Jamais je n’avais entendu sa voix
Jusqu’à ce 2 janvier 2008.
Comment est-ce possible une pareille coïncidence
Qui prolonge la foulée d’une pensée
En vous offrant ce cadeau de Matisse à la radio ?
Il y a des instants qui viennent apporter
Les plus qu’on ne cherchait pas.
Le second vient ce lendemain avec une émission sur Vincent !
J’hésitais à me lancer dans le troisième volet de ce triptyque,
Maintenant, ai-je encore le choix ?
« Le dessin est un tableau aussi,
Fait à partir de moyens limités. »
disait l’extrait radiophonique.
A suivre le fil de sa plume ou du fusain
Sur cette branche de lierre dans son vase élancé,
Aux traits de cette femme lascive
Etirée dans un fauteuil,
Au dessin de cette main figurée une fleur entre les doigts,
Il n’y a plus de doute.
Les traits ont pris possession du cadre de la feuille
Et vous pouvez recommencer à le tourner
En tous sens,
Ils sont harmonie.
Les formes sont exactes,
Les jonctions précises
Et la synthèse éblouissante du caractère des sujets !
Il m’aura tout appris de l’art sinon de la vie
Ce vieux bonhomme au regard vif,
Van Gogh m’a ouvert sa porte,
Lui qui écrit déjà une peinture
Aussi charnue que ses longues lettres à Théo.
Et je n’ai eu de cesse de suivre ce beau chemin
Pour vivre le miracle d’une main qui se libère et vole.
Quelquefois, sur de petits sujets, j’ai atteint ce rêve,
Trop rarement, pas assez,
Pas assez fou pour ne vivre que pour cela.
Sans regret, déjà content de partager
Ce qui fait qu’à partir de Lui,
Je sais ce qu’on peut faire d’une émotion.
Ce travail rend beau, aussi beau l’acteur que ses fins,
Aussi vivant que la vie qui sourd de son œuvre.
C’est l’avenir du monde
Que le possible pour chacun
D’aller chercher au fond de soi
Ce qui le fait unique
Plutôt qu’être ce spectateur passif d’un monde subi.
L’art est aussi utile que le pain,
Mais d’abord le pain bien sûr.
Et quel est ce chemin ?
Une règle de trois :
Un regard, un objet, un savoir-faire,
Et leur alchimie.
Le regard se pose, enveloppe et observe
L’objet se prête au je
Le savoir-faire s’exerce et se maîtrise.
Est-ce si différent de l’écriture ?
Il choisit son objet, le regard
Quelquefois l’objet le capte et le captive,
C’est un coup de foudre, sinon un geste d’amour au moins une empathie,
Une fusion sans confusion, une pénétration intime et respectueuse,
Et dans cet état second
La main suit l’œil
Qui fait le tour de son sujet,
Patiente et caressante.
La technique s’y fera,
C’est question de temps.
Le paradoxe : mettre à plat la profondeur
Et coucher le debout
Sur cette feuille blanche
Quand l’objet se noie sans limite
Dans son lit de réalité multicolore.
Repères et fil à plomb,
Deviner la charpente qui se cache derrière les chairs, les tissus, les textures,
Chacun se fait ses outils
Et l’étude naît.
Répétée différente elle apprivoise la main
Et la mémoire,
Elle peut devenir signe,
Pris par cœur, l’objet signe
Se répète à l’infini dans un décors :
Ainsi les oiseaux de « Polynésie, le ciel »
Et le cadre fleuri de « Fenêtre à Tahiti »,
Les algues découpées des « Velours »,
Il devient sujet à séries
Dans Thèmes et Variations,
Où le peintre sans modèle désormais
En reproduit le caractère
Laissant voler sa main.
Et peu à peu vient la synthèse,
C’est une gestation que la simplicité
Et l’abstraction :
L’essence d’une rencontre
Où le peintre est allé jusqu’à réduire encore un intermédiaire,
Traçant aux ciseaux les traits dans la couleur.
La couleur : comme dans le mot il y a le sens, le signe,
Dans le dessin le trait,
Il y a aussi les tons :
« Les sanglots longs, des violons de l’automne »,
Ils donnent l’atmosphère, le timbre musical,
Ils les a voulues pures ses couleurs, comme ses sentiments.
Mais je me répète en spirale escargot.
Etonnante alchimie au creuset de l’humain
Quand les yeux veillent, le regard vibre et la main vole
Et de leurs triolets naissent de grands dessins.
Autoportrait 1918