Viens Erdam, je t’emmène, je t’emmène vers l’infini.

Viens, Petite Celte, viens, nos noces sauvages avec l’océan, l’homme ne pourra jamais nous les voler.
Viens…

study Second prix dans la section: Légendes au concours de l'Arée du Littoral Vendéen.

Ecrit à la suite d'une ballade sur l'Estuaire de la Loire en Juin.
En conclusion, le guide nous a dit que l'estuaire, à force de creusement de digues, de canalisation, de pollution, est en train de mourrir. Alors on envisage de lui rendre un peu de sa liberté pour la laisser à nouveau divaguer... Les fleuves en ont besoin pour respirer de ces étendues marécageuses où ils s'étalent...
Seulement ça coutera cher et que faire de toutes ces installations sur ces zones?
Avant de penser vaguement à lui rendre sa liberté pour qu'elle vive, il aurait fallu commencer par ne pas lui prendre!
Je hais les brimeurs de fleuve...

Pour comprendre les réfèrences CF: Notes sur Légendes de Fleuves Volés dans "Culture: Histoire et Mythologie"
Revenir en haut Aller en bas
constance
Prophète
Prophète
constance


Nombre de messages : 4029
Date d'inscription : 07/07/2007

Legendes de Fleuves Volés Empty
MessageSujet: Re: Legendes de Fleuves Volés   Legendes de Fleuves Volés Icon_minitimeJeu 23 Oct - 23:31

Délicieuse promenade, au début si chantante, puis prenant des accents de révolte qui te conviennent bien, l'enchanteresse...
Un prix largement mérité.
J'aime qu'avec toi, on apprenne toujours, et j'aime que tu te sentes outragée qu'on brime les richesses pourtant si généreuses de la nature.
Je suis aussi du coin, de la Sarthe qu'on dit "du grand ouest", et je connais un peu ces pays de la Loire. La douceur d'y vivre était grande encore lorsque j'étais enfant. Les choses ont bien changé...
Revenir en haut Aller en bas
http://eaux-douces.bloxode.com
 
Legendes de Fleuves Volés
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Notes sur: "Légendes de Fleuves Volés"
» Légendes de Lames
» Légendes Arthurienne
» Légendes de Chouettes
» Légendes des Vergers et Jardins I) Alchimie de la Pomme

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
LE CERCLE :: ECRITURE :: Nouvelles, feuilletons, romans-
Sauter vers: