2007
Prague, le 8 juin,
Ce matin, la frontière austro-tchèque nous a offert un sérieux contraste : casinos, échoppes, boîtes à sexe, étals de fruits au bord des vergers, nous avons changé de culture ! Tout est moins net mais tellement plus vivant qu’à Vienne. Ce pays est entre les séquelles du monde communiste et la libéralisation ouest européenne : il semble, ici à Prague, que ce soit une marque du pays de se trouver ainsi à la rencontre de cultures depuis toujours. La ville est un patchwork d’architectures de tous les styles, de tous les âges, c’est une ville Arlequin. On en retrouve la richesse des couleurs sur le pont Saint Charles : des petits artistes y vendent des représentations multicolores de leur capitale dans des styles parfois très surréalistes.
Les transports en commun sont très économiques, mais les guichetières caractérielles ! J’ai voulu lui demander en anglais des renseignements sur les meilleurs tarifs, il existe une tonne de forfaits différents. Elle m’a tancé d’un regard cruel et a baissé son rideau de fer (comme quoi, rien n’est définitif) d’un geste sec. Mes suggestions mentales n’y ont rien fait, mais dans les minutes qui ont suivi, elle a réouvert le guichet à une compatriote !
Prague pullule de petits et de gros pavés, de petits et de gros touristes, de boutiques où grenats, marionnettes,jouets de bois se disputent la vedette. Toute l’Europe se donne rendez-vous ici. Au centre d’une vitrine pas plus large qu’un garage à Fiat 500, trône une petite blonde qu’on reconnaît à peine comme la vendeuse tant elle ressemble à ses poupées, mais je n’avais pas l’appareil photo.
Nous avons fait une pause dans une cave à bières de style roman. Un moment de joie moussue ! La bière est moins chère que l’eau minérale et tellement fine que j’ai opté pour la cure. Une manière d’oublier le bungalow du camping aux couleurs sombres et au confort rustique : il transpire encore le collectivisme…
Voilà les derniers mots que Gabriel put lire de Jérôme dans ce carnet retrouvé par hasard.
Il était arrivé ici, dans ce camping, après un appel de Jérôme au téléphone qui lui fixait un rendez-vous là, à cette date et à cette heure avec ce message énigmatique : « je veux que tu sois présent avec moi pour être témoin de quelque chose d’extraordinaire. Ne me pose pas de questions, je ne peux pas t’en dire plus. »
Et le petit carnet bleu et noir, c’est le jeune étudiant gardien du camp qui l’a remis à Gabriel après qu’ils aient discuté du départ subit de Jérôme, ce matin, alors qu’il avait réservé jusqu’au lendemain. Par bonheur, le jeune homme parle un peu le français et en se débrouillant avec les bribes d’anglais de Gabriel, ils ont pu se dire que le carnet avait été retrouvé sous le lit du bungalow par la femme de ménage. Gabriel connaît bien ce carnet, Il a souvent vu Jérôme y écrire furtivement, toujours avec son critérium car il y dessinait aussi…
Il s’assied perplexe et désemparé sur un banc à côté de la loge d’accueil et se tapote les mains avec le calepin à se demander comment il va pouvoir retrouver la piste de son ami. Doit-il aller à la police ? Mais sur quel motif ?
C’est vraiment bizarre cette histoire. Il retourne voir l’étudiant tchèque et lui demande si Jérôme a laissé un signe ou un autre, un mot qui pourrait le mettre sur une piste. Rien, pas une miette d’indice.
Gabriel retourne s’asseoir. Le carnet devant la bouche, il essaye de réfléchir…Mais le carnet bien sûr ! Il n’en a lu que la fin, peut-être comporte-t-il une clef du mystère.
Il passe sur quelques brouillons de poèmes et trouve ce début de nouvelle : «un matin d’hiver, il s’est réveillé différent. Cela a commencé avec la radio… »
« Ca me dit quelque chose cette histoire ! Mais quoi bon dieu ?...Oui, oui, j’y suis ! Un texte lu y a pas longtemps… »
Il retourne voir l’étudiant et insiste pour qu’il lui laisse son ordinateur et contre quelques couronnes obtient cinq minutes pour consulter la toile. Après une recherche rapide sur le forum d’Outrerêves, il retrouve ce qu’il cherchait.
« Oh le con ! Oh le salaud ! Comment il m’a eu ! » Gabriel avait devant les yeux : « Jérôme Rocabert voyage »…
Il aurait dû y penser : Prague et son labyrinthe de couloirs, de caves, de cours intérieures : il paraît qu’on peut traverser cette ville sans se montrer dans la rue ! Prague et Kafka ! et puis un petit côté Escher, cet ingénieur suédois qui dessinait des escaliers donnant l’impression de monter tout le temps et revenant finalement, par effet de construction, à leur point initial. Une histoire à la Escher son jeu !
Il partit d’un grand éclat de rire et l’étudiant tchèque l’appela pour un appel téléphonique : « allo ? C’est toi mon cochon ? », « oui », répond Jérôme, « c’est quand tu viens te la boire ta Pilsen Urquell ? Tramway 23 bis, tu descends au pont St Charles que tu traverses, deuxième à droite au fond de la cave ! Presse-toi ou tu vas encore devoir voyager ! »
Rennes, le 6 décembre
Ven 7 Déc - 0:20