LE CERCLE
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

LE CERCLE

Forum littéraire
 
AccueilPortailGalerieRechercherDernières imagesS'enregistrerConnexion
-33%
Le deal à ne pas rater :
Trottinette électrique pliable Ninebot E2 E Segway à 199€
199 € 299 €
Voir le deal

 

 Un sourire à la main

Aller en bas 
AuteurMessage
Invité
Invité




Un sourire à la main Empty
MessageSujet: Un sourire à la main   Un sourire à la main Icon_minitimeLun 17 Sep - 2:03



Petite douleur au ventre et haleine de chacal, je me réveille une dernière fois dans ton appartement. Seul dans un lit trop grand, fatigué par la nuit, le corps ankylosé d’alcool, j’ai les yeux grands ouverts : j’ai peu dormi mais je n’ai pas rêvé de toi. Les songes se dissipent rapidement, ils ne laissent aucune trace, ils meurent, les éphémères, il en faut plus pour marquer mon imaginaire. Quand on a touché l’absolu des doigts les flâneries de notre inconscient n’émoustillent plus grand-chose : elles grattent au mieux de leur forme. Les ongles s’en débarrassent comme d’un prurit, avec mécanisme et plaisir, et ton souvenir peut se rappeler à ma mémoire sans répondre aux formalités d’usage. Tu es là et pourtant. Tu n’es pas là.



Je suis levé à l’heure des chats. Intrus vite repéré dans la vacuité humaine de l’appart, je les observe un instant sans bouger et ils me sautent dessus, miaulant de concert et donnant de la patte pour un supplément croquette matinal. Leurs caresses passagères, félinité du geste et intention lisible, ont vite raison de moi. Je les nourris, les bêtes, elles doivent être plus heureuses que moi. Un bol sous le placard du bas, un autre à côté du frigo, les seuls moments où ces deux là peuvent se toucher sans grognement. Ils mangent les queues entrecroisées. Je les observe, un sourire à la main, mais trop la flemme pour le porter là-haut, j’ai des lèvres en forme de rictus et ça illustre bien mon moral. J’ouvre la porte du frigo, le jus d’orange est périmé, je la referme et tu es là sur cette photo, assise à côté de ton père à jouer la gamine pour préparer une carte de vœux à un ami américain. Tu es là et pourtant. Tu n’es pas là.



Il est midi, je vais me laver puis manger. Paris, ensoleillée et nuageuse, me formule ses adieux. Elle est radieuse à tout point de vue. Je ne me surprends pas en pensant qu’elle est si radieuse juste parce que je m’en vais. Je reconnais bien là toutes celles qui jouent des relations comme des personnes, celles qui veulent gagner à la fin, je reconnais aussi avoir perdu, avoir perdu beaucoup et perdre encore. Il n’y a pas plus dur que les drames annoncés. Les aiguilles vont tourner, les heures vont s’affoler, mes jambes vont convulser. Tu vas rentrer ce soir, je partirai avant. Ce sera une scène d’adieu dont les séparés seront absents.



Dans ta chambre pour un dernier tour, je jette un coup d’œil sur les coups de cœur qui me coupent le souffle. Cette bande dessinée que je t’avais offerte, c’était au début de notre relation, ton innocente surprise et ta charmante gaieté d’alors, ces cadeaux que plus tard tu m’avais refusé pour ton anniversaire, les acceptés empoussiérés, laissés, ces babioles sur ton étagère, ce troupeau d’éléphants hétéroclites mais solidaires, ces deux longues statuettes malgaches, silhouettes noires de l’Afrique, qu’allez savoir pourquoi je ne récupèrerai pas, ces livres, les tiens, les miens, ton architecture d’intérieur et tes maquettes, là-haut, d’où pend cet oiseau messager, ces gestes, ces attentions, ces débris d’amour envolé, toutes ces reliques, ces restes, ces enfants du souvenirs, je ferais mieux de me barrer tout de suite, tirer un trait sur le passé au lieu de continuer à raturer, gommer les bons moments, souligner les mauvais, je sors de ta chambre pour la dernière fois.



Quelques bières, deux bavettes, des pommes de terre sautées et un Haut Médoc 2005 : dernière tambouille avec J-B. Nous partageons le dernier joint devant des épisodes de South Park. Nous sommes toujours chez toi, chez Benoît. J’ai l’estomac noué et le cœur qui palpite comme avant le départ d’un cent mètres. Un coup de téléphone me détend complètement : vous n’arriverez que dans trois heures. Les épisodes se suivent et Kyle se fait plaquer par sa copine qui lui préfère un de ses amis. Grosse déprime, mutation, il intègre un groupe de gothique et ce n’est qu’en voyant sur la fin comment Butters réagit, en étant confronté au même problème, qu’il se décide à redevenir un enfant de huit ans comme les autres. Quand son ex vient lui dire bonjour, accompagnée par son copain, Kyle la traite de salope et propose un doigt à son pote. Les déceptions, sans doute, s’estompent plus facilement avant dix ans.



Il est minuit, le jour s’achève, inutile de me retourner tu n’arriveras que dans une heure. Moi, je ne serais plus là. Nous ne nous reverrons plus. Je n’ai de regrets que de partir ainsi, sans te revoir encore, le reste ne doit plus me toucher, je ne veux plus rêver tes caresses, les réveils sont trop durs et il m’en reste tant. En descendant les marches, Kyle me revient en tête. Toi, à ma connaissance, tu ne m’as pas trompé. Je ne sais pas pourquoi j’y repense, pourquoi je m’identifie à lui, pourquoi j’ai ce fantasme, peut-être, qui m’incline au chagrin. Tu ne m’as jamais trompé, ma belle, c’était moi qui m’étais trompé. Nous nous trompions ensemble à rester fidèles aux débuts. Débuts prémonitoires quand nous disions, sourire aux lèvres, et chacun à ses proches : « Je viens de conclure avec… ».

Revenir en haut Aller en bas
 
Un sourire à la main
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Main dans la main
» Et sourire
» Un sourire, pourquoi pas ?
» Le sourire de l'homme biscuit
» L'autre, les mots, la main...

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
LE CERCLE :: ECRITURE :: Nouvelles, feuilletons, romans-
Sauter vers: