LE CERCLE Forum littéraire |
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| Comme des miettes, fragment 21 | |
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geho Maître
Nombre de messages : 1290 Date d'inscription : 11/07/2007
| Sujet: Comme des miettes, fragment 21 Lun 16 Nov - 21:27 | |
| Le fragment 20 marquait comme une étape, un cap pris vers l'évocation de la peinture, j'ai décidé d'ouvrir comme une autre partie présentée différemment en prose. C'est toujours pour moi un essai de chant poétique, je m'y efforce dans l'écriture, c'est pourquoi je continue de le poster ici.
Fragment 21: pavillon 1 numéro 4
Le coron était un alignement de maisons mitoyennes en appareil de briques et bâties sur cave. Chacune des habitations avait trois murs aveugles et une façade ouverte sur la ruelle pavée en impasse. Il était plus facile ainsi de la boucler par sa seule issue accessible en cas d'agitation sociale. Notre coron était composé de cinq logements en enfilade de quatre pièces chacun sur deux niveaux. Nous habitions le deuxième au numéro 4. Il était l'un des plus anciens du parc immobilier des houilléres et des moins confortables, à deux cents mètres de l'avenue plantée de platanes où siégeait l'administration des mines nationalisées après la deuxième guerre mondiale. Tout était construit, même la pauvre maison, selon un style architectural homogène où la brique, abondante dans la région du Nord, régnait en monopole. On ne remarquait plus la beauté décorative de cet assemblage d'unités de vingt deux centimètre et demi de long par onze de large et six d'épaisseur qui déterminaient toutes les autres mesures, hauteur et largeur d'ouvertures et de maçonnerie, tant les poussières noires en effaçaient les reliefs, les compositions en paneresses et boutisses, en chevrons et saillies et les couleurs naturelles de terre cuite quelquefois émaillées. Récemment, quelques architectes ont pensé remettre en valeur ce patrimoine inestimable à travers la rénovation et l'aménagement d'usines désaffectées. Et je projette encore de pratiquer la maçonnerie ou le pavage avec ce matériau adapté des mesures en 8, 4 et 2 pouces et universel: Jaune à Ypres, rose à Toulouse et cru dans tous les pays chauds. Je suis resté curieux de toutes les manières rencontrées de traiter la brique et tous les matériaux issus directement de la minéralité. Je ne vois pas de meilleure façon d'affirmer à la terre notre appartenance que d'accepter de faire son nid avec ce qu'elle nous propose de plus immédiatement disponible et toujours réemployable: la terre, la pierre, le bois, après les grottes. Au-delà de la ruelle, un petit jardin de la largeur de l'habitation et au fond les toilettes à fosse morte d'où tirer l'engrais du potager. Ce qui fut longtemps l'usage naturel des déjections humaines et animales a disparu en tirant la chasse d'eau pour devenir un élément des modes de vie urbanisés et d'une modernité visant la facilité et quelque part à occulter d'un jet liquide nos pollutions et nos déchets. On en revient avec des toiletttes sèches réïnventées. L'évidence du "rien ne se perd, rien ne se crée" réapparaît au bout du gâchis. Grimpés sur nos montagnes d'immondices, nous commençons à voir au loin venir les pénuries et les eaux troubles. Et régénérer, récupérer, redonner une vie font sens comme condition à la survie de nos enfants. Enfin! Après les toilettes, celles adossées précédant les jardins du coron en vis à vis. Le fond de la ruelle était fermé d'un haut mur hérissé de tessons de bouteilles. Protection contre le chapardage dans le grand potager de la maison d'ingénieur, agrémenté d'une serre, de chassis, d'un jardin d'ornement, d'un verger en espaliers et des services d'un jardinier de la Compagnie. Nous aurions pu accéder à un meilleur logement en rapport avec la situation paternelle de cadre. Mais après avoir connu l'internat et la captivité, jamais Joseph n'a voulu déménager. Quasi pathologique ce refus malgré les pleurs de ma mère et les avantages déclinés: confort, une chambre pour chacun, la discrétion de voisinage assurée et la proximité des commerces et communications. Bien après notre départ, enfin et seulement quand ce pavillon 1 fut condamné, il consentit à se déplacer de 100 mètres pour un appartement neuf. Une fois Irène partie pour de mal, il alla clouer sa solitude chez une amie de Bordeaux. Au moins six mois passés à ranger, trier puis se séparer de ses objets et meubles. Et ce petit départ fut à coup sûr la répétition du grand laissé s'en venir peu de temps après. Le côté ouvert de la ruelle donnait sur une petite place et sur un square, quartier général de nos organisations d'enfants, préalables aux explorations de la "colline", amas de remblais crayeux où fleurissait la camomille, de la mare aux boues noires issues du lavoir à houille de Fouquières et où traquer le triton, de l'ancienne voie ferrée aux talus de schistes colonisés par la prêle, ces "queues de renard" dont j'ai appris bien plus tard les usages de récurant pour les casseroles noircies, en décoction comme protection antifongique des légumes et fruitiers. Avec les fougères découvertes à foison fossilisées sur ces mêmes schistes et avec les lichens, la prêle des champs: une des plus vieilles plantes de la terre. Avec les rameaux des sureaux, une feuille à cigarettes quémandée au père et un élastique, nous faisions des "flutiaux", et de l'encre avec les baies. Des saponaires roses, nous nous frottions les mains pour rentrer moins sales. Un jour, dans un ancien bac à boues transformé en jardins ouvriers, nous avons déplanté, mon frère, un copain et moi, une planche d'ail et sommes allé laver les plants dans la réserve d'eau de pluie du "quart de six heures", le bistrot où les mineurs venaient prendre leur "bistouille", café mélangé au genièvre ou au calvados, tôt le matin avant de descendre au fond. Le copain complice est allé se laver les mains et a ainsi échappé à la colère et à la fessée mémorables. C'est que le potager restait le lien, distendu par le travail minier, avec la terre dont tous venaient. Un lien sacré et un complément de ressources pour l'économie quotidienne. De ces paysages éphémères où couraient nos aventures, il ne reste rien. Des rocades, de nouvelles habitations les ont remplacés. Les terrils noirs se sont couverts de bouleaux après s'être consumés ou se sont allongés sous les routes au profit de la déesse auto. Là où je vivais croyant que tout existait depuis toujours et pour l'éternité, le laminoir du progrès a écrasé les reliefs et défiguré davantage les profils déjà encrassés d'un siècle d'exploitation charbonnière. Partout où l'homme passe violer la terre, laisse son empreinte indélébile de rapace sans la préoccupation de préserver et régénérer, il ne reste que des plaies ou un effacement de la nature sur des lieux où il n'est même plus possible de se souvenir d'autre façon que par bribes. | |
| | | mick Gardien de la foi
Nombre de messages : 311 Date d'inscription : 13/07/2007
| Sujet: Re: Comme des miettes, fragment 21 Mar 17 Nov - 13:40 | |
| Je me rappelle les deux marches en pierre gris-bleue des Ardennes qu'il fallait escalader pour accéder directement au séjour-salle à manger; nous la transformions souvent en siège pour y palabrer, en terrain de jeu aux osselets, où, plus tad, en lieu de spectacle, le transistor grésillant les mélodies du top 50. La cave, où le charbon était stocké, pelleté par le soupirail bâti à fleur de sol extérieur, était en voûtines de briques, et ses recoins mystérieux et sombres donnaient l'envie d'en remonter sans tarder.... La colline -de dix mètres- , c'était nos Alpes à nous, d'où nous revenions les pulls et culottes maculés d'argile et de craie et les coudes et genoux rougis et écorchés. Le bosquet de sureaux se prêtait à nos constructions de "cabanes" au moyen de quelques branches entrelaçées; les rêves échafaudés là furent bien plus grands que l'oeuvre architecturale! La déportation en des lieux objectivement bien plus vastes et bien plus beaux, mais sans amour, a laissé une plaie toujours ouverte.... Pardon d'interférer dans ces miettes, frérot! Toujours aussi délicieuses à grignoter. Mi | |
| | | geho Maître
Nombre de messages : 1290 Date d'inscription : 11/07/2007
| Sujet: Re: Comme des miettes, fragment 21 Mar 17 Nov - 14:16 | |
| mais je t'en prie, j'ai fait du tri dans tout ça car il y aurait encore mille choses à dire. L'important, c'est que ça réveille chez toi ou chez d'autres des choses enfouies qu'il fait bon retrouver. | |
| | | Morgane Maître
Nombre de messages : 1711 Age : 76 Date d'inscription : 09/07/2007
| Sujet: Re: Comme des miettes, fragment 21 Mar 17 Nov - 16:48 | |
| Encore de ces miettes si nourissantes pour l'esprit et le coeur! Tu fais aimer encore plus la terre, la brique, c'est de la terre! Aujourd'hui, ce qui reste des corons est souvent transformé en habitation de luxe... | |
| | | constance Prophète
Nombre de messages : 4029 Date d'inscription : 07/07/2007
| Sujet: Re: Comme des miettes, fragment 21 Mer 18 Nov - 0:56 | |
| Ce que tu écris devrait être lu dans les écoles. Pas seulement parce qu'il y a dans tes textes une poésie solide dans sa nostalgie un peu rude, mais parce qu'il existe un vrai bon sens dans tout cela. Et le bon sens manque cruellement aux nouvelles générations, je trouve du moins. J'ai sourit à ta description des cabinets qui procuraient l'engrais pour le potager. Bien sûr, ça se faisait aussi chez nous. On appelait ces poétiques WC : des "feuillées". J'en ai revu il y a une quinzaine ou douzaine d'années, chez le pépé de mon ex qui avait un terrain au Barcarès. C'est toute une histoire d'ailleurs que ce pépé et ce terrain de gitan au milieu des petites maisons proprettes du lotissement... bref, le pépé avait fait des cabinets à l'ancienne, et quand le trou était plein, il rebouchait, déplaçait les WC plus loin, et plantait... des tomates sur le terrain ainsi fertilisé. Ce sont les meilleures tomates que j'ai mangées de ma vie. Avec celle des vendanges en Champagne. | |
| | | geho Maître
Nombre de messages : 1290 Date d'inscription : 11/07/2007
| Sujet: Re: Comme des miettes, fragment 21 Mer 18 Nov - 21:02 | |
| Tu as fait les vendanges en Champagne? Moi aussi, dans les années 80...mais je ne me souviens que du champagne, plus des tomates. Dans beaucoup de régions du monde où l'agriculture reste vivrière, c'est à dire pour nourrir les gens du lieu et non pas pour être exportée, toutes les déjections sont une matière précieuse d'engrais. Nous l'avions oublié dans les villes et dans les campagnes avec les engrais chimiques. Cela revient en force, surtout avec la problématique de la pollution des eaux et de leur traitement. | |
| | | constance Prophète
Nombre de messages : 4029 Date d'inscription : 07/07/2007
| Sujet: Re: Comme des miettes, fragment 21 Jeu 19 Nov - 1:39 | |
| J'ai fait les vendanges en Champagne quelques années, pas loin d'Epernay (à Cormoyeux pour être exacte), et puis je me suis fait trop mal au dos et j'ai abandonné... mais ce n'était pas dans les années 80, hum. Je crois la première fois en 1993, oui, c'était l'année où je me suis installée dans mon appartement et où j'étais super fauchée. | |
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| Sujet: Re: Comme des miettes, fragment 21 | |
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| | | | Comme des miettes, fragment 21 | |
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