LE CERCLE Forum littéraire |
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| Comme des miettes, fragment 23 | |
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geho Maître
Nombre de messages : 1290 Date d'inscription : 11/07/2007
| Sujet: Comme des miettes, fragment 23 Jeu 17 Déc - 15:20 | |
| Fragment 23 L'école Voltaire
Dans le plumier de bakélite noire décoré de fleurs, un compas métallique, un crayon à ardoise et son porte-mine en ferraille à la bague de laiton, un porte-plume en bois et quelques « départementales », hanches larges et taille de guêpe, souples aux pleins et déliés, le crayon de graphite HB et son taille mine en acier. Le cartable n'a pas laissé de trace, seulement les cahiers aux carreaux seyès, les livres couverts de kraft bleu nuit et les joies de leur distribution à la rentrée prolongées par l'atelier d'emballage à la maison. Peut-être le seul moment de travail scolaire partagé avec les parents. Les étiquettes cadrées et lignées s'humectaient à la langue avant d'être collées quelquefois avec une hésitation sur leur meilleur emplacement. Leur tranche coupait et elles avaient le goût amer de la gomme arabique. A l'école Voltaire, instituteurs et élèves portaient la même blouse grise. Les châtiments corporels et humiliants avaient cours comme la fessée cul nu devant la classe ou les coups de règle carrée sur le bout des doigts. La communale servait l'autorité et la discipline sous l'arbitraire des maîtres et maîtresses, sans délicatesse. Partout les droits n'étaient que l'ombre des devoirs et chaque lieu: école, internat, comme un petit royaume où personne n'avait droit de regard sur les abus totalitaires quelquefois criminels. Ces enclaves de l'arbitraire teinté de perversion tendent à disparaître au bénéfice du droit, mais au fur et à mesure que le contrôle social se fait plus intrusif, la pensée plus uniforme du politiquement correct et le poids plus léger, limite négligeable, de chaque individu face au cynisme du pouvoir dominant. La citoyenneté se limitant au rôle de bon consommateur, d'acteur silencieux et besogneux du déséquilibre des partages et accessoirement de gestionnaire bénévole du divertissement, écran de fumée soignant l'ennui et donnant l'illusion du tous artistes c'est possible. Tous les matins, il fallait boire les excédents laitiers de la France, à la paille et en bouteilles d'un quart de litre sonnant dans leurs caisses de bois. Merci Mendès France. Avec la plus belle écriture de la classe, une orthographe sûre et le record de vitesse au calcul mental, l'élève GH apprenait vite et monsieur Dupont lui donnait à recopier ses cahiers de maître pendant qu'il houspillait les petits poussifs à l'apprentissage. Je n'ai pas aimé que Bernard T. pique le premier prix de récitation, empêchant le grand chelem sur l'ensemble des matières et la rafle des prix de juin récompensés de beaux livres rouges et dorés aux gravures emmenant déjà la rêverie vers les ailleurs peut-être plus vivables. Disparus les livres, l'école et les copains, sauf un. Qu'attend-il pour répondre aux messages? Une photo prise à l'entrée du stade raconte le rôle de maire en queue de pie et gibus, écharpe tricolore en bandouillère, joué pour la fête des écoles, avec pour femme Serge S. . Les classes n'étaient pas mixtes et le processus d'identification rendu plus difficile pour Serge. Derrière le mur du stade, rue de la Libération, un cimetière allemand quasi à l'abandon dont personne ne parlait, comme de ces baraques en bois à l'écart de la ville et en des lieux incultes où logeaient, entassés, les mineurs nord-africains. On allait les chercher pendant ces années-là, mais le respect pour leur contribution à l'effort industriel cédait la place, déjà, à la méfiance et au rejet. Pas besoin de faire connaissance, un étranger est un étranger et un africain, moins que rien. Dans les cités ne pouvaient prendre une place équivalente aux enfants du pays que les polonais et les italiens. Le fort en thème n'a pas eu à affronter les sévices habituellement réservés à son cas. Parce qu'il s'imposait aussi comme un bon compagnon de jeu physiquement redoutable et courageux. Une chance mesurée bien tard. Dans la tête, face au père imposant, au standing comparé avec les enfants des plus aisés, il était petit et trop sensible à la forfanterie des autres. Et face à la dépression maternelle pour le petit frère disparu, interrogatif et mal assuré dans son rôle de remplaçant bientôt remplacé. Des poids redoublés à l'adolescence, en lutte constante avec la volonté de puissance qui les érodera progressivement pour elle-même s'ajuster de ses excès. Apprendre sa place est un long travail. La veille des vacances de Noël, à l'Eden, les écoles se rassemblaient pour la projection annuelle d'un long métrage et la distribution traditionnelle de brioches et d'oranges. Dans ce même cinéma, j'ai vu Anne pour la dernière fois. Elle a disparu en même temps que les lumières et ma volonté de la reconquérir en croisant le regard de son compagnon handicapé. Rideau. Jean Mineur publicité et une larme au coin du coeur. | |
| | | Morgane Maître
Nombre de messages : 1711 Age : 76 Date d'inscription : 09/07/2007
| Sujet: Re: Comme des miettes, fragment 23 Jeu 17 Déc - 16:41 | |
| A part que c'était rien que des filles pour moi, oh, mixité honnie! Et que je n'étais pas toujours la première, c'est mon enfance que tu me racontes aussi! Merci Geho! | |
| | | constance Prophète
Nombre de messages : 4029 Date d'inscription : 07/07/2007
| Sujet: Re: Comme des miettes, fragment 23 Ven 18 Déc - 0:37 | |
| On va égrener nos souvenirs d'anciens combattants Mais je me rappelle très bien l'odeur de la rentrée, les tables de bois qu'on cirait soigneusement avant les grandes vacances, les encriers en porcelaine blanche que le meilleur de la classe avait le privilège de remplir. C'était difficile, parce que la bouteille était lourde, et pas question de la renverser ! L'odeur de la craie, la brosse toute pleine de poussière qu'on nous lançait à la tête quand on discutait... J'étais souvent première, en tous cas en français, orthographe, rédaction, tout sauf en maths. Obligée, ma maitresse était aussi ma mère. Merci G de cette plongée dans la grandeur et la misère de nos enfances. | |
| | | Farouche Gardien de la foi
Nombre de messages : 452 Date d'inscription : 22/05/2008
| Sujet: Re: Comme des miettes, fragment 23 Ven 18 Déc - 12:02 | |
| Les souvenirs des autres, je ne sais pas si je ne les aime pas encore plus que les miens... Merci Gé | |
| | | Garance Maître
Nombre de messages : 1359 Date d'inscription : 04/02/2009
| Sujet: Re: Comme des miettes, fragment 23 Ven 18 Déc - 13:04 | |
| Des souvenirs d'écolier que tu nous contes toujours avec le même talent et que tu as su clore par une dernière phrase vraiment bien trouvée. | |
| | | Lucaerne Maître
Nombre de messages : 1339 Age : 59 Date d'inscription : 11/12/2008
| Sujet: Re: Comme des miettes, fragment 23 Sam 26 Déc - 19:20 | |
| - Farouche a écrit:
- Les souvenirs des autres, je ne sais pas si je ne les aime pas encore plus que les miens...
Il faut dire que racontés par Gého ! Tu es un conteur Gého. Et quel conteur ! On voit, on sent, on entend, on ressent... c'est palpable, comme si on était transporté dans ta vision. Je viens de lire les 22 et 23 à la suite. C'est toujours un grand plaisir. Je rêve d'avoir un jour une version papier sur mes étagères...
Dernière édition par Lucaerne le Dim 27 Déc - 0:33, édité 1 fois | |
| | | constance Prophète
Nombre de messages : 4029 Date d'inscription : 07/07/2007
| Sujet: Re: Comme des miettes, fragment 23 Sam 26 Déc - 22:22 | |
| Et moi donc ! Mais ça vient, patience... | |
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| Sujet: Re: Comme des miettes, fragment 23 | |
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| | | | Comme des miettes, fragment 23 | |
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