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 Le Monde de Juyen

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filo
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MessageSujet: Le Monde de Juyen   Le Monde de Juyen Icon_minitimeDim 20 Avr - 20:19

1- Le Monde de Juyen


Il est grand le Monde, mais Juyen, il le connaît tout partout, dans ses moindres recoins. Peut-être mieux que Maman-Ronron qui peut pas aller partout comme lui.
Juyen sait qu'il y a d'autres mondes, mais ils sont méchants, faut pas y aller, sinon les machines nous attrapent, même si on sait très bien se cacher comme Juyen.
Les machines, aïe aïe, elles vont très vite et elles sont très très fortes.

Mais pas autant que les Autres, qui les commandent, et qui sont encore plus méchants.
Juyen en voit parfois venir dans le Monde, et chaque fois ils font des choses méchantes : ils cassent, ils tuent, ils souillent, ils font du bruit et tout le Monde se cache. Comme s'il n'y avait personne, et les Autres croient traverser un Monde désert ! Car en plus d'être méchants, ils sont stupides.
Juyen les détestent tous. Tous sauf une. Une toute petite, toute blanche, à la voix claire, coiffée d'un voile de miel.

Aujourd'hui Maman-Ronron s'est endormie pour toujours, et Juyen est très triste.
Qui va le câliner et lui tenir chaud les nuits glaciales, à présent ? Qui va le laver dans les coins et le protéger des bêtes méchantes ?
Elle était déjà malade hier et n'avait pas quitté l'abri de la journée, ce qui était très exceptionnel. Elle aurait dû faire de même aujourd'hui, mais non, elle est allée dans le grand bosquet de genêts, là où on va se soulager, et s'est écroulée là.
À l'heure qu'il est, les rapaces doivent déjà avoir commencé à manger son corps. Mais Juyen sait que ce n'est pas par méchanceté, c'est juste leur rôle. Ainsi va la loi du Monde.

Le Monde lui-même est tout bouleversé : l'hiver aussi pousse ses derniers soupirs, et les nuages bas, lourds et gris succèdent à de belles éclaircies ; tout défile dans le ciel et plusieurs fois dans la journée il a plu alors que le soleil resplendissait, magnifiant le parfum de miel des pruniers en fleur.

Mais Juyen pleure. Sa Maman-Ronron est morte, et sa Maman-Rêve ne vient presque plus le voir dans son sommeil.
Il est tout seul à présent, et il a un peu peur.


*



Avec les beaux jours, Juyen revit et ne retourne à l'abri que pour dormir, ou augmenter sa réserve de châtaignes lorsque par chance il en trouve encore des bonnes malgré la saison.
Maintenant qu'il est seul, il se permet des choses que Maman-Ronron aurait probablement désapprouvées.
Aujourd'hui par exemple, il est allé au bord du Monde, du côté de la rivière, observer discrètement les Autres, ceux qui ont l'air gentils.
Leur grosse maison carrée, après avoir hiberné, revit et déborde d'activité : la famille de la petite aux cheveux de miel est venu passer quelques jours, et Juyen ne se lasse pas de la regarder, de son poste d'observation favori.
Elle rit tout le temps, et Juyen trouve ce bruit plus beau encore que le chant du rossignol. Elle vient jouer souvent au bord de l'eau avec son frère, ce qui permet à Juyen de la voir de très près, la rivière constituant la frontière du Monde.
Juyen l'aime fort, pas autant que Maman-Ronron, mais presque. Il adorerait la câliner, lui peler des châtaignes, jouer avec elle, la faire rire...
Mais il sait très bien qu'ils sont pas du même monde, que les Autres, les grands, seraient encore plus méchants s'il touchait à une de leur petite.
Juyen, il comprend plein de choses, faut pas croire. Alors il se cache, et il observe.


*


Après une journée de marche et d'escalade, Juyen a enfin atteint la petite maison cassée. La maison de Maman-Rêve. Il s'était juré d'y revenir un jour, quand il serait grand, mais Maman-Ronron n'aurait pas apprécié. Maintenant, elle n'est plus là, et il est grand.
Il en était même venu à se demander si elle existait vraiment, comme Maman-Rêve elle-même, finalement.
Car Juyen, il est pas stupide, il sait très bien que Maman-Rêve elle existe qu'un petit peu. Alors de voir en vrai la petite maison cassée, ça lui a redonné confiance.
Pourtant, quand il y est arrivé, le bout de toit qu'il pensait encore en place était à présent tout écroulé, et bien sûr, aucune trace de Maman-Rêve.
Mais c'est le soir, et Juyen est tout fatigué et écorché par les ronces. Alors il s'est aménagé un coin avec des feuilles mortes et des branches, à l'abri du vent et des regards, et s'est endormi aussitôt, les songes pleins de Maman-Rêve, comme avant.


*


À son réveil, Juyen s'est souvenu si bien de petits détails au sujet de Maman-Rêve et de la maison cassée qu'il en a pleuré.
Il a revu les derniers instants passés avec elle et avec Petit-Canard, comme si c'était hier, et c'était bien ici, oui.

Les Autres étaient venus dans le Monde, et avant d'arriver ils avaient prévenu Maman-Rêve avec les cris des machines : de longues plaintes qui voulaient dire "Attention, nous arrivons et nous allons vous attraper et vous faire très mal !". Et ces cris méchants se mêlaient aux coups de tonnerre.
Maman-Rêve avait très peur, même si elle essayait de pas le montrer à Juyen.
Il se souvient bien à présent ; comme si c'était hier : il revoit tout. Il était là, dans la maison cassée, moins cassée que maintenant, à jouer avec Petit-Canard sous le dernier morceau de toit, car il pleuvait très fort, et Maman-Rêve l'a attrapé et l'a emporté en courant sous la pluie, pour échapper aux Autres. Elle est entrée dans la forêt, du côté des bouleaux, a traversé le grand ruisseau qui ne coule plus aujourd'hui, en tenant Juyen bien haut, et s'est enfoncée dans le coin des châtaigniers, là où se trouve le grand foudroyé. Ce dernier était si grand et si creux qu'elle l'a déposé à l'intérieur, en pleurant, et en lui disant "Au moins toi, ils ne t'auront pas. Reste bien caché ici. Si tout va bien, je viendrai te chercher avant la nuit, sinon... inch Allah". Là, elle l'a regardé très fort, comme pour lui transmettre plein de choses en peu de temps, dont une grande réserve d'amour, de courage et de rêves, et elle lui dit enfin : "Dieu te garde, mon Julien, Maman t'aime, tu sais ! Tu seras fort, hein ?"
Et Juyen se souvient bien maintenant, il se rappelle soudain parfaitement de cet instant, où un formidable éclair a ponctué les mots terribles de sa Maman-Rêve et où il répondit "Oui Maman, a cré fort, Juyen !".
Et Maman-Rêve, après l'avoir serré une dernière fois dans ses bras, est partie en criant.

Aujourd'hui Juyen fait deux fois sa taille d'alors. Il est devenu encore plus grand et fort, pourtant il pleure, il pleure en pensant à Maman-Rêve, puis à Maman-Ronron qui s'est occupé de lui ensuite. Malgré ses larmes, il tape tout, retourne toutes les pierres, à la recherche d'une trace du passé dans les décombres.
Il déplace tous les gravats et les morceaux d'ardoise, et trouve enfin un petit objet jaune, tout sale et tout dur, au sourire et à l'oeil fringuants : Petit-Canard ! Quelle trouvaille ! Quel triomphe !

Et après des années et des années, pour la première fois de sa voix d'adulte, Juyen parle, il crie même :
"A CRÉ FORT JUYEN !"


*


Avec la belle saison, reviennent la chaleur, les fleurs, les parfums, les insectes, et la joie de Juyen.
Tous ceux du Monde ont une queue derrière, et Juyen est le seul, oui le seul, à l'avoir devant ! Maman-Ronron la lui sentait souvent, comme pour contrôler s'il ne faisait pas de bêtises avec, et sûrement parce qu'elle aimait son odeur de pipi, Juyen ne voit pas d'autre explication.
Au printemps, Juyen aime bien jouer avec sa queue ; elle devient alors toute dure, et c'est bon.

Mais aujourd'hui, lorsqu'il est allé observer Miel et son frère au bord de la rivière, leur maman était là aussi, et elle avait enlevé ses fausses peaux habituelles : elle était toute nue comme Juyen, dont la queue est devenue si dure qu'il a fallu la soulager.
Elle ressemble un peu à Maman-Rêve, en plus blanche (pure ?).
Juyen adorerait la toucher, ou au moins la regarder de près, et lui montrer fièrement sa belle queue, mais il se contient.
Alors il est allé plus loin, en amont de la rivière, là où les Autres ne peuvent pas le voir, et il a plongé pour attraper des poissons. Toutes ces émotions lui ont donné faim, et Juyen, il sait très bien attraper les poissons !


*


Aujourd'hui, Juyen est retourné, comme presque chaque jour maintenant, au bord du Monde du côté de la maison des Autres-gentils.
La petite Miel était là avec son frère, ils étaient tout nus, et son frère, bien que tout petit, a la même queue que Juyen, mais en miniature !
Juyen, qui n'est pas né de la dernière pluie, a compris que tous les Autres, les mâles, ont une queue devant comme lui, et à coup sûr qu'elle devient dure souvent aussi.
Juyen a compris aujourd'hui que les Autres et lui ont beaucoup plus de points communs que ce qu'il pensait, et finalement si ceux-là sont gentils...

Il est doucement sorti de sa cachette dans le gros châtaignier près de la rivière, et s'est approché du bord, les deux petits jouant sur l'autre bord.
Quand Miel l'a aperçu, elle a commencé une terrible grimace de peur, et Juyen a tout de suite regretté son idée, il a voulu prendre une pose pacifique, s'est redressé, ce qui l'a fait marcher sur une bogue piquante, sautiller en reculant, et finalement tomber à la renverse sur un tronc pourri couvert de mousse qui s'est tout écrasé.
Il s'est senti honteux... comme entrée en matière, après tant d'hésitations, c'était complètement raté !
Mais lorsqu'il a relevé la tête vers les petits Autres, ils riaient ! Ils s'esclaffaient en le montrant du doigt !
Alors il s'est assis, et a souri en secouant la tête, s'est laissé retomber dans la poudre de bois et la mousse, et a ri de bon coeur aussi.
Mais quand Juyen rit, c'est très très fort ! Et quand il s'est relevé, les petits couraient vers leur maison. Alors il est rentré à l'abri, en se demandant s'il n'avait pas tout gâché.


*


"Attendez, Clanet, vous êtes en train de me dire que cet exhibitionniste préhistorique serait le fils du plus redoutable couple de gangsters que Marseille ait connu dans les années 80 ? Comment pouvez-vous...
- Ce n'est qu'une théorie, mais je vous rappelle que nous avons au moins un témoignage dans le dossier de Nadia Bonacci qui prétend qu'elle avait un gosse dans les bras quelques jours avant la tuerie de St Charles. Si c'était pas le sien, d'où il sortait ?
- Aucun accouchement louche n'a été enregistré dans les deux années précédentes, ni sur Marseille ni ailleurs, cette théorie n'a pas été retenue, croyez-vous qu'ils n'y aient pas pensé à l'époque ? Et Bonacci ne se serait jamais encombré d'une femme avec un bébé, c'est n'importe quoi. Elle pouvait très bien tenir le mioche d'une copine.
- Une copine ? Jules et Nadia Bonacci n'avait aucun ami, vous le savez bien ; ils ne pouvaient pas se le permettre.
- Conneries... Il y a toujours quelqu'un.
- Mais rappelons qu'ils étaient déjà mariés et très amoureux, et un accident est vite arrivé quand on peut pas aller librement en pharmacie acheter la pilule. Il n'a sûrement pas pris le risque de faire accoucher sa femme dans un établissement public. Si vous regardez les images, en faisant fi des cheveux, de la barbe et de la crasse, ce type est le portrait craché de Bonacci, avec justement un petit air oriental, hérité évidemment de sa mère.
- On doit pas avoir le même sens de la physionomie, Clanet, moi je vois juste une espèce de Tarzan sorti d'un putain de film de série B, et la qualité de la vidéo est trop dégueu pour affirmer quoi que ce soit.
- Et que faites-vous de ce... de sa... de son sexe si... énorme ? C'était, me semble-t-il, une des caractéristiques connues de Bonacci, dont son fils pourrait avoir hérité. Coïncidence ?
- Merde Clanet, vous commencez à me faire regretter de vous avoir comme intervenant sur cette affaire. Pour ce genre d'extrapolation, on a besoin de faits, c'est clair ? Pour le moment il ne s'agit que d'un attentat à la pudeur, filmé par un père en colère dans sa maison de campagne, doublé d'une possibilité d'affaire d'"enfant sauvage", ce qui explique votre présence en tant que spécialiste. Avant de faire une battue avec ceux de Nîmes et de Mende, on a besoin de tout savoir sur les moeurs potentielles de ce mec, qu'il soit le fils de Bonacci, de Carla Bruni ou de Zidane, pour le moment on s'en fout, c'est clair ?"


*


Juyen a pris depuis quelques jours l'habitude d'aller voir les Autres gentils au bord de la rivière, parfois il se montre aux petits et leur fait des grimaces qui les font rire, et il rit beaucoup aussi, mais se retient pour ne pas les effrayer.
Mais une fois leur maman était là et elle a crié en le voyant, et un grand sans cheveux est arrivé en courant et a crié après Juyen pour lui faire peur.
Juyen il est gentil pourtant, mais c'est dur d'expliquer ça à un méchant qui crie, alors il est vite parti et est revenu ensuite seulement quand les petits était là.
Puis sont venues les grandes pluies, depuis trois jours.

Juyen il aime pas la pluie. Alors il est resté à l'abri la plupart du temps. Mais sans Maman-Ronron c'est plus pareil, il s'ennuie. Et quand il sort, il voit la rivière qui grossit et emporte sûrement tous les poissons. Mais Juyen s'en fiche, il a une bonne réserve de châtaignes.



(à suivre)
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MessageSujet: Re: Le Monde de Juyen   Le Monde de Juyen Icon_minitimeDim 20 Avr - 22:04

Ca commence fort !
Le changement de ton brutal, entre les pensées si enfantines de Juyen et la (possible?) explication de cet enfant sauvage, est franchement excellent.
Ca fait bizarre, sinon, les précisions sur le (hum) outil du dit gamin. On n'en comprend la portée que plus tard, et puis la découverte de la sexualité est une chose logique après tout.
J'attends la suite avec impatience.
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MessageSujet: Le Monde de Juyen (2)   Le Monde de Juyen Icon_minitimeLun 21 Avr - 11:37

2- Chasse à l'homme


(Cet épisode peut être lu en écoutant Takers Hunt Theme, instrumental composé il y a quelques années en pensant à une chasse à l'homme, justement.)


Juyen court !
Juyen sait courir très vite, mais il n'a jamais couru ainsi.
Les Autres sont venus pour lui, beaucoup ! Tous parés des même couleurs, ils sont arrivés à l'aube, avec les cris des machines, comme quand il était petit et que Maman-Rêve courait elle aussi avec lui dans ses bras. Les machines qui avertissent : "Nous venons pour t'attraper et te faire mal !".
Juyen sait qu'il est le plus rapide coureur dans le Monde, mais les Autres sont d'un autre monde, ils sont à moitié des machines eux-mêmes, et Juyen ne connaît pas leur force ; juste qu'ils sont méchants.
Ce sont des preneurs. Ils peuvent prendre tout ce qu'ils veulent, sans aucun respect.

Mais en général, les méchants sont forts, parce que sinon ils pourraient pas se permettre d'être méchants, ils auraient mal tout de suite. Oui la méchanceté ça fait mal. Juyen le sait, il a été méchant une fois : un jour il a fait peur à un chien pour s'amuser, un chien gentil, et Juyen s'est fait mordre. Il n'avait pas les moyens d'être méchant, et il a été bien puni. Maman-Ronron l'avait bien soigné avec sa grosse langue râpeuse et le souffle chaud de son groin.
Mais Maman-Ronron n'est plus là pour le protéger, et des chiens méchants lui courent après à présent, avec les Autres qui les commandent. Ils font un de ces raffut ! Ils crient, ils aboient, et ils avancent vite !

Avec les grosses pluies de ces derniers jours, Juyen laisse trop de traces visibles au sol, alors quand c'est possible, il monte aux arbres, et il saute d'arbre à arbre, mais ça va pas assez vite. Et le flair des chiens est très puissant, plus encore que le sien. Les Autres, eux, ils ne sentent rien, mais leurs chiens leur disent tout.
Juyen court, court ! Il a mal partout, les bogues de châtaignes, les ronces, les branches des arbres, et le mal du froid qui le fait tousser.
Pourtant il ne fait pas froid, mais ces jours passés à rien faire quand il pleuvait l'ont ramolli et il est tout faible comme quand il a eu trop froid. Il tousse tout le temps, et il a très chaud.
Mais tant pis, il court, il bondit, il sème des fausses traces, il passe par la rivière, en ressortant plus loin...

Mais rien à faire, les Autres se sont mis en ligne, et avancent, avancent. Moins vite que Juyen, et pourtant toujours à le rattraper. Et Juyen peut pas se cacher, à cause du flair des chiens. Il doit courir, courir.


*


"Clanet ! Clanet ! Où il est passé encore ce gratte-papier ? Brigadier, vous l'avez vu ?
- Pas depuis le départ de la battue, Major !
- Appelez-le sur son portable, et dites-lui d'arrêter de se branler dans les buissons et de venir au rapport !
Putain c'est pas vrai ces parigos, je suis sûr qu'il a peur de salir ses godasses.
- Major, J'ai un appel de Lambert, ils ont localisé une forme à température et taille requises en haut du vallon, sur l'adret, côté est de la rivière.
- Pas trop tôt. Dites aux autres de resserrer la ligne des rabatteurs en demi-cercle sur la cible, et prévenez Garcia de rester planqué au sommet. Je veux pas voir une seule tête de ses hommes dépasser jusqu'à ce que Tarzan s'y pointe !
- Bien Major. Et Clanet est injoignable, c'est son répondeur. Je crois que ça capte pas ici, on est en plein Parc National et il n'y a pas de relais...
- Merde, il va m'entendre !"


*



Juyen a été malin : il a couru dans la rivière là où c'est peu profond, et les chiens ne peuvent plus le sentir ! Mais au lieu de descendre, il est monté. C'est plus dur, mais les Autres ne s'attendent sûrement pas à ça. Il monte et une fois qu'il aura atteint le sommet, il pourra s'enfoncer dans les genêts de l'autre côté, vers l'autre bord du Monde.
Soudain, un chien surgit, et s'arrête sur la rive pour lui aboyer des insanités. Pas d'Autre méchant derrière. Alors Juyen plonge au milieu, dans le courant et se laisse redescendre. Mais le chien court très vite, et il n'a plus besoin de son flair, il le voit !
"Excuse-moi chien, mais fallait pas me trouver" se dit Juyen en marchant tout droit vers l'aboyeur.



*



"Major, la cible est redescendue, puis il ont perdu sa trace. On me signale qu'un chien qui s'était libéré de son collier vient d'être retrouvé mort, les vertèbres brisées, environ à 60 mètres de la dernière localisation thermique.
- Bordel ! De la paperasse en plus, maintenant. Sans parler de la note. Dites à toutes les unités de bien tenir leurs clebs, putain ! Rappelez-leur qu'on veut ce métèque vivant, pas bouffé par les fauves.
- Tout de suite, Major.
- Ensuite dites à Garcia de déployer les intercepteurs sur le flanc de la montagne, pour couvrir à la fois le sommet et le plus bas possible. On va pas prendre le risque qu'il les contourne."



*



Juyen court encore.
Et Juyen pleure. Il a dû faire très très mal au chien, et même s'il était méchant, ça fait mal à Juyen de faire mal.
Il vient d'atteindre la forêt de bouleaux qui rejoint l'autre versant de la montagne. Ici il peut courir encore plus vite car il n'y a pas de bogues piquantes. En plus, plein de feuilles mortes tapissent le sol.
Ses poursuivants sont encore dans les châtaigniers, près de la rivière. Il le sait grâce aux aboiements.
Il est épuisé, mais commence à traverser la forêt, en remontant un peu.
C'est alors qu'il voit un Autre, devant lui, qui semble l'attendre. Il est seul et n'a pas l'air méchant. Il n'est pas avec les poursuivants de Juyen, et il n'a pas de chiens.
L'Autre est grand et tout maigre, avec des drôles de petites fenêtres sur les yeux. Il sourit et parle à Juyen : "N'ayez pas peur, je suis là pour vous aider, mais nous ne devons pas rester là !"
Juyen ne comprend rien à ce charabia. L'Autre maigre a l'air gentil, mais des méchants lui courent après, il n'a pas le temps !
"- A des cré méçants, là-bas !
- Des méchants, oui, ils veulent vous attraper, venez avec moi !
- Acraper ! A faire cré cré mal à Juyen !"
- Julien ? Vous êtes bien Julien Bonacci ?"

Juyen comprend pas tout, mais l'Autre veut qu'il le suive, et comme il a l'air gentil et qu'il semble le connaître, il le suit.
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MessageSujet: Re: Le Monde de Juyen   Le Monde de Juyen Icon_minitimeLun 21 Avr - 11:42

Hé, pas mal ! on rentre dans le vif du sujet, là.
Plein de suspense, j'ai hâte de connaitre la suite. Plutôt bon signe...
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MessageSujet: Re: Le Monde de Juyen   Le Monde de Juyen Icon_minitimeLun 21 Avr - 13:32

constance a écrit:
les précisions sur le (hum) outil du dit gamin. On n'en comprend la portée que plus tard, et puis la découverte de la sexualité est une chose logique après tout.
Heu ! Ce n'est plus un gamin depuis longtemps. Malgré le flashback, il est bien précisé qu'il est adulte désormais.
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MessageSujet: Re: Le Monde de Juyen   Le Monde de Juyen Icon_minitimeLun 21 Avr - 15:35

Etrange...déstabilisant... un peu comme si on s'égarait dans une forêt.
D'accord pour continuer le jeu de piste!
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MessageSujet: Le Monde de Juyen (3) fin   Le Monde de Juyen Icon_minitimeMar 22 Avr - 1:34

3- Le monde des Autres


Juyen se réveille dans une maison. C'est la première fois qu'il voit des murs aussi lisses de dedans, et pas cassés comme ceux de la maison de Maman-Rêve, avec un mur en haut aussi, qui cache le ciel.
Il est enfermé ! Seule une petite fenêtre avec des barreaux lui permet de voir le bleu du ciel.
Il se redresse sur le lit. Pour la première fois, il se souvient du grand lit de Maman-Rêve, en un flash imprécis, il y dormait avec elle quand il était tout petit.
Il a mal à la tête ! Et il porte des fausses peaux colorées, comme les Autres ! Est-ce le maigre aux yeux en fenêtres qui les lui a mises ?
Il les arrache, car elles l'enveloppent et le frottent partout.
Il y a une porte, il essaye de l'ouvrir, mais en vain. C'est pourtant la seule issue de cet endroit étrange où tout est droit et lisse.
Il est enfermé !
Il tape sur la porte, de plus en plus fort. Mais rien à faire.
Pourtant l'Autre maigre avait l'air gentil.
Juyen ne comprend pas.
Alors Juyen pleure, et tape, et crie...


*



Clic-clac : la porte s'ouvre enfin. Deux Autres sans cheveux entrent : ils ont l'air gentil mais Juyen sent que non. Ils sentent fort des odeurs bizarres qui cachent leur vraie odeur, ce qui intrigue et repousse Juyen, alors il reste sur le qui-vive.
"Allons, calme-toi, on te veut pas de mal. Monsieur Clanet vient te voir, il veut t'aider.
- Laisse tomber, il te comprend pas, t'as vu le rapport ?
- Et alors ? S'il comprend pas les mots, il comprend sûrement le ton et l'intention, me casse pas la baraque, s'il te plaît.
- Mouais, ok, ok. T'as vu il a déchiré le pyjama... et merde, il a pissé dans le coin, là !"

Juyen ne comprend rien, mais l'un des deux a l'air plus gentil que l'autre. Il tient une coupe avec de l'eau blanche bizarre à l'intérieur.
"Tiens, Julien, bois, ça va t'apaiser, tu peux me faire confiance, je suis gentil".
Il est gentil ! Juyen l'avait bien senti... mais il sent tellement fort, et il veut le faire boire, mais ça sent pas l'eau, il ne veut pas.

Une voix résonne dans l'entrée, celle de l'Autre maigre aux yeux en fenêtres.
"C'est bon, laissez-moi seul avec lui, tant pis pour le calmant, il a plus peur qu'autre chose, il n'est pas dangereux.
Les deux Autres se retirent, laissant leur parfum entêtant dans la pièce.
- Julien, je te demande pardon pour t'avoir piqué par surprise dans la forêt, pardon de t'avoir joué ce tour, mais c'était pour t'éviter la violence des méchants. J'ai pris des risques pour te préserver, tu comprends ?
- Tous les zôtr, cré méçants !
- Non, pas tous, ici nous sommes très très gentils, nous voulons t'aider, regarde !
Il sort une petite feuille carrée et dedans se trouve... Maman-Rêve !
Tu la reconnais, Julien ?
- MamanRêv !!!!
- C'était bien ta maman, hein ? J'en étais sûr ! Tu te souviens d'elle, elle était gentille, n'est-ce pas ?
- MamanRêv cré gentil ! A veux, a veux, moi !
- Mon pauvre Julien, ta maman ne peut plus venir te voir, tu ne la reverras plus jamais hélas, les méchants l'ont attrapée il y a bien longtemps."

Juyen comprend un peu, juste assez pour savoir que les méchants ont fait du mal à Maman-Rêve et qu'elle est morte comme Maman-Ronron. Il savait déjà, car Juyen, il est pas bête, il sait que les rêves c'est pas la vraie vie. Pourtant il pleure, il pleure.

"Tiens, Julien, prends la photo, je te la donne, tu auras l'image de ta maman avec toi"

L'autre donne Maman-Rêve à Juyen ! C'est comme une feuille très dure. Le plus beau trésor de sa vie, depuis Petit-Canard ! Il le mettra dans l'abri, dans sa cachette !

"Nous devons parler, maintenant, tu sais. Je m'appelle Michel Clanet, tu comprends ?
Toi Julien, moi Michel... montre-moi que tu comprends : Julien, Michel, Julien, Michel...
Juyen comprend un peu, et il est sûr que cet Autre est gentil. Alors pourquoi l'a-t-il amené dans cet horrible endroit ?
- Juyen, Micel
- Oui ! C'est bien ! Donne ta main, comme ça, regarde.
Oui c'est bien... Mon dieu quelle peau dure tu as, c'est, c'est...
Bien. Parlons un peu, dis moi qui s'est occupé de toi quand tu étais petit ?"

Micel pend la main de Juyen et la touche. C'est étrange, Juyen n'a jamais eu cette sensation avant. Micel a une main toute blanche, fine et douce. C'est une sensation nouvelle. Il sent que ça fait durcir sa queue, et il ne comprend pas pourquoi. Il a envie de toucher Micel sur sa tête et partout.
"Ha non, du calme, Julien, houla, je crois que je reviendrai un peu plus tard, très content de ce premier entretien...
Heu, lâche-moi, maintenant... Ho mon dieu, c'est incroyable !"

La queue de Juyen est maintenant toute dure, et il aimerait bien la frotter contre Micel qui a l'air très doux, mais il crie...
"Sécurité ! Sécurité !"

La porte s'ouvre, et les deux sans-cheveux-qui-sentent-fort entre et attrape Juyen ! Ils sont plus méchants que tout à l'heure !
"Allons, du calme !
- Merde, tu as vu ça ? Il est monté comme un âne, c'est pas possible !
- C'est bon, on en parlera plus tard, si tu veux bien, aide-moi plutôt !
- Allez-y doucement, messieurs, il ne faut pas l'effrayer surtout.
- Attrape-lui le bras droit, je tiens le gauche !
- Cré méçant, toi !"

Les deux Autres veulent faire du mal à Juyen, le plus méchant lui tord le bras, alors Juyen lui donne un coup de tête, la spécialité de Maman-Ronron ! L'autre l'attrape dans son dos, alors il envoie ses deux coudes en arrière, sur sa figure.
Les deux méchants sont par terre, ils avaient qu'à pas vouloir faire du mal à Juyen !
Micel reste dans un coin, il sent le pipi et la peur.
"Tu as fait une grosse bêtise, là, Julien, ils ne faisaient pas partie des méchants, eux ! Et moi je suis gentil aussi, tu te souviens ? Calme-toi maintenant, du calme, tout va bien se passer, si tu te calmes."

La queue de Juyen est redevenue molle avec tout ça, et Micel sent trop fort, et cet endroit n'est pas bien, alors Juyen sort.

"Attends, non, reste ici, sinon les méchants vont te faire du mal, je t'en conjure, Julien ! Julien ! (bordel de merde !)

Un grand tunnel carré tout propre plein de portes de chaque côté donne sur une ouverture au fond ; Juyen court. C'est tout froid et lisse par terre. Le Monde des Autres est très bizarre, mais pour le moment Juyen n'en a cure.
Plein de mamans jolies passent par là, mais elles crient très fort et s'enfuient dans les portes lorsqu'elles voient Juyen. Deux Autres sans cheveux habillés comme les deux précédents courent vers lui avec une drôle de petite bouteille noire à la main, mais Juyen n'a pas peur, il sait maintenant que les Autres sont moins forts que lui. Il faut les surprendre. Peu avant le point de rencontre, Juyen bondit sur le mur et saute sur eux, les pieds sur la tête de l'un qui cogne sur la tête de l'autre, il y a même un "crac", et Juyen ne perd pas de temps, après avoir atterri avec la grâce d'un félin, il fonce vers la fenêtre et l'arbre qu'il voit derrière. Il bondit et se retrouve dans les branches. Il se fait un peu mal en se recevant, mais tant pis, il est libre.


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MessageSujet: Re: Le Monde de Juyen   Le Monde de Juyen Icon_minitimeMar 22 Avr - 1:34

C'est avec stupeur que Juyen, perché sur une grosse branche du platane, découvre l'imposant bâtiment dont il vient de s'échapper. Jamais il n'a vu une maison aussi grande, celle de la famille de Miel est minuscule à côté ! Il regarde alors autour de lui. Une dizaine d'arbres l'entourent, avec un peu d'herbe et des jolies fleurs, mais s'arrêtent soudain, et il s'aperçoit que le Monde des Autres n'est fait que de ce genre de maisons, avec plein de machines hurlantes qui roulent partout sur des chemins plats tout lisses sans herbe. Des Autres marchent partout, tous recouverts des peaux colorées, le bruit est partout, et surtout une mauvaise odeur ambiante. Même le ciel paraît moins bleu. Il doit fuir, sortir de ce monde malade, et retrouver le vrai Monde.
Micel l'appelle par la fenêtre, encadré d'Autres affolés :
"Julien ! Julien ! Je t'en conjure, écoute-moi ! Reste là, je viens te chercher, ne va pas plus loin, les méchants vont te faire très mal ! Tu n'as nulle part où aller, ici ! Julien ! Oh mais tu es blessé, en plus ! Ta jambe est en sang ! Julien ! Attends-moi, j'arrive !"

Juyen sait que Micel est gentil, mais il ne peut plus lui faire confiance malgré tout, il sait bien qu'ils ne peuvent pas se comprendre, alors il saute dans l'herbe. Il a toujours dans la main la feuille dure avec Maman-Rêve dedans, elle est toute tordue, mais il la serre fort pour ne pas la perdre. Sa jambe gauche lui fait mal à la réception. Il saigne, et il sait que c'est pas bien.
Maman-Ronron savait quoi faire dans ce cas-là, elle lui léchait tout avec sa langue râpeuse, lui soufflait de l'air chaud avec son groin et le calmait de doux grognements, mais à présent il est seul, il ne peut compter que sur lui-même.
Alors il court, et d'un formidable bond, franchit la haie de lauriers pour tomber sur le chemin lisse. Des Autres tous bizarres se trouvent là et prennent peur. Ils ont tous peur de lui ! Un Autre tout plissé, comme vidé de sa substance, avec la même barbe que lui mais toute blanche, semble se trouver mal. Ils sentent tous mauvais la peur et les parfums étranges irrespirables. Il y a des mamans, des petits, des machines... Tous crient et le fuient.
Juyen est tenté de s'agenouiller, de mettre ses mains devant les yeux et de se réfugier dans ses rêves, où Maman-Rêve le rassurerait, mais Juyen il est cré fort ! Il va se battre !
Et Micel crie encore derrière, mais il n'en a cure. Les méchants de la grande maison vont être très en colère de ne pas avoir pu lui faire mal, et beaucoup vont le poursuivre, alors Juyen court, court.



*



"Cours, Julien, cours ! Viens à Maman, viens ! Ouiii ! Oh mon chéri, je suis tellement fière de toi ! Si ton père pouvait te voir ! Bientôt, bientôt !
- A cré fort, Juyen !
- Oui mon garçon, tu es très très fort, le plus fort de tous les petits garçons ! Allez, viens, on va manger maintenant, on rentre, ramasse Petit-Canard. En plus il commence à pleuvoir."

La ferme s'étale en bas de la colline. Au loin un arc en ciel se détache du ciel gris à l'horizon, alors qu'il est encore tout bleu derrière eux. Le chien aboie, une voiture arrive en trombe et se gare dans la cour, c'est Cora qui revient du village. Elle vient en courant à leur rencontre, tout son maquillage a coulé sur son visage bouleversé.

"Nadia ! Nadia ! Tu es là, Dieu soit loué, je suis désolée, mais il y a de mauvaises nouvelles.
- Non, ne me dis pas que...
- Ils ont eu Jules, c'est fini. Il faut se casser d'ici, et vite.
- Nooooon !
- Je t'en prie, Nadia, sois forte, au moins pour le petit, il faut réagir tout de suite, on n'a même pas le temps de pleurer.
- ...mais, mais comment... L'évasion s'est parfaitement passée, il était planqué, il fait pas d'erreur !
- Il a été reconnu et dénoncé, il l'ont coincé et exécuté, ils prétendent qu'il y a eu fusillade, mais c'est faux ! Je sais pas qui l'a donné, mais c'est quelqu'un du coin, je leur donne pas une heure pour qu'il remontent jusqu'ici, et pour eux tu es encore une meurtrière en cavale ! Secoue-toi, putain !
- Zarma, ils m'auront pas, t'entends ? Pas vivante en tout cas !
- Dis pas de conneries, Nadia, et le petit alors ? Allez, viens je t'emmène dans la montagne, là où y a pas de maisons, pas de route, ni personne.
- Mais on y est déjà, là !
- La Lozère est grande, des coins sont encore plus sauvages, allez, viens !
- Julien, mon chéri, on va monter dans la vroum-vroum de Tata Cora, et on va faire une promenade, d'accord ?
- Pas vroum-vroum, a peur Juyen !
- Juste cette fois mon garçon, tu es très fort ou pas très fort ?
- Oui, a cré fort, Juyen !
- Alors on y va, court, court Julien"

Alors il court, il court.




*



Plus Juyen court, plus il désespère de trouver la sortie de ce monde mort, grouillant de machines et de ces êtres apeurés qu'il croyait si puissants. Leur monde est-il plus grand que le Monde ?
Plus il croise d'Autres, de machines, de maisons, plus des flashes de sa petite enfance lui reviennent, et avec, une sensation terrible et nauséeuse de ne pas être si étranger que ça à cet univers.
Il est déjà monté dans une machine roulante, et il sait même comment on les appelle (vroum-vroum), il connaît la sensation d'être emporté vite et de voir défiler la réalité dans les fenêtres, il se souvient que Maman-Rêve (et lui-même) portait des peaux colorées qui grattent... Tout lui revient, trop vite, trop mal. Sa jambe est lourde et perd encore du sang, il commence à boiter légèrement, et en plus il entend les cris déchirants des machines qui commencent à arriver à sa poursuite, ces cris abhorrés qu'il connaît bien.
Oh non, jamais il n'oubliera ces longs hurlements (on va t'attraper et te faire cré mal), et la peur de Maman-Rêve lorsqu'elle courait dans la montagne avec Juyen dans ses bras, oh non jamais il n'oubliera comment il pleurait avec elle lorsqu'il sentit son désespoir, si tangible qu'il aurait pu le toucher, l'attraper, le mettre en boule et le jeter loin, non jamais il ne pourra cesser de perdre sa Maman-Rêve dont il ne reste qu'une feuille dure froissée qu'il serre fort dans sa main rugueuse, non jamais il ne s'arrêtera de courir tant qu'il sera dans ce monde fou et sale, tant que les méchants le poursuivront !
Alors Juyen court, et Juyen crie ! "Y mauront pas ! Pas vivantentoucas !"


*



"Passez-moi le Major, de la part du Professeur Clanet, c'est urgent !
Je vous en prie, c'est une question de vie ou de mort !
Malheur, alors faites-lui parvenir le message suivant à tout prix : ne le tuez pas ! Au nom de Dieu, prenez-le vivant ! Il n'a fait que se défendre, il n'est dangereux que si on l'attaque ! Brigadier, promettez-moi de lui transmettre ce message !"



*



Juyen arrive sur une grande place où aucun arbre, aucune plante n'existe, mais il voit de l'eau ! Enfin un élément qu'il connaît ! Mais elle est enfermée, elle ne peut pas sortir, elle est vivante et morte à la fois. Derrière, il voit une grande maison très haute avec plein de toits pointus et des croix, et une grande porte, et de cette maison résonnent très fort des cloches.
Il connaît bien le son des cloches, mais il l'a toujours entendu de très loin, parfois au bord du monde, quand il tendait l'oreille. À présent il sait d'où cela venait : d'ici. Il comprend alors qu'il est très loin du Monde. C'est si fort que ça fait mal à la tête.
Puis les cris des machines arrivent de tous les côtés, et les vroum-vroum aux lumières surgissent sur la place : il en voit deux, puis trois, puis cinq, puis d'autres encore, qui s'immobilisent et cessent de crier aussitôt.
Et des Autres, tous pareils, avec des tissus sur leur tête, qui en descendent et prennent dans leur main des sortes de cornes noires, Juyen ne voit pas bien à travers ses larmes et sa sueur, mais il sait que c'est avec ça qu'ils font cré mal.
Juyen n'a pas plus d'endroit où s'échapper à présent, la place est entièrement cerné par les Autres méchants tous pareils et leurs machines. Il a traversé toute la place et saute sur le bord de la maison pointue aux cloches, il s'agrippe aux bords et escalade lestement la pierre. Les Autres ont couru pour le rejoindre mais ils peuvent pas sauter aussi loin que lui, et ils savent pas grimper à la pierre, alors ils s'entassent en bas. Et une très grosse voix résonne, c'est un Autre qui parle dans une grande fleur dure, mais Juyen comprend rien, et il s'en fiche, c'est que des méchants qu'il faut pas écouter, des preneurs.
"Bonacci, tu es cerné, tu n'as aucune chance, rends-toi !"

Juyen continue de grimper, il voit tous les Autres tout petits en bas, et dans la pierre à laquelle il s'accroche, des bêtes méchantes font la grimace et lui font peur. Dans ce monde où l'eau et l'herbe sont enfermées, même la pierre est méchante.
"Méçant !" Il tape sur une tête grimaçante, si fort qu'elle se casse et tombe. De grands cris résonnent en bas lorsqu'elle s'écrase sur la tête d'un Autre, et aussitôt, pan ! Juyen a cré cré mal dans le dos, et ce mal a fait un grand bruit.
Alors Juyen hurle, et son hurlement se répand au dessus de toute la place, avec des échos, comme dans la montagne. Il n'y a plus aucun bruit dans le monde mort, sauf ce cri d'animal blessé et désespéré.

Le temps s'interrompt alors, sur le regard fou rivé sur le ciel et sur la grimace de Juyen, qui n'est plus qu'un cri tout entier, un cri si humain qu'il semble inhumain, un cri qui n'en finit pas, qui envahit chaque parcelle de ceux qui l'entendent des dizaines de mètres plus bas, et qui leur fait comprendre à quel point c'est l'innocence, l'essence même de l'humain qui hurle sa frustration, sa douleur, son incompréhension. Ce cri est une question. Ce cri dit "Pourquoi ?", ce cri dit "Regardez-moi et vous vous verrez nus et vrais", ce cri brisera le coeur de chaque mère, de chaque frère, de chaque homme qui a péché en s'octroyant le droit de vie et de mort sur le Monde, ce cri est celui du Martyr, du Simple d'esprit dépositaire de ce que nous avons perdu par présomption, et que nous ne retrouverons jamais plus. Mais reprenons le cours du temps...

Juyen chute. Depuis quand tombe-t-il ? Il l'ignore. Ses deux mains devant lui n'ont plus rien à quoi s'accrocher, et dans sa main droite, la feuille dure a disparu.
Alors il dit une dernière chose : "Maman !"



FIN




Note : En écrivant le mot "fin" ci-dessus, j'étais en larmes. Vous trouverez peut-être cela ridicule, excessif ou pathétique, mais bon, c'est comme ça.
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MessageSujet: Re: Le Monde de Juyen   Le Monde de Juyen Icon_minitimeMar 22 Avr - 22:18

Si tu es bouleversé c'est peut-être parce que tu t'es identifié à ce personnage qui, en apparence du moins, est bien loin de toi ou de ce que tu laisses percevoir de toi aux autres. Personnellement, je te perçois plutôt comme un cérébral. Artiste, sensible mais avant tout cérébral. Ce qui n'est pas un défaut, bien sûr! C'est pour cela que cette nouvelle est très surprenante et un peu déstabilisante...
Je ne sais quoi en penser, c'est trop frais.
Mais on dirait que quelque chose bouge.
Voilà mon ressenti. Smile
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MessageSujet: Re: Le Monde de Juyen   Le Monde de Juyen Icon_minitimeMar 22 Avr - 22:29

Avant que l'émotion ne me gagne absolument et entièrement, juste un bémol : je trouve le passage de la fuite un peu long. Je ne peux t'indiquer précisement pour l'instant ce qui ne serait pas indispensable, et je me doute que tu n'as rien laissé au hasard et tu dois trouver tout indispensable pour le bon déroulement de ton récit, mais c'est un peu long néanmoins pour le lecteur.
Et non, je ne trouve pas cela ridicule, ni excessif et encore moins pathétique de pleurer sur une fin telle que celle-ci. J'avoue qu' à la lecture du passage final en italiques, j'ai moi même versé une larme (hum, deux ou trois, on va dire). Pas seulement sur le personnage même de Juyen, aussi attachant soit-il, mais sur l'universalité du message qu'il délivre, sur cette grandeur et cette dignité de l'innocence, que je retrouve dans le regard de certains enfants que des adultes se permettent de martyriser.
Juyen, tout adulte qu'il soit aux yeux des autres, c'est l'enfant universel qu'on porte à l'intérieur de nous, parfois très profond, c'est l'innocence qu'on réfute, et en fait, c'est l'amour dans toute sa pureté.
Et c'est bouleversant.
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MessageSujet: Re: Le Monde de Juyen   Le Monde de Juyen Icon_minitimeMar 27 Mai - 18:02

Ce qui pour ma part me bouleverse le plus, ce qui appelle l'émotion plus que tout le reste, c'est le langage de Juyen.
Parce que chaque enfant fabrique son propre langage à partir de celui des adultes et que je suis sûre que vous comme moi avez en vous des souvenirs de ce langage unique, du vôtre ou de celui de vos enfants.
Quand Juyen parle ou pense pour décrire sa perception du monde environnant, j'ai 4 ans, c'est magique et tragique mêlés.
Juyen cette innocence qu'on assassine...
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MessageSujet: Re: Le Monde de Juyen   Le Monde de Juyen Icon_minitimeMar 15 Juil - 16:19

Je viens de fusionner les trois parties de la nouvelle pour n'en faire qu'un fil.

Je voulais dire que je cherche un bon dessinateur qui serait intéressé par l'idée de mettre en bande dessinée ce récit.
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MessageSujet: Re: Le Monde de Juyen   Le Monde de Juyen Icon_minitimeMar 15 Juil - 19:27

Je n'ai lu que le premier moment de Juyen, faute de temps, je lirai le second bientôt. Ca me plait beaucoup. Vraiment beaucoup. Peut être un commentaire plus constructif une prochaine fois. Smile
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MessageSujet: Re: Le Monde de Juyen   Le Monde de Juyen Icon_minitime

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