[size=12]Le chemin au ralenti jusqu’au fond de la galerie est interminable d’appréhension d’un piège définitif et incompréhensible…quel lien avec ce pouvoir de suggestion actif et nouveau, que lui veut-on ?
Enfin la voiture s’immobilise et apparaissent deux hommes cagoulés d’une stature à oublier de se débattre. L’un d’entre eux, d’un geste sec, invite Jérôme à les suivre. Il ose : « je pourrais savoir ce qu’on me veut ? ». En vain.
Ils suivent de longs couloirs à la lumière glauque. Les murs sont nus et gris, l’air tiède. On le fait entrer dans une pièce sans quoi que ce soit qui permette de fixer l’œil en dehors de deux chaises et d’un bureau métallique qui lui font penser au mobilier des administrations. Toujours sans un mot, on l’invite à s’asseoir. On le laisse seul, la porte se referme à clef. Et il attend.
Sans illusion, il consulte son portable. Il ne peut pas l’ouvrir. Il pense à Laurence qui devait le rappeler pour une sortie…Laurence, dont il a rêvé hier encore avec ce sentiment d’évidence… « C’est une évidence, Laurence, ton œil bleu intense qui me tance sans nuance, durcit mon état d’urgence, dense. Danse mon pouls en transe, transformée la cadence… ».
C’est la pression se dit-il. Cette tension intérieure qui lui fait sortir des mots en cascade…
Il lui semble qu’on vient. Il tend l’oreille. Non, les pas et les bribes s’effacent dans un silence seulement sali d’un lointain bruit d’aération…
« Transformée la cadence de mon cœur en vacances, densité, transcendance, ta présence cloue mes sens sans décence dessous… »
Cette fois une clef tourne dans la serrure et entre un type ramassé aux lunettes opaques, la trentaine déjà dégarnie, coiffé en brosse, visage anguleux, cou de taureau. Pas de ceux à qui on aimerait causer spontanément : un double antipathique avec des glaçons…dans le dos.
-« Monsieur ROCABERT, je vous dois des excuses pour la manière, disons cavalière,
Que nous avons prise pour vous amener ici….
Jérôme pense : « qu’est-ce qu’il va essayer de me vendre ? »
-« …Mais allons directement au but : avez-vous ressenti aujourd’hui un changement dans votre rapport aux autres ? »
-« attendez,attendez », dit Jérôme, « vous êtes gentil, mais vous ne trouvez pas un peu courtes vos explications ? Pourquoi m’avez –vous enlevé ? Qu’est-ce que c’est que cette mise en scène ? »
-« Je vais y venir, Monsieur, ne perdons pas de temps s’il vous plaît ! » Il dit ceci d’un ton de hache à fendre un rondin au premier coup. « Je vous répète ma question : avez-vous ressenti aujourd’hui un changement dans votre rapport aux autres ? »
-« Oui, pourquoi ? »
-« vous pouvez m’en dire plus ? »
-« eh bien, euh… quand je suggère euh…mentalement… directement ou même indirectement à quelqu’un, qu’il soit proche ou éloigné, un changement de comportement , de prendre une initiative, il le fait immédiatement . »
-«Bien. Quelle a été votre réaction à cette prise de conscience ? »
-« D’abord un peu de sidération…c’est vrai, il vous arrive ça le matin au réveil, ça fout les j’tons, on croit à une blague… Bon, après, j’ai quand même réfléchi que ça pouvait me mettre en difficulté, j’aurais pu provoquer une catastrophe sur la route, non ? Disons que j’en ai profité un peu, mais à peine, j’ai même pas pensé à jouer au loto, tiens ! »
-« Vous auriez été déçu. Vous n’aviez aucun pouvoir direct sur les chiffres. On ne pouvait pas prendre le risque d’affoler la Bourse ou l’économie mondiale. »
-« Ah, parce que tout ça, c’est vous qui manipulez ? »
-« On y vient, Monsieur, on y vient. Avez-vous par ailleurs ressenti un trouble quelconque, pas directement lié à vos émotions réactionnelles ? »
-« euh…Non »
-« Bien. Monsieur ROCABERT, vous avez été choisi… »
-« Par qui ? »
-« S’il vous plaît, monsieur, ne m’interrompez pas ». Second coup de hache. « Vous avez donc été choisi pour une mission délicate mais sans risque pour vous. Nous vous connaissons bien. Votre discrétion, votre sens des responsabilités : vous passez relativement inaperçu sans être jamais allé au-delà de certaines limites. Et puis nous savons votre projet de voyage à Prague l’été prochain où vous pourrez passer pour un touriste ordinaire. C’est là que commence votre mission. »
-« Mais qui êtes-vous enfin, pour vous autoriser à de telles méthodes ? »
-« Je ne vous répondrai pas. Sachez qu’il s’agit d’un enjeu vital pour la planète et pour la paix. Nous avons misé sur vos qualités de citoyen et de militant. »
-« Evidemment, je n’ai pas le choix ! »
-« Mais si, Monsieur, vous pouvez dire non. En sortant d’ici, vous aurez oublié tout ce qu’on s’est dit. Mais nous sommes pressés et il me faut votre réponse immédiate. »
-« Je ne peux pas…Je ne peux pas vous dire ça comme ça, on n’a pas assez discuté des conditions : quels sont les vrais risques, prendrez-vous en charge le voyage, plus peut-être ? C’est quoi ce soi-disant enjeu ? Comment je peux vous faire confiance sans vous connaître ? »
-« c’est à prendre ou à laisser, je ne suis pas autorisé à vous en dire plus sans votre engagement formel. »
Dans le silence qui suivit, la tête de Jérôme faillit exploser. De colère rentrée, de curiosité frustrée, d’impatience de se sortir de cette mascarade et aussi de la tentation de cette aventure si peu banale…une chance pour sortir de la monotonie, pour se mettre en valeur dans une situation où, si l’autre dit vrai, il jouerait les premiers rôles…et encore ce pouvoir qui lui permet d’influer sur le cours des choses : quel jeu merveilleux !
-« Alors ? Quelle est votre décision ? »
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