LE CERCLE Forum littéraire |
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| En ombre chinoise | |
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Invité Invité
| Sujet: En ombre chinoise Dim 2 Sep - 21:32 | |
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Hier soir, je suis allée dormir chez Lux. J’aime dormir chez elle, c’est un des rares endroits où je me sens vraiment, vraiment chez moi. Ce soir-là, on avait envie d’être ensemble. On a loué une vidéo, on a réchauffé du riz cantonais et on a discuté, comme ça. Très longtemps.
Finalement, on était trop fatiguées pour faire l’amour alors on est allées se coucher. C’est bon de dormir contre Lux. Pour moi qui me considérais comme une sauvage solitaire nocturne, ça a été une surprise de découvrir combien j’aime m’endormir lovée contre le corps chaud et souple de Lux.
Le matin, on s’est réveillé tôt et on a rattrapé notre retard. Dormir contre Lux sans lui faire l’amour c’est un peu comme s’endormir auprès d’une source après avoir traversé un désert. C’est du masochisme pur. Non, je me trompe, en fait c’est strictement impossible. Non pas qu’elle soit une femme d’une beauté sans pareille ou quelque chose dans le genre. C’est plus compliqué que ça je crois, c’est une question de particules qui s’emboîtent. C’est juste que l’attraction qu’elle exerce sur moi est semblable à celle de la Terre sur la Lune – si je peux me permettre cette métaphore mille fois rebattue – c’est à dire irrésistible.
Peut-être pense-t-elle la même chose de moi. Je ne sais pas. Mais ça expliquerait le fait qu’elle reste avec moi. Malgré tout.
Faire l’amour à Lux c’est comme se faire l’amour à soi-même. C’est évident, ça coule de source, on se met en mode pilote automatique et voilà, on se sent bien on sent le corps de l’autre au bout de ses doigts et on sait ce qu’il faut faire. Faire l’amour à Lux est la chose la plus belle et la plus normale qui soit. Un acte indispensable, nécessaire, vital. Un enlacement un enchevêtrement silencieux et spontané de membres brûlants et de lèvres impatientes. Une danse un roulement naturel un enroulement inextricable.
Faire l’amour à Lux c’est une magie intrinsèque une montée vers l’orgasme. Bon, moi je suis de ces femmes qui n’ont jamais eu d’orgasme, je m’arrête toujours sur le seuil. Mais Lux en a parfois, et j’adore ça.
Après, bien sûr, il a fallu aller au boulot. Dès le matin et l’arrêt obligatoire devant la machine à café, j’ai senti que ça allait être un de ces jours où je doit absolument remédier à mon amour étouffant pour Lux et à mon sentiment d’immense solitude sans elle. Sous peine de mourir de peur.
Alors, dans l’après-midi, entre deux cours, je suis passée voir Valia dans la salle des profs. Elle m’a sourit de son sourire si bienveillant qui comprend tout et m’a dit tu finis à quelle heure, j’ai répondu dix-huit. Elle a répliqué moi dix-sept je trainaillerai après ma réunion. Je suis repartie en me disant que déjà, ça allait un peu mieux. A dix-huit heures Valia m’attendait, on a filé chez elle.
Avec Valia c’est différent. On a jamais le temps d’aller jusqu’à son lit, on finit toujours sur le canapé du salon. Avec Valia l’amour ressemble à un concours. C’est à celle qui tuera l’autre, à celle qui trouvera une zone érogène encore inconnue pour faire gémir l’autre encre plus fort. On se caresse on se mord on se fouille on se force on se violente un peu. Avec Valia, depuis que l’on s’est rendu compte qu’on ne saurait pas s’aimer, notre grand jeu c’est de se donner du plaisir. En prendre importe peu. Il faut que l’autre abandonne, supplie, il faut que l’autre ait mal à force d’avoir du bien.
Je gagne souvent, parce que Valia ne sait pas, elle, s’empêcher de jouir.
Quand je sors de chez Valia, à chaque fois, elle est nue, essoufflée, les jambes écartées sur le tapis du salon, et moi j’ai le corps à vif les seins douloureux sous la toile de mon soutien-gorge le sexe en feu sous ma jupe, tellement que même de marcher ça m’excite.
Et puis, quand je sors de chez Valia, en refermant la porte sur tout ça, je jette un regard à la photo de son mari et de ses enfants dont elle parle si souvent et qu’elle aime si fort. Ils ont l’air heureux, derrière eux je vois l’eau turquoise et cette barrière de corail à laquelle Valia me compare de temps en temps. Elle attend de trouver du travail à son mari ou de gagner assez d’argent pour pouvoir les faire venir en France. Je me demande s’ils souriraient autant dans ce pays où, même en été, le ciel est si souvent gris.
Moi, j’aime la pluie et les ciels gris, les ciels d’orage. Je crois que c’est assez rare. Lux m’appelle Nox, parfois. Ça nous amuse beaucoup. Parce que la lumière et l’ombre ont beau être à l’opposé, et bien malgré tout, l’une sans l’autre elles n’existent pas.
Ce jour-là, en sortant de chez Valia, je me rends compte que l’hiver est arrivé et que la nuit est tombée. Alors je remonte les escaliers, jusqu’à l’étage du dessus. Un de mes plus vieux amis y habite, je l’ai découvert sur la sonnette la première fois que je suis venue. Je sonne, lui propose de lui payer un verre au café en bas de chez moi s’il me raccompagne. Je ne fais pas confiance aux rues des grandes villes la nuit, surtout pour une femme seule.
Il accepte. Je lui paye un verre, on discute. Ou plutôt, je l’écoute. Il adore s’écouter parler, alors une spectatrice de plus, croyez bien que c’est l’extase. Finalement, on se fait la bise et il repart. Il ne m’a pas vraiment changé les idées mais tant pis, c’est mieux que rien.
Une fois dans mon salon, je m’assoie sur le canapé, toutes lumières éteintes, l’esprit flottant, je crois pendant une fraction de seconde que ça va aller. Mais – il y a des jours comme ça – le vide immense revient, plus fort. Il faut que je fasse quelque chose pour ne pas appeler Lux pour ne pas voir l’ombre de Lux répandue sur mon corps pour ne pas penser à Lux.
Alors j’appelle Ludo. A vrai dire, je ne le connais pas très bien, Ludo, c’est le frère d’une amie, je l’ai croisé un soir, puis recroisé par hasard, on a fini par échanger nos numéros et se prêter nos corps. En général, je n’ai qu’à claquer des doigts pour qu’il arrive. Ce soir-là n’échappe pas à la règle.
En vingt minutes – le temps de boire une bière, de me ronger les ongles et d’avoir mille fois envie de me jeter sur la porte pour courir dans les bras de Lux – il apparaît dans mon salon comme par magie. Ludo est magique. Un peu jeune, peut-être, et naïf, je crois qu’il m’aime, quelque part, mais magique c’est le mot.
On fait l’amour sous la douche puis dans mon lit. Avec lui, c’est encore une autre histoire. Avec Ludo, je reste passive. Je crois bien n’avoir jamais touché son sexe, ni de ma bouche ni de mes mains. Et lui c’est un homme, les caresses il ne connaît pas vraiment. On s’embrasse, il embrasse bien, je pose noue mes bras autour de son cou et il se glisse en moi, tout doucement.
C’est mignon, il croit que je suis fragile et me demande souvent s’il ne me fait pas mal, un pli inquiet sur le front. S’il savait, s’il savait pour Valia il ne prendrait pas le risque de se creuser des rides. Il se glisse en moi et s’agite, je bouge les hanches en rythme, c’est presque mécanique tout ça, même pas besoin d’y penser. Je me concentre et essaye de ressentir quelque chose. Puis il éjacule dans son bout de plastique.
Une lesbienne enceinte par accident, ça ce serait le comble. A chaque fois je ris à cette idée. Au moins, grâce à Ludo je sais ce qu’il me reste à faire si un jour Lux et moi voulons un enfant.
J’en ai assez, je fais mine de m’endormir. Il me demande je dois partir je lui réponds bien sûr. Il m’embrasse et s’en va.
Deux heures du matin.
Je me jette aussitôt sur mon téléphone pour appeler Lux, c’est notre septième anniversaire aujourd’hui et j’ai envie de lui dire combien je l’aime, combien je l’aime toujours plus fort chaque jour que sans elle je m’éteints que j’ai viscéralement besoin d’elle et que je ne veux plus passer une seule seconde sans elle que j’en ai marre d’avoir peur de notre amour et que je veux vivre avec elle. Mais je ne dit rien de tout ça. Sa voix est si belle, même au téléphone, j’en tremble.
Je lui souhaite un bon anniversaire. Elle me dit merci, je t’aime tu sais quand me le diras-tu que tu m’aimes ça fait sept ans que j’attends mon amour viens je veux vivre avec toi ça suffit ces conneries. Je lui réponds je sais pas. Je n’ose pas dire que je crève de trouille.
Quand je raccroche, j’ai le cœur au bord des lèvres et je murmure ma lumière ma lumière…
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| | | constance Prophète
Nombre de messages : 4029 Date d'inscription : 07/07/2007
| Sujet: Re: En ombre chinoise Dim 2 Sep - 22:47 | |
| Pandora, il est magnifique ton texte. Et tellement vrai. Tu en poses des questions, et tu fais réfléchir à plein de choses. Comment combattre un amour trop fort ou du moins le gérer, comment ne pas souffrir, comment oublier l'autre pour un moment court, comment oser s'engager sans se perdre, comment vivre avec ça ? Mais sans, ce n'est pas vivre, c'est pire que mourir. Tu as su nous amener dans ton monde, c'est bien écrit et délicatement mené. Très bon aussi l'étude des rapports femmes -femmes et hommes. | |
| | | filo Admin
Nombre de messages : 2078 Age : 52 Signe particulier : grand guru Date d'inscription : 06/07/2007
| Sujet: Re: En ombre chinoise Lun 3 Sep - 0:19 | |
| Je suis sous le charme de ce texte, de sa puissance d'évocation, de son réalisme désespéré, ses accents de confidence. Ta façon d'écrire l'amour évoque celle de le faire. - Citation :
- le sexe en feu sous ma jupe, tellement que même de marcher ça m’excite.
J'adore! Ce sera la phrase de la semaine. - Citation :
- Et lui c’est un homme, les caresses il ne connaît pas vraiment
Heu, à mon avis tu devrais dire "lui c'est un jeune inexpérimenté, les caresses il ne connaît pas vraiment" Contrairement à ce que la plupart des lesbiennes veulent croire, certains hommes connaissent très bien le corps féminin, et savent comment le caresser. | |
| | | Kanlay Disciple
Nombre de messages : 33 Date d'inscription : 30/07/2007
| Sujet: Re: En ombre chinoise Lun 3 Sep - 0:24 | |
| Waw.... Moi j'ai jamais rien de très constructif à dire, en fait... j'espère qu'un "waw" suffira. j'aurais aimé l'écrire. | |
| | | constance Prophète
Nombre de messages : 4029 Date d'inscription : 07/07/2007
| Sujet: Re: En ombre chinoise Lun 3 Sep - 1:11 | |
| Morte de rire ! Pandora, tu as touché la corde sensible d'un homme, là (de Filo en fait). C'est vrai que certains hommes savent parfaitement caresser, très très bien en fait, et ont assez d'abnégation pour oublier leur plaisir au profit du plaisir de leur compagne. Si si, je t'assure. Mais Filo, tu fais du racisme anti-jeune, là... il y a aussi des jeunes incroyablement doués pour les caresses, et des hommes faits qui n'ont absolument rien compris au corps et au plaisir des femmes. Comme quoi... | |
| | | filo Admin
Nombre de messages : 2078 Age : 52 Signe particulier : grand guru Date d'inscription : 06/07/2007
| Sujet: Re: En ombre chinoise Lun 3 Sep - 6:15 | |
| "inexpérimenté" était plus important que "jeune", alors , on va dire. | |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: En ombre chinoise Lun 3 Sep - 16:26 | |
| Eheh...je suis fière de moi !!! Parce que pour être sincère, j'espérais bien que quelqu'un mordrait à l'hameçon. La phrase qu'a relevé Filo est terriblement caricaturale, pas vrai ? Seulement, dois-je faire comme au cinéma et préciser que "les opinions exprimées par les personnages de cette histoire ne reflètent pas celles de leur créatrice" ???
Et puis merci Constance pour ce com qui me prouve que ce texte a été bien compris. |
| | | Lame Fidèle
Nombre de messages : 137 Signe particulier : néant Date d'inscription : 09/07/2007
| Sujet: Re: En ombre chinoise Mer 10 Oct - 16:01 | |
| filo, je crois que tu dis ca parceque tu es un homme, et que tu n'as jamais fait l'amour a une femme en tant que femme... c'est totalement différent... et crois moi, je crois que meme un homme tres expérimenté n'est pas comparable a une femme... ce n'est pas une question d'expérience, c'est bien plus que ca... alors je suis contre ta remarque meme si je suis d'accord avec l'explication de pando... et merde clem, il est superbe ce texte, mais ecrit moi du positif... ... s'il te plait.... | |
| | | epiphyte Gardien de la foi
Nombre de messages : 200 Age : 48 Date d'inscription : 10/07/2007
| Sujet: Re: En ombre chinoise Mer 10 Oct - 23:12 | |
| Moi, ce texte, il me rend triste, parce qu'il est triste. La remarque sur les hommes, impossible de ne pas rebondir dessus quand on en est un, n'est-ce pas?... Mais elle est bien à sa place, l'homme et la femme ne se connaitront jamais assez pour savoir. Peu importe. Le tout est bien emmené, on pleure d'aimer, on pleure d'exister. Je trouve seulement que tu devrais revoir la ponctuation et ajouter des virgules, seulement dans les moments de calme, pour que les phrases importantes ressortent de la lecture par leur absence de ponctuation. Je suis spécialiste de l'absence de ponctuation et j'y travaille beaucoup en ce moment... et je pense qu'il faut doser la chose: il manque des virgules partout, ajoutes-en dans les endroits narratifs pour que les moments qui s'emportent justifient leur absence... Continue d'aimer, d'écrire, et d'aimer écrire. | |
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