Les derniers préparatifs filent à toute allure et nous voilà déjà à la veille de nous marier. Nous faisons des courses pour nourrir tous les invités déjà présents puisque beaucoup viennent de province d’une collation le midi mais aussi pour le lendemain de la cérémonie. En rentrant, nous sommes pris dans un immense embouteillage et je suis obligée d'annuler le coiffeur prévu le soir en prévision du chignon pour le lendemain. C’est finalement mon amie Joëlle, que j’ai été chercher le soir à la gare qui s’occupera de me cheveux tout en discutant.
Et arrive le merveilleux jour, tant attendu de ma part. Tout sera pratiquement parfait et nous vivrons des moments très intenses d’émotion et d’amour partagé avec nos proches, notamment avec la cérémonie à l’église qu’un prêtre ami de mon futur époux a bien voulu prendre en charge. Cette cérémonie est un souvenir exceptionnel. Parce que cela n’était en rien conventionnel du fait que j’ai déjà été mariée à l’église et qu’il ne pouvait même pas y avoir de bénédiction puisque je vis paraît-il dans le pêcher depuis que je ne vis plus avec mon ex-mari. Le curé de notre ville a même refusé de nous ‘prêter’ son église pour cette cérémonie et il a fallu trouver une autre église en moins d’un mois… Mais oublions cela, et ne gardons que le meilleur.
La soirée et la nuit seront inoubliables. L’expression du don de soi à l’autre. Merveilleux…
Il nous sera vraiment difficile de faire retomber la pression et de retourner au quotidien et aux diverses soucis qui nous assaillent tous…
Et pourtant… A peine avons-nous le temps de préparer des remerciements, de voir les photos du fameux jour, de régler la paperasse inhérente au fait que j’ai changé d’état civil ou d’aller commander un meuble avec une partie de la cagnotte reçue au mariage (le reste étant dévolu à un futur voyage que déjà la fin de l’année se profile. Je quitte mon travail pour quinze jours de vacances en bonne santé et en 15 jours je me retrouve gravement malade.
Un 22 décembre, je me couche normale. Et le lendemain, je me réveille enceinte de 6 mois au moins. Surprise et légère inquiétude qui s’intensifie rapidement. Je vois le médecin trois jours plus tard. On me parle d’aérophagie mais quelques jours et quelques examens plus tard, il faut se rendre à l’évidence : c’est grave. Je grignote à Noël et n’arrive même plus à manger au jour de l’an. Je souffre de maux d’estomac assez terribles. C’est un médecin échographe qui la première me fait prendre conscience du mal qui m’habite. « Vous avez une tumeur, peut-être plusieurs, sûrement malignes, me dit-elle. A ma question sur la reprise du travail imminente elle répond : «Vous n’irez pas travailler dans deux jours car vous devez trouver ce que vous avez et vous faire soigner d’urgence. Je vais appeler votre médecin traitant».
Sans transition, nous voilà dans la salle d’attente du médecin qui nous prend entre deux patients pour récupérer une ordonnance afin de faire faire une prise de sang qui définira la gravité du mal mais je ne me fais pas d’illusion. Tumeur maligne. Plusieurs tumeurs. Très grave. Pourtant je reste zen, je ne sais pas comment, comme si cela arrivait à quelqu’un d’autre. Bizarre…
J’explique à mes enfants le peu que je sais et qu’il faudra sûrement que j’aille à l’hôpital pour être opérée. Lundi matin, au lieu d’aller au boulot, je vais au laboratoire presque sereine et l’on me dit de revenir le soir pour les résultats… La journée passe, je suis assez calme. Je me suis rassurée, je n’ai peut-être qu’une tumeur bénigne après tout. Mais au laboratoire m’attend la pire nouvelle de ma vie. Cette fois plus de doute, c’est bien un cancer.
Chapitre 7 : La révélation
Les mots, les colonnes, les chiffres sur la feuille zigzaguent devant mes yeux quand je réalise. Je suis… comment dire… hébétée, sans réaction. Il y a comme un blanc, un raté dans les limbes de ma raison. La secrétaire qui m’a donné mes résultats vaque à ses occupations sans se préoccuper de moi, ignorante du drame dans lequel je viens d’entrer de plein pied.
Je sors du laboratoire en titubant mais j’ai dû attirer l’attention par mon attitude et la laborantine me rattrape l'air surpris et inquiet : « Mais vous n'étiez pas au courant ? » Je hoche la tête « non »... Alors elle m'attrape doucement par le bras et me pousse vers l'intérieur « Je ne peux pas vous laisser partir comme ça. » Elle m'installe dans l'un des petits cabinets où l'on installe les gens pour les prises de sang. « Je suis désolée qu'on vous l'ai appris comme ça. Je pensais que le docteur vous avait expliqué ». Je demande de quel docteur il s'agit et elle précise qu'elle pense au gynécologue qui a demandé des examens le mois dernier. Je lui réponds l'air ébahi : « Mais je ne l'ai pas encore vu, j'ai rendez-vous la semaine prochaine. » Tout cet échange est ponctué par de violents éclats en sanglots de ma part quand je réalise ce qui m'arrive. Je craque littéralement (qui ne craquerait pas...) et pleure bruyamment d'autant plus quand je réalise que ce gynécologue parisien a reçu mes résultats alarmants et n'a strictement rien fait (c'est vrai que je me suis présentée sous mon nom de femme mariée et qu'il a reçu les fameux résultats à mon nom de jeune fille qu'il ne connaît pas.. Mais tout de même, une recherche était possible en se tournant vers le labo expéditeur... Cette attitude m'a fait perdre un mois et vu l'agressivité de ce cancer, j'ose dire que cela est criminel Monsieur le Gynécologue ! Et à quatre vingt dix euros la visite, c'est proprement scandaleux !!!) La laborantine semble très affectée par la situation et ne sait que faire pour m'aider. Elle propose d'appeler mon mari afin qu'il vienne me chercher et je dis oui en pensant vaguement que je vais l'obliger à quitter son travail, mais c'est tellement normal qu'il le fasse...
Entre deux accès à la panique (tumeur maligne, ça veut dire un cancer... J'ai un cancer, moi ? C'est pas possible !), j'explique à cette laborantine pourquoi je suis allée voir ce gynéco, que je ne pensais pas qu'il avait demandé un examen pour rechercher le cancer de l'ovaire et qu'il ne m'en a rien dit (le salaud). Elle semble un peu déroutée par ce que je lui dis (et elle n'a pas fini. Maudits toubibs avec leurs foutues manies de tout garder secret !!!). Malgré cela, elle se veut rassurante, encourageante. Elle téléphone à mon médecin et il lui répond que je dois venir le voir de suite. Là-dessus arrive mon mari, l'air tout chaviré. Après quelques rapides explications des résultats d'analyse et après que la laborantine se soit assurée que je fais un peu mieux face (mais rien qu'un peu), nous sortons du laboratoire et rejoignons ma voiture. Je m'installe au volant mais je craque à nouveau, prise de panique. Mon portable sonne : mon amie Joëlle vient aux nouvelles mais je ne peux parler à personne et je passe vivement le téléphone à Alain qui met ma Jo au courant et raccroche bien vite. Je me force à me calmer, il faut bien que je ramène la voiture. Nous rentrons en nous suivant. Entrée lugubre dans la maison. Les gosses voient bien qu'il y a du grabuge et nous leur disons brièvement les nouvelles. Puis nous partons voir le médecin et sommes reçus rapidement.
Comme à son habitude mon médecin est calme, mais grave, vu la situation et il me parle tout de suite d'hospitalisation. D'après lui, il faudra sûrement m'opérer très vite. Il me propose soit l'hôpital public de la ville voisine, soit l'hôpital privé le plus proche ayant un service de cancérologie (au secours, c'est pas à moi que ça arrive !!). Vu mes antécédents avec ce fameux hôpital public, nous optons de suite pour le second établissement. Je ne le regretterai pas, mis à part un incident de belle taille que je relaterai un peu plus tard. Je ne le regrette toujours pas aujourd'hui.
Voilà. J'ai un cancer, moi. Pas une autre, moi. J'ai compris que c'est très grave et que le « pronostique vital » comme ils disent est en jeu. Alors ma vie va s'arrêter là ? Ce n'est pas possible, je n'ai rien vu venir... Mais qu'est-ce que j'ai fais pour mériter ça ??? La santé ne se mérite pas non ? Je ne peux m'empêcher de penser que ça fait pile 10 ans que l'accident de mes fils (et l'amputation du bras gauche de mon aîné) a eu lieu... Dix ans déjà que j'ai divorcé d'avec leur père. Mon cancer (ma saloperie de cancer plutôt oui ! D'abord ce truc ne peut être à moi puisque je ne l'ai pas voulu) aurait-il pour cause ce terrible accros à ma vie ? C'est sur ces considérations et après avoir fait ma valise que je me couche, serrée contre mon homme tout aussi perdu que moi ; et nous pleurons ensemble longuement sur tous nos rêves écartelés et les horribles épreuves qui nous attendent...
Le lendemain, mardi 9 janvier 2007, nous partons tôt pour l'hôpital. Ma belle-mère est là, une fois de plus, pour s'occuper de mes fils et de la maison. Bien entendu mon Alain m'accompagne, et sa mère pour le soutenir puisque les enfants, bravement, sont allés à l’école. Arrivés aux urgences, je suis rapidement installée dans un bloc de soins et prise en charge par une équipe qui me questionne longuement et passe au peigne fin les résultats de l'échographie passée le samedi précédent. Des examens complémentaires sont aussitôt programmés et l'interne appelle le service d'oncologie pour me trouver une chambre. Oncologie / cancérologie, c'est pareil. Je hurle intérieurement mais je sens en même temps une énergie de tous les diables me tenailler : je veux livrer bataille et vendre plus que chèrement ma peau. Disons que je serai carrément 'hors de prix' !
Après que l'on m'ai pris un peu de sang (pour l'analyser of course), je vais me faire découper en tranches par le scanner puis par l'I.R.M., je crois.. Je demande à voir le médecin de l'imagerie mais celui-ci a déjà parlé à quelqu'un de l'équipe des urgences qui me prend en charge. On me confirme que j'ai bien au moins une tumeur maligne (par 'au moins' il faut comprendre qu'il est presque certain que d'autres ont aussi choisi mon ventre pour nid !). Bizarrement, je reste zen, comme s'il s'agissait de la vie de quelqu'un d'autre... Un peu comme pour un viol où, souvent, la femme quitte psychiquement son corps afin de supporter l'outrage. Voilà : mon esprit s'échappe car il ne supporte pas l'outrage, l'entrée par effraction dans mon corps, à mon corps défendant de cette p..... de maladie !
Et puis, la journée avançant, cela va très vite. J'attends assez peu aux urgences (mais c'est toujours trop long malgré tout lorsqu'on est ravagée et traversée, comme je le suis sans cesse, par tant d'émotions et de sensations fortes et terribles). Rapidement, je me retrouve dans une chambre (301) -seule évidement- et la valse des blouses blanches commence : infirmières pour une énième prise de sang et aussi beaucoup pour m'entourer, me rassurer et m'expliquer les milliards de questions qui me traversent et pour me soutenir lorsque je craque, aides soignantes pour tout ce qui concerne le bien-être et concours à m'offrir un certain confort et puis, bien sûr, tout un tas de médecins hyper spécialisés (gynéco, chirurgiens en chirurgie viscérale, cancérologues). Mon mari m'a laissée pour retourner à la maison chercher quelques bricoles qui manquent au bric-à-brac de la parfaite future-opérée d'un truc grave. Il reviendra plus tard accompagné de ma belle-mère, venue me soutenir. J'ai le temps d'appeler mes parents pour leur expliquer l'horrible suite des événements. Mon père, atteint depuis 7 ans d'un AVC, a du mal à faire face. Il panique. Ma mère est plus calme, habituée à la maladie. Et puis elle a déjà eu un cancer. Bon un tout petit au sein, tué dans l'œuf avant d'avoir éclos. Mais quand même à l'époque, je me rappelle comme j'ai eu peur... ça fait tellement peur cette vacherie là !
Il y a ce jour là une infirmière exceptionnelle pour sa disponibilité et son sens de l’écoute. Je ne suis plus tout à fait sûre de son prénom, Virginie je crois (jeune femme blonde d’environ 30ans). Elle n’est pas de ce service et n’est là que pour un remplacement ponctuel. Mais elle est plus que professionnelle car elle a compris qu’à ce moment de ma vie, j’avais besoin de beaucoup plus. Elle viendra me voir plusieurs fois et chaque fois restera longtemps compte tenu de toute la charge de travail et de responsabilités qui leur incombent. Elle restera et m’écoutera parler et pleurer. Elle répondra à mes premières questions de cancéreuse et me donnera le conseil le plus important et le plus utile pour lutter contre cette maladie et je le livre ici bien sûr : lorsqu’on est gravement malade, il ne faut pas s’occuper QUE de sa maladie. Il FAUT avoir d’autres centres d’intérêts non médicaux afin d’occuper la partie non malade de notre personne et de faire taire l’autre qui est malade. Cette dernière ne devant s’exprimer que lorsqu’on s’occupe de sa maladie. C’est cela qui permet de garder forces et courage. Je ne reverrai jamais cette personne et personne ne réussira à m’aider à la retrouver… Aussi devais-je lui consacrer ce paragraphe pour relater ce fait essentiel dans le déroulement de ma maladie. Je la remercie pour ce geste d’une grande humanité et remercie par extension toutes les infirmières qui, chaque jour, accomplissent mille petits miracles et aident les malades à supporter l’insupportable.
C'est en fin d'après-midi que se fera l'apparition du Docteur G. . Il se propose de m'opérer pour faire, comme il dit « le ménage » dans mon abdomen. Il arrive avec une armée de collègues et autres blouses blanches dont pas une ne me sera présentée (mais entrez donc et donnez-vous la peine d'assister à la mise à mort de la bestiole infectée que je ne me sens qu'être à ce moment là ). On fait sortir ma belle-mère et mon mari (et pourquoi au juste ? Surtout mon mari, franchement il avait sa place dans la chambre.. Et moi qui n'ai rien dit. C'est qu'on se sent pieds et poings liés devant l'omnipotent corps médical...) Et voilà ce fameux docteur qui, pour me brosser un rapide et concis portrait de la situation prononce ces mots, jusqu'alors restés fatidiques : « Madame, c'est bien simple : IL Y A LE FEU A LA BARAQUE ! ! ! Mais je peux vous opérer après-demain (jeudi 11 janvier) pour arranger ça. C'est possible. Mais ce sera difficile, il y a des risques ; il faudra peut-être vous poser quelques temps un anus artificiel car j'ai bien peur que vous n'ayez aussi une tumeur du colon (Et allons-y gaîment tant qu'on y est... Si vous avez d'autres trucs artificiels à me poser, ne vous gênez pas !)... Mais je peux vous sortir de là. Vous pouvez aussi prendre un autre avis m'enfin il faut vraiment vous dépêcher car la maladie avance vite.» Je lui demande combien de temps j'ai devant moi et il me répond de suite «pas plus de 3 semaines ! Après, je ne réponds plus de rien !»
A ces mots, je fond à nouveau en larmes car je vois bien l'air de gravité qu'ils ont tous et puis je repense à la différence entre le résultat du fameux CA 125 (le marqueur du cancer de l'ovaire) du 12 décembre demandé par l'excellent gynécologue parisien (606) et de l'état du même marqueur à l'avant-veille de passer sur le billard (700 ! sachant que le taux normal ne doit pas dépasser 35 !!! Oui c'est fou, mais j'apprendrai plus tard de la bouche même d'une autre malade que, parfois, ce taux peut monter énormément plus puisque le sien a frôlé les 10 000 ! ! ! ! Alors, 700, au fond, ce n'est pas tant que ça).